Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 22 juillet 2016, M. et Mme E... ainsi que l'entreprise BL Constructions, représentés par la SCP Albert-Crifo-C... -Monnier, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 21 juin 2016 en tant qu'il a rejeté leur demande d'indemnisation des préjudices subis du fait de refus illégaux de permis de construire ;
2°) de condamner la commune de Charvieu-Chavagneux à leur verser la somme globale de 395 564,36 euros, outre intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner la commune de Charvieu-Chavagneux au remboursement des dépens de première instance, y compris la contribution pour l'aide juridique d'un montant de 35 euros ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Charvieu-Chavagneux la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a omis de statuer sur leur demande tendant à la réparation du préjudice moral résultant du refus de permis de construire ;
- l'illégalité du refus de permis de construire du 22 juin 2005 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Charvieu-Chavagneux ;
- les préjudices se rapportant aux frais d'architecte engagés, à la moins-value du terrain restitué et à la perte de chance ne peuvent être regardés comme imputables à une modification du PLU postérieure au refus illégal et sont directement imputables à ce refus ;
- ils ont engagé en vain des frais d'architecte d'un montant de 1 196 euros, qui doivent être indemnisés ;
- la modification des règles d'urbanisme applicables à la parcelle BP 68, qui n'a été décidée que du fait du refus de permis de construire en litige, a été à l'origine d'une moins-value qui peut être évaluée à la somme de 93 454 euros ;
- le refus de permis de construire a été à l'origine d'une perte de chance de pouvoir construire qui peut être évaluée à la somme de 200 000 euros ;
- ils ont subi un préjudice du fait d'une augmentation du coût de la construction, qui peut être évalué à la somme de 85 914,36 euros ;
- ils ont subi un préjudice moral qui peut être évalué à la somme de 15 000 euros.
La requête a été communiquée à la commune de Charvieu-Chavagneux, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
La clôture de l'instruction a été fixée au 8 février 2018 par une ordonnance du 4 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thierry Besse, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public ;
- les observations de Me C... pour les requérants, ainsi que celles de Me A... pour la commune de Charvieu-Chavagneux ;
Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour la commune de Charvieux-Chavagneux, enregistrée le 26 septembre 2018 ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E... a acquis en 2000 les parcelles cadastrées B 618 et B 68, comprenant une maison, sur la commune de Charvieux-Chavagneux. Par arrêté du 22 juin 2005, le maire de Charvieux-Chavagneux a refusé de lui délivrer un permis de construire en vue de la construction d'un bâtiment industriel sur la parcelle BP 68. Par arrêt du 12 octobre 2010 devenu définitif, la présente cour a annulé ce refus de permis de construire, après avoir estimé qu'aucun des motifs de refus n'était fondé. Après confirmation par la cour d'appel de Grenoble de l'injonction de restitution de la parcelle B 68 à M. E..., suite à l'annulation par la présente cour de l'arrêté du préfet de l'Isère du 8 juillet 2005 ayant déclaré d'utilité publique l'expropriation de cette parcelle, M. E... a déposé une nouvelle demande de permis de construire en vue de la construction, sur ce terrain, d'un entrepôt de 600 m², qui a fait l'objet d'un nouveau refus par arrêté du 2 juillet 2015. M. et Mme E..., ainsi que l'entreprise BL Constructions dont M. E... est le gérant, ont demandé à la commune de Charvieux-Chavagneux l'indemnisation des préjudices qu'ils ont subis en raison de l'illégalité de ces refus de permis de construire et de la procédure d'expropriation irrégulière dont ils ont fait l'objet. Ils relèvent appel du jugement du 21 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande indemnitaire en tant seulement que ce jugement a rejeté les conclusions de leur demande relatives aux préjudices qu'ils ont subis du fait de refus illégaux de permis de construire et doivent être regardés, eu égard aux termes de leur requête, comme ne demandant en appel que l'indemnisation des préjudices résultant selon eux de l'illégalité du refus de permis de construire du 22 juin 2005.
Sur la régularité du jugement :
2. Dans leur demande introductive de première instance, M. et Mme E... et l'entreprise BL Constructions ont demandé l'indemnisation du seul préjudice moral qu'ils avaient subi en raison de la procédure d'expropriation irrégulière, dont ils avaient précisé les conséquences sur leur situation. S'ils ont sollicité dans leur mémoire en réponse au moyen relevé d'office, enregistré le 1er juin 2013, l'indemnisation du préjudice moral résultant de refus illégaux de permis de construire, ces conclusions ont été présentées après la clôture de l'instruction. Par suite, en ne statuant pas sur ces conclusions, les premiers juges n'ont entaché leur jugement d'aucune irrégularité.
Sur la responsabilité et le préjudice :
3. En refusant illégalement la délivrance du permis de construire sollicité par M. E... par arrêté du 22 juin 2005, le maire de Charvieux-Chavagneux a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune. Toutefois, l'ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués.
4. M. E... s'étant trouvé dépossédé de sa parcelle entre le 10 mars 2006, date du transfert de propriété ordonné par le tribunal de grande instance de Grenoble, et la restitution de celle-ci confirmée par arrêt du 26 septembre 2014 de la cour d'appel de Grenoble, suite à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère ayant déclaré d'utilité publique un projet d'extension d'une zone industrielle dans le secteur, l'impossibilité dans laquelle l'intéressé s'est trouvé de construire un bâtiment industriel sur la parcelle B 68 doit être regardée comme trouvant sa cause directe dans cette procédure d'expropriation illégale, dont les conséquences préjudiciables ont été indemnisées par le juge judiciaire. Par suite, et alors que la nouvelle demande de permis de construire de M. E... a été rejetée par un arrêté du maire de Charvieux-Chavagneux du 2 juillet 2015 dont la légalité est confirmée par un arrêt de ce jour, les conclusions de la requête tendant à l'indemnisation de la perte de chance de construire le bien et du surcoût dans les travaux, préjudice au demeurant purement éventuel en l'état, doivent être rejetées.
5. Si la parcelle B 68 a été grevée d'un emplacement réservé par la modification n° 1 du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de Charvieux-Chavagneux approuvé par délibération du conseil municipal du 17 juillet 2012, cette modification est sans lien direct avec le refus illégal de permis de construire du 22 juin 2005. Par suite, les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice qui résulterait, de ce fait, d'une insuffisante indemnisation par le juge de l'expropriation de la dépossession du terrain, ne peuvent qu'être rejetées.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a engagé des frais d'architecte d'un montant de 1 196 euros, en février 2005, pour déposer sa demande de permis de construire. Si l'intéressé a pu présenter une nouvelle demande de permis de construire près de dix années plus tard, celle-ci portait sur un projet différent. Dans les circonstances de l'espèce, et alors que le délai mis par l'intéressé pour déposer une nouvelle demande de permis de construire ne lui est pas imputable dès lors qu'il s'est trouvé dépossédé de sa parcelle entre 2006 et 2014, ces frais doivent être regardés comme ayant été exposés inutilement et comme constituant un préjudice directement imputable à la faute commise par le maire en opposant un refus à sa demande. Par suite, la commune de Charvieux-Chavagneux doit être condamnée à rembourser ces frais, d'un montant de 1 196 euros.
7. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi dans les circonstances de l'espèce par M. et Mme E... du fait de l'illégalité du refus de permis de construire du 22 juin 2005 en leur allouant à ce titre une somme de 1 000 euros.
8. Il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité totale à laquelle ont droit M. et Mme E... doit être fixée à la somme de 2 196 euros. Les intéressés sont, dans cette mesure, fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande et à demander sur ce point la réformation de ce jugement.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
9. M. et Mme E... ont droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 2 196 euros à compter du 11 avril 2013, date de réception de leur demande indemnitaire préalable. Les intéressés ayant demandé la capitalisation des intérêts dans leur demande introductive de première instance, il doit être fait droit à cette demande à compter du 11 avril 2014, date à laquelle était due une année d'intérêts, et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige et les dépens :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Charvieux-Chavagneux le versement à M. et Mme E... d'une somme globale de 2 000 euros au titre des frais qu'ils ont exposés et de la contribution pour l'aide juridique qu'ils ont acquittée en première instance..
DÉCIDE :
Article 1er : La commune de Charvieux-Chavagneux est condamnée à payer à M. et Mme E... la somme de 2 196 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2013. Les intérêts échus le 11 avril 2014 seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.
Article 2 : Le jugement du 21 juin 2016 du tribunal administratif de Grenoble est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Charvieux-Chavagneux versera à M. et Mme E... la somme globale de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., premier requérant dénommé, pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Charvieux-Chavagneux.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 octobre 2018.
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N° 16LY02563
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