Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 15 mars 2018, M. et Mme B..., représentés par Me Djinderedjan, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 février 2018 ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 9 octobre 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- ils ne sauraient être regardés comme constituant une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale au sens de l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile du seul fait qu'ils ne justifient pas disposer d'un logement, de ressources ou d'une assurance maladie, ces critères ne concernant que les citoyens de l'Union européenne séjournant en France au-delà de trois mois ; ils ne pouvaient en conséquence leur être fait obligation de quitter le territoire français ;
- en tout état de cause, ils vivent en France depuis plusieurs années et justifient de revenus professionnels.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie, qui n'a pas produit de mémoire.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 17 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B..., ressortissants roumains, relèvent appel du jugement du 15 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 9 octobre 2017 par lesquels le préfet de la Haute-Savoie leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Sur la légalité des arrêtés du préfet de la Haute-Savoie du 9 octobre 2017 :
2. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; (...) ". Aux termes de l'article L. 121-4-1 du même code : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, les citoyens de l'Union européenne (...) ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français. ".
3. Il appartient à l'autorité administrative qui entend opposer à un citoyen de l'Union européenne présent en France depuis moins de trois mois le fait qu'il est devenu une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, d'établir que l'intéressé a effectivement recours à une telle assistance et qu'il bénéficie d'aides ou de prestations sociales dans des conditions telles qu'il peut être regardé comme constituant une telle charge.
4. Pour obliger M. et Mme B... à quitter le territoire français, le préfet de la Haute-Savoie, après avoir relevé qu'ils ont déclaré être en France depuis moins de trois mois et visé l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il a clairement entendu faire application, a relevé que les intéressés étaient sans domicile fixe et ne justifiaient pas de la moindre ressource ni d'une assurance maladie. Toutefois ces circonstances ne suffisent pas, par elles-mêmes, à établir que M. et Mme B..., qui le contestent, auraient effectivement eu recours au système d'assistance sociale français ou bénéficié d'aides ou de prestations sociales dans des conditions telles qu'ils puissent être regardés comme étant d'ores et déjà devenus une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale au sens des dispositions de l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, le préfet de la Haute-Savoie ne pouvait considérer que les intéressés ne satisfaisaient pas aux conditions de séjour en France fixées par l'article L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'ils étaient, par voie de conséquence, au nombre des personnes pouvant faire l'objet pour ce motif d'une obligation de quitter le territoire français en application du 1° de l'article L. 511-3-1 du même code cité au point 2.
5. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à demander, outre l'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 février 2018, l'annulation des arrêtés du préfet de la Haute-Savoie du 9 octobre 2017.
Sur les frais liés au litige :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, et de mettre à ce titre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me Djinderedjan, avocate des requérants, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 février 2018 est annulé.
Article 2 : Les arrêtés du préfet de la Haute-Savoie du 9 octobre 2017 sont annulés.
Article 3 : L'Etat versera à Me Djinderedjan la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée :
- au préfet de la Haute-Savoie.
- au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 9 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 octobre 2018.
Le rapporteur,
Bénédicte LordonnéLe président,
Yves Boucher
La greffière,
Fabienne Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et au préfet de la Haute-Savoie en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 18LY01026
md