Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 mars 2020, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 2 décembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 21 juin 2019 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, à charge pour ce dernier de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :
- le préfet était tenu de lui demander de compléter sa demande de titre de séjour, en application de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il n'a pas procédé à un examen complet de sa situation ;
- la décision attaquée méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision attaquée se fonde sur un refus de titre de séjour illégal ;
Sur la légalité de la décision fixant le délai de départ volontaire :
- la décision attaquée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire, enregistré le 30 octobre 2020, le préfet de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 février 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C..., présidente-assesseure ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante kosovare, est entrée en France, en dernier lieu, le 1er septembre 2015, selon ses déclarations, et a sollicité, le 21 août 2018, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 juin 2019, le préfet de la Côte-d'Or a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme E... relève appel du jugement du 2 décembre 2019 par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est née le 1er février 2000 à Dijon, où ses parents séjournaient. Elle a quitté la France à destination du Kosovo au mois de juillet 2000 avec ses parents, qui se sont séparés en 2001, et a vécu au Kosovo auprès de son père, qui est de nouveau entré en France en 2011, et de sa grand-mère jusqu'au 1er septembre 2015, date à laquelle elle est de nouveau entrée en France. Sa mère, qui a épousé un compatriote résidant régulièrement en France, est entrée sur le territoire national au titre du regroupement familial en 2016 et y séjourne régulièrement depuis lors. Si Mme E... ne peut se prévaloir de la présence en France de son père, qui a fait l'objet le 4 mars 2016 d'une obligation de quitter le territoire français et se maintient irrégulièrement sur le territoire national depuis lors, et si Mme E... ne vit pas auprès de sa mère, qui réside régulièrement en France auprès de son conjoint à Mulhouse, mais auprès de sa tante, il ressort des pièces du dossier que la requérante a obtenu, au mois de juin 2019, le certificat d'aptitude professionnelle en " décoration en céramique ", ainsi que deux médailles au concours des meilleurs apprentis de France organisé par la société des meilleurs ouvriers de France pour le métier " décoration sur porcelaine " au titre de l'année 2019, et qu'elle prépare le baccalauréat professionnel dans cette spécialité au titre de l'année 2019-2020. Dans de telles conditions, eu égard au sérieux de la scolarité poursuivie par l'intéressée et de son engagement dans un cursus professionnalisant où elle a obtenu d'excellents résultats, et alors même que son père se maintient irrégulièrement en France et qu'elle ne réside pas auprès de sa mère, le préfet de la Côte-d'Or, en refusant de l'admettre au séjour et en l'obligeant à quitter le territoire français, a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de ses décisions sur la situation personnelle de Mme E....
3. Il résulte de ce qui précède que Mme E... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
4. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
5. Eu égard au motif de l'annulation de la décision refusant à Mme E... la délivrance d'un titre de séjour, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de délivrer à la requérante un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me D..., avocate de Mme E..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 21 juin 2019 et le jugement n° 1902042 du 2 décembre 2019 du président du tribunal administratif de Dijon sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Côte-d'Or de délivrer à Mme E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me D... la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Côte-d'Or. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 5 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme C..., présidente-assesseure,
Mme H..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2020.
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N° 20LY01148
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