Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 janvier 2016, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B...devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- ce jugement est insuffisamment motivé ;
- Mme B...ne justifie d'aucune communauté de vie avec le père de son enfant ; la participation de celui-ci à l'entretien et à l'éducation de cet enfant n'est pas établie ; c'est donc à tort que le tribunal administratif a jugé qu'il avait méconnu les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui refusant un titre de séjour.
Par un mémoire enregistré le 10 mars 2016, Mme B...conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat du paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle.
Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 23 mars 2016, le préfet de l'Isère conclut aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens.
Il soutient en outre que par jugement du 17 février 2016, le tribunal de grande instance de Strasbourg a annulé l'acte de reconnaissance conjointe du 2 avril 2013 de l'enfant Nabila Camara en tant qu'il porte sur la paternité de Mamadouba Camara, dit que l'enfant s'appellera dorénavant Nmiyfrozi et ordonné la mention de cette décision en marge de l'acte de reconnaissance précité et sur l'acte de naissance de l'enfant.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 février 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Clot a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que Mme B..., ressortissante camerounaise, déclare être entrée irrégulièrement en France le 25 juin 2011 ; que le 4 novembre 2013, elle a sollicité un titre de séjour sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 14 septembre 2015, le préfet de l'Isère lui a opposé un refus, assorti de l'obligation de quitter le territoire français et d'une décision fixant le pays de destination ; que le préfet relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions et enjoint de délivrer à l'intéressée le titre de séjour demandé ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...). " ;
3. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, à ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers ;
4. Considérant que MmeB..., qui déclare être entrée en France le 25 juin 2011, a donné naissance, le 16 mai 2013, à une enfant qui a été reconnue par anticipation par un ressortissant français le 2 avril 2013 ; qu'elle a sollicité, dès le 4 novembre 2013, le titre de séjour que prévoient les dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que toutefois, elle n'a pas de vie commune avec le père de son enfant ; que le père de l'enfant ne contribue pas à l'entretien ou à l'éducation de celui-ci ; que, dès lors, le préfet établit que la reconnaissance de l'enfant de Mme B...repose sur une fraude ; que, par suite, c'est à tort que, pour annuler le refus de titre de séjour en litige et, par voie de conséquence, les décisions prescrivant l'éloignement de l'intéressée et fixant le pays de destination, le tribunal administratif s'est fondé sur le motif tiré de ce que, en l'absence de fraude démontrée, Mme B... pouvait se prévaloir des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par MmeB... ;
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
6. Considérant, en premier lieu, que le préfet de l'Isère a justifié devant le tribunal administratif de la compétence du signataire de la décision ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
8. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment de la durée et des conditions du séjour en France de Mme B..., le refus de lui délivrer un titre de séjour ne porte pas, au regard des buts poursuivis, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes raisons, ce refus n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'il est susceptible de comporter pour la situation personnelle de l'intéressée ;
9. Considérant, enfin, qu'aux termes du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; que, dans les circonstances de l'espèce, le refus de titre de séjour contesté ne méconnaît pas ces stipulations ;
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
10. Considérant que le préfet de l'Isère a justifié devant le tribunal administratif de la compétence du signataire de la décision ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme B... ne saurait se prévaloir de l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière en application du présent chapitre : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) " ; que, pour les motifs indiqués ci-dessus, Mme B... ne peut invoquer ces dispositions ;
Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire et de la décision désignant le pays de destination :
13. Considérant que le préfet de l'Isère a justifié devant le tribunal administratif de la compétence du signataire de ces décisions ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que Mme B... ne saurait se prévaloir, contre ces décisions, de l'illégalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé et de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les décisions en litige et lui a enjoint de délivrer un titre de séjour à Mme B... ; que les conclusions du conseil de celle-ci tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 décembre 2015 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de Mme B...tendant à l'annulation des décisions du préfet de l'Isère du 14 septembre 2015, à fin d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A...B.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2016, à laquelle siégeaient :
M. Clot président de chambre,
M. Picard, président-assesseur,
M. Lévy Ben Cheton, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 juin 2016.
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N° 16LY00348
mg