Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2020, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement, en tant qu'il prononce l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français et de rejeter la demande de M. A... B....
Il soutient que :
- il y a lieu de procéder à une substitution de base légale, afin de fonder l'interdiction de retour sur le territoire français sur le quatrième alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- une telle substitution ne prive M. A... B... d'aucune garantie ;
- elle est de nature à justifier la décision dès lors que M. A... B... a fait l'objet, le 10 août 2018, d'une obligation de quitter le territoire français devenue définitive qu'il n'a pas exécutée ;
- les moyens soulevés par M. A... B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 8 juin 2021, M. A... B... conclut au rejet de la requête, à ce que lui soit accordée l'aide juridictionnelle provisoire et à ce que soit mise à la charge de son conseil la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1990.
Il soutient que :
- il ne peut être procédé à la substitution de base légale sollicitée dès lors qu'il a été privé de la garantie que constitue l'examen complet et exhaustif de sa situation par le préfet ;
- une demande de substitution de base légale ne peut être formée pour la première fois en appel ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 juin 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Evrard, présidente-assesseure ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant angolais né le 27 septembre 1990, est entré en France le 1er septembre 2016, selon ses déclarations, et a sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 novembre 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 17 mai 2018. Le 10 août 2018, le préfet de l'Isère l'a obligé à quitter le territoire français sur le fondement du 6° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a accordé un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... B... a sollicité le 10 décembre 2019 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 juillet 2020, le préfet de l'Isère a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français, lui a accordé un délai de départ de trente jours, lui a fait interdiction de quitter le territoire français durant un an et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, a enjoint au préfet de l'Isère de mettre fin au signalement dont M. A... B... fait l'objet dans le système d'information Schengen aux fins de non admission, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 juillet 2020. Le préfet de l'Isère relève appel de ce jugement, en tant qu'il a prononcé l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français.
2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " III. ' L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger./Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour./Sauf s'il n'a pas satisfait à une précédente obligation de quitter le territoire français ou si son comportement constitue une menace pour l'ordre public, le présent III n'est pas applicable à l'étranger obligé de quitter le territoire français au motif que le titre de séjour qui lui avait été délivré en application de l'article L. 316-1 n'a pas été renouvelé ou a été retiré ou que, titulaire d'un titre de séjour délivré sur le même fondement dans un autre Etat membre de l'Union européenne, il n'a pas rejoint le territoire de cet Etat à l'expiration de son droit de circulation sur le territoire français dans le délai qui lui a, le cas échéant, été imparti pour le faire./Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français./ (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. "
3. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de l'Isère a accordé à M. A... B... un délai de départ volontaire pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français dont il a fait l'objet. Par suite, la décision prononçant à son encontre une interdiction de quitter le territoire français d'une durée d'un an ne pouvait, comme le préfet de l'Isère l'a fait en l'espèce, être fondée sur le 1er alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lequel prévoit que l'autorité administrative assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans lorsque l'étranger n'a bénéficié d'aucun délai de départ volontaire.
4. Devant la cour, le préfet de l'Isère demande que soit substituée à la base légale initialement retenue celle du 4ème aliéna du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.
6. Il résulte des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que lorsqu'il n'accorde aucun délai de départ volontaire à l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet est tenu de prononcer à son encontre une interdiction de séjour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y font obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés par le septième alinéa III de l'article L. 511-1, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire. En revanche, lorsqu'il accorde un délai de départ volontaire à l'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet apprécie, au regard des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1, tant le principe même du prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français que la durée de cette mesure. Il en résulte que le préfet ne dispose pas du même pouvoir d'appréciation pour prendre à l'encontre d'un étranger une interdiction de retour sur le territoire français sur le fondement du 1er alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que sur celui du 4ème aliéna du même article. Dans ces conditions, le préfet de l'Isère ne peut demander que la base légale du 1er alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile soit substituée à celle du 4ème aliéna du même article. Par suite, sa requête ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative par M. A... B..., lequel, ayant bénéficié de l'aide juridictionnelle totale, ne peut au demeurant utilement demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A... B... tendant à l'application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2021.
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No 20LY03730
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