Procédures devant la cour
I - Par une requête enregistrée le 19 janvier 2020, M. L... F..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2019 du préfet de la Savoie le concernant ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle ou, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, de lui verser cette somme.
M. L... F... soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les articles L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire, enregistré le 17 septembre 2020, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.
II - Par une requête enregistrée le 19 janvier 2020, Mme F... A..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 18 octobre 2019 du préfet de la Savoie la concernant ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Savoie de lui délivrer un titre de séjour mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle ou, en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, de lui verser cette somme.
Mme F... A... soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle méconnaît les articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les articles L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire pour une durée d'un an est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire, enregistré le 17 septembre 2020, le préfet de la Savoie conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.
M. L... F... et Mme F... A... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme J..., première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. L... F... et Mme F... A..., ressortissants vénézuéliens, nés respectivement le 16 avril 1979 et le 16 avril 1977, sont régulièrement entrés sur le territoire français le 22 février 2018. Ils ont déposé des demandes d'asile qui ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides le 19 septembre 2018, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 29 septembre 2019. Par deux arrêtés du 18 octobre 2019, le préfet de la Savoie leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an. M. L... F... et Mme F... A... relèvent appel du jugement du 19 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble, après les avoir jointes, a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
2. Les requêtes enregistrées sous les nos 20LY00274 et 20LY00275 concernent la situation d'un couple de ressortissants étrangers au regard de leur droit au séjour en France. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les obligations de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...), lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 743-1 et L. 743-2 , à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'a indiqué le préfet dans les arrêtés litigieux, les requérants ne sont pas entrés en France de façon irrégulière. Toutefois, pour prendre à leur encontre une obligation de quitter le territoire français, le préfet s'est fondé non sur le 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais sur le 6° de ce même article dans le champ duquel ils entraient. Par suite, cette erreur de fait est sans incidence sur la légalité des arrêtés en cause.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle le préfet de la Savoie a pris les arrêtés litigieux, les requérants résidaient en France depuis seulement vingt mois. Ils se trouvaient tous les deux en situation irrégulière après le rejet de leurs demandes d'asile. Ils ne sont pas dépourvus d'attaches au Venezuela où résident d'autres membres de leur famille. S'ils font état de l'état de santé de M. L... F..., aucune pièce du dossier n'indique qu'il ne peut être soigné qu'en France. Dans ces conditions, alors même qu'ils ont fait preuve d'importants efforts d'intégration et d'apprentissage de la langue française et que leurs filles sont scolarisées en France, les arrêtés litigieux n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ils ont été pris. Le préfet de la Savoie n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en les obligeant à quitter le territoire. Il n'a pas davantage entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur leurs situations personnelles.
7. En troisième lieu, indépendamment de l'énumération donnée par l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des catégories d'étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement, l'autorité administrative ne saurait légalement prendre une obligation de quitter le territoire à l'encontre d'un étranger que si ce dernier se trouve en situation irrégulière au regard des règles relatives à l'entrée et au séjour. Lorsque la loi prescrit que l'intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'éloignement. Toutefois, il résulte de ce qui précède que M. L... F... et Mme F... A... ne peuvent prétendre à un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté.
8. En quatrième lieu, ainsi qu'il vient d'être indiqué, lorsque la loi prescrit l'attribution de plein droit d'un titre de séjour à un étranger, cette circonstance fait obstacle à ce qu'il puisse légalement être l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français. Tel n'est pas le cas de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne prescrivent pas la délivrance d'un titre de plein droit mais laissent à l'administration un large pouvoir pour apprécier si l'admission au séjour d'un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels dont l'intéressé se prévaut. Le législateur n'a ainsi pas entendu imposer à l'administration d'examiner d'office si l'étranger remplit les conditions prévues par cet article ni, le cas échéant, de consulter d'office la commission du titre de séjour quand l'intéressé est susceptible de justifier d'une présence habituelle en France depuis plus de dix ans. Il en résulte qu'un étranger ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 à l'encontre d'une obligation de quitter le territoire français alors qu'il n'avait pas présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de cet article et que l'autorité compétente n'a pas procédé à un examen d'un éventuel droit au séjour à ce titre.
9. En cinquième lieu, les requérants reprennent en appel le moyen invoqué en première instance et tiré de l'insuffisante motivation de ces décisions. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus par le premier juge, ce moyen.
Sur les décisions fixant le pays de destination :
10. En premier lieu, compte tenu de ce qui vient d'être indiqué, M. L... F... et Mme F... A... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité des obligations de quitter le territoire français à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le pays de destination.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Selon l'article 3 de la convention : " Nul ne peut être soumis à la torture, à des peines, ni à des traitements inhumains et dégradants. ".
12. Ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.
13. Les requérants font valoir qu'ils ont quitté le Venezuela après que M. L... F..., qui était officier de police affecté au groupe spécial anti-émeute de Maracaibo, a décidé d'abandonner son poste après avoir, à plusieurs reprises, refusé d'obéir aux ordres de ses supérieurs hiérarchiques et avoir été victime de menaces de partisans du régime. Ils se sont prévalus de ces faits devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis la Cour nationale du droit d'asile, laquelle a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugié au motif que s'il paraissait établi que M. L... F... avait exercé des fonctions au sein de la police vénézuélienne, les circonstances dans lesquelles il avait quitté son poste et la réalité de ses prises de position contre sa hiérarchie n'étaient pas avérées. Pour établir la réalité des risques qu'ils allèguent courir, outre les documents qu'ils avaient produits dans le cadre de leur demande d'asile, qui ne permettent pas suffisamment d'établir les raisons pour lesquelles M. L... F... a quitté la police vénézuélienne, les requérants produisent à l'instance des témoignages de compatriotes, anciens policiers du régime. Toutefois, aucun de ces témoignages ne fait état de la situation personnelle de M. L... F.... Par suite, le préfet de la Savoie, en désignant le pays dont ils ont la nationalité comme pays de destination ou tout autre pays dans lequel ils seraient légalement admissibles, n'a méconnu ni les dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur les interdictions de retour sur le territoire français :
14. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entré et du séjour des étrangers et apatrides dispose que : " III - (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. (...) / La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
15. En premier lieu, M. L... F... et Mme F... A... ne sont pas fondés à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français.
16. En deuxième lieu, les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français, qui exposent les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement, sont suffisamment motivées.
17. En troisième lieu, pour décider d'assortir les obligations de quitter le territoire français d'interdiction de retour sur le territoire d'une durée d'un an, le préfet de la Savoie s'est fondé sur le fait que les intéressés sont entrés en France récemment, qu'ils se trouvent tous les deux en situation irrégulière en France, qu'ils n'y ont pas d'attaches familiales, qu'il n'est pas établi qu'ils n'ont pas d'attaches au Venezuela où ils ont vécu la majeure partie de leur vie. Dans ces conditions, et alors même que leur présence en France ne présente pas une menace pour l'ordre public et qu'ils n'ont pas déjà fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, en leur faisant interdiction de retourner sur le territoire français durant un an, le préfet de la Savoie n'a pas commis d'erreur d'appréciation au regard des critères définis au III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
18. Il résulte de ce qui précède que M. L... F... et Mme F... A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction et celles qu'ils présentent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. L... F... et Mme F... A... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... L... F... et Mme E... F... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.
Délibéré après l'audience du 3décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme B..., première conseillère,
Mme J..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 décembre 2020.
2
N° 20LY00274 - 20LY00275
lf