Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 novembre 2018 et le 18 décembre 2018, Mme G..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 23 octobre 2018 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Drôme du 8 août 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 600 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme G... soutient que :
Sur la régularité du jugement attaqué :
- le jugement de première instance est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;
Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :
- elle méconnaît le 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors qu'il démontre résider en France depuis 2008 ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle relève de la catégorie des étrangers pouvant bénéficier de plein droit d'un titre de séjour eu égard à la durée de son séjour en France ;
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français durant trois ans :
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle réside depuis plus de dix ans en France, où elle dispose d'attaches familiales.
Par un mémoire, enregistré le 3 juin 2019, le préfet de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Le préfet de la Drôme s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Mme G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Vu la décision par laquelle le président de la cour a désigné Mme F... pour exercer temporairement les fonctions de rapporteure publique en application des articles R. 222-24, 2nd alinéa et R. 222-32 du code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D..., présidente-assesseure,
- et les observations de Me A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme G..., ressortissante algérienne née le 20 septembre 1977, est entrée pour la première fois en France en 2003. A la suite du rejet, le 12 juillet 2005, de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, elle a fait l'objet d'une première obligation de quitter le territoire français le 24 octobre 2005. Les 28 décembre 2011 et 29 novembre 2013, Mme G... a fait l'objet de refus de titre de séjour assortis de mesures d'éloignement dont la légalité a été confirmée par la présente cour. Par un jugement du 4 mai 2017, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision implicite par laquelle le préfet de la Drôme a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation de l'arrêté du 29 novembre 2013 lui refusant un titre de séjour, assortissant ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et d'une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans et a enjoint au préfet de la Drôme de lui délivrer un certificat de résidence algérien d'une durée d'un an. Le préfet de la Drôme lui a ainsi délivré, le 1er juin 2017, un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale ", valable jusqu'au 31 mai 2018. Par un arrêt du 16 novembre 2017, devenu définitif, la présente cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 mai 2017 et a rejeté la demande de Mme G.... Mme G... ayant sollicité le renouvellement de son titre de séjour, le préfet de la Drôme a, par un arrêté du 8 août 2018, rejeté sa demande et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, d'une décision fixant le pays de renvoi et d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Mme G... fait appel du jugement du 23 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 8 août 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Mme G... soutient que le jugement de première instance est entaché d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation dès lors que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance du 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Ces moyens relèvent toutefois de la contestation du bien-fondé de la décision juridictionnelle et non de sa régularité.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) 1. au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant ; / (...) 5. au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (...) ".
4. Mme G... soutient qu'elle réside habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de la décision contestée. Pour établir sa présence habituelle en France, la requérante ne peut toutefois se prévaloir des pièces libellées au nom de son seul époux. En outre, les pièces produites en appel pour l'année 2008, qui consistent en un état des remboursements effectués par l'assurance maladie et trois ordonnances médicales, faisant état de la réalisation d'actes médicaux au cours des mois de janvier, mars et septembre 2008 ainsi qu'un livret postal non nominatif ne sauraient suffire à établir sa résidence habituelle sur le territoire français au cours de cette année. En outre, si Mme G... produit, au titre de l'année 2009, une ordonnance médicale datée du mois de janvier 2009 et la copie intégrale de l'acte de naissance de son fils Hani né à Romans-sur-Isère le 12 novembre 2009, ces documents ne sauraient démontrer sa résidence habituelle en France en 2009. Enfin, l'attestation établie par le département de la Drôme indiquant qu'elle a bénéficié du versement d'une somme de 120 euros au titre de l'aide sociale à l'enfance le 9 avril 2015 ne permet pas, à elle seule, de considérer que l'intéressée a effectivement résidé de manière habituelle et continue sur le territoire français au cours de l'année 2015. Par suite, Mme G... ne justifie pas d'une présence habituelle en France depuis plus de dix ans à la date de la décision en litige. Dès lors, le préfet de la Drôme n'a pas méconnu les stipulations précitées du 1° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 en refusant de l'admettre au séjour sur ce fondement.
5. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Mme G... fait valoir qu'elle séjourne depuis plus de dix ans en France avec son époux et trois de leurs enfants, Hani né en 2009, Naïma née en 2012 et Kenza née en 2016 et que deux de ces enfants sont scolarisés. La requérante ne justifie toutefois pas de l'ancienneté de sa présence en France durant la période invoquée et ne démontre aucune insertion particulière dans la société française. Son époux fait également l'objet d'une mesure d'éloignement et rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France, et notamment en Algérie, pays dont tous les membres du foyer ont la nationalité, où la requérante a vécu jusqu'à l'âge de vingt-six ans, où elle a conservé des attaches privées et familiales et où ses enfants pourront poursuivre leur scolarité. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, en particulier des conditions de séjour de l'intéressée en France, la décision de refus de titre de séjour contestée ne porte pas au droit de Mme G... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs du refus. Dès lors, elle n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
7. Il résulte de ce qui précède que Mme G... ne remplissait pas, à la date de la décision attaquée, les conditions pour obtenir de plein droit un titre de séjour sur le fondement de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Dès lors, le préfet de la Drôme pouvait légalement prendre à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire français.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme G... s'est vu refuser tout délai de départ volontaire pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. La requérante ne fait état d'aucune circonstance humanitaire qui aurait pu justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour sur le territoire français. Par ailleurs, l'intéressée, qui s'est déjà soustraite à plusieurs mesures d'éloignement, n'établit pas, ainsi qu'il a déjà été dit précédemment, l'ancienneté de son séjour en France. Elle ne justifie pas davantage de liens personnels et familiaux anciens, intenses et stables sur le territoire national autres que son époux, qui se trouve dans la même situation administrative qu'elle, et ses enfants alors qu'elle conserve des attaches privées et familiales dans son pays d'origine. Par suite, le préfet de la Drôme n'a pas méconnu les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... I... épouse G... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Drôme.
Délibéré après l'audience du 26 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme D..., présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 17 décembre 2019.
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N° 18LY04276
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