Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 juin 2018, Mme B..., représentée par Me Gauché, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 4 avril 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions susmentionnées ;
3°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de lui remettre le dossier de demande d'asile à transmettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision de transfert est illégale, les brochures prévues à l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ne lui ayant été remises qu'à l'issue de l'entretien individuel ; cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme dès lors que la Pologne, qui lui a déjà refusé l'asile, la renverra en Russie ; depuis sa demande d'asile de 2012, des membres de sa famille ont obtenu le statut de réfugié en France ;
- la décision portant assignation à résidence est illégale par voie de conséquence.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Clot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité russe, née le 13 mars 1991, s'est présentée à la préfecture du Puy-de-Dôme le 21 février 2018 pour déposer une demande d'asile. Le système Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été relevées, en dernier lieu, par les autorités polonaises, le 30 octobre 2017. Le 29 mars 2018, le préfet du Puy-de-Dôme a décidé de transférer l'intéressée aux autorités polonaises et l'a assignée à résidence. Mme B... interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a déposé sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile en préfecture et a bénéficié, le 21 février 2018, d'un entretien à l'occasion duquel lui a été remis le guide d'accueil du demandeur d'asile en langue russe, ainsi que les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", également en langue russe, langue que Mme B... a indiqué comprendre lors de cet entretien. Si Mme B... soutient que ces brochures ne lui ont été remises qu'à l'issue de cet entretien, elle a reçu en temps utile toutes les informations requises lui permettant de faire valoir ses observations. Dès lors, le préfet n'a pas méconnu l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9, relatif aux membres de la famille bénéficiaires d'une protection internationale, du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Si un membre de la famille du demandeur, que la famille ait été ou non préalablement formée dans le pays d'origine, a été admis à résider en tant que bénéficiaire d'une protection internationale dans un État membre, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, à condition que les intéressés en aient exprimé le souhait par écrit. "
6. Si Mme B... se prévaut de ce que deux de ses cousins ont obtenu l'asile en France, ceux-ci ne constituent pas, toutefois, des membres de sa famille, au sens du g) de l'article 2 du règlement du 26 juin 2013. Dès lors, l'intéressée ne peut se prévaloir de l'article 9du règlement (UE) n° 604/2013.
7. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "
8. Mme B... soutient que, sa demande d'asile auprès des autorités polonaises ayant été rejetée, son transfert en Pologne l'expose au risque d'être renvoyée au Russie où, en raison de son origine tchéchène, elle court le risque de subir des traitements incompatibles avec les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle se prévaut notamment de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 4 septembre 2014, M. V. et M.T. c. France, n° 17897/09, concernant le renvoi en Russie de deux ressortissants de ce pays, par lequel, au point 47 de cet arrêt, la Cour a estimé, " au vu du profil marqué des requérants, des documents par eux produits et de la situation passée et actuelle en Tchétchénie, qu'il existe, dans les circonstances particulières de l'espèce, un risque réel que ceux-ci soient soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention de la part des autorités russes en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi. " Toutefois, les affirmations d'ordre général de Mme B... relatives aux modalités d'application des règles relatives à l'asile par les autorités polonaises, notamment s'agissant de personnes d'origine tchéchène, ne suffisent pas à établir qu'en décidant son transfert à ces autorités, le préfet a, en l'espèce, méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme B... n'est pas fondée à se prévaloir, contre la décision l'assignant à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant son transfert aux autorités polonaises.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée préfet du Puy-de-Dôme.
Délibéré après l'audience du 14 février 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
Mme Dèche, premier conseiller,
Mme Beytout, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
N° 18LY02195 2