Par un jugement n° 1507750-1604369 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la réduction, à concurrence des bases correspondant à l'imposition des revenus d'origine indéterminée, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales assignées à M. et Mme C... au titre des années 2009 et 2010 et des pénalités correspondantes et a rejeté le surplus des demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 avril 2018 et le 27 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) de réformer l'article 1er de ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme C... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de rétablir M. et Mme C... au rôle de l'impôt sur le revenu au titre des années 2009 et 2010 en droits et pénalités.
Le ministre de l'action et des comptes publics soutient que :
- le délai de réponse de deux mois à compter de la réception de la demande de justifications a été respecté et la circonstance que l'administration a établi la mise en demeure avant l'expiration de ce délai ne vicie pas la procédure dès lors qu'elle n'a été reçue par le contribuable qu'après l'expiration du délai ;
- la notification des bases imposées d'office est intervenue après l'expiration du délai de réponse total de trois mois ouvert par la réception de la première demande d'éclaircissements ou de justifications et après l'expiration du délai de réponse à la mise en demeure ;
- les contribuables n'ont à aucun moment manifesté leur intention d'apporter ultérieurement d'autres explications et n'ont pas eu recours à la méthode de réponse qui leur avait été proposée ;
- tous les mouvements de compte à compte ont été neutralisés et les contribuables n'ont produit aucun justificatif sur l'origine et la nature des sommes litigieuses ;
- les conclusions de M. et Mme C... relatives aux contributions sociales procédant des revenus de capitaux mobiliers sont nouvelles en appel et donc irrecevables ;
- s'agissant des charges non déductibles des résultats de la SARL Pâtisserie des Alpilles, les revenus ont été imposés sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts et la circonstance que M. C... ne soit pas associé de cette société est sans incidence ; s'agissant du solde débiteur du compte courant de M. C... la circonstance que la somme en cause apparaisse en comptabilité ne fait pas obstacle à la qualification de distribution occulte dès lors que sa comptabilisation ne révèle pas, par elle-même la libéralité en cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2019, Mme C..., représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'article 2 du jugement et à la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales établies au titre des années 2009 et 2010 ainsi que des pénalités correspondantes et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C... soutient que :
- le délai de réponse imparti à compter de la réception de la demande de justifications n'a pas été respecté par la mise en demeure ;
- M. C... n'étant pas associé de la SARL Pâtisserie des Alpilles ne peut être imposé à raison des distributions ;
- les sommes de 10 948 euros pour 2009 et 8 906 euros pour 2010, comptabilisées au titre de frais de déplacement dans les écritures de la société ont été qualifiées à tort d'avantages occultes ;
- l'administration ne prouve pas que les frais de déplacement ne seraient pas expressément mentionnés en comptabilité, ni qu'ils n'auraient pas été inscrits sur le relevé de frais prévu à l'article 54 quater du code général des impôts, ni que sa rémunération aurait été portée à un niveau exagéré du fait de ces avantages ;
- la somme de 56 000 euros, dont le service a établi qu'elle avait été constatée au 31 décembre 2010 dans les écritures de la SARL Pâtisserie les Alpilles, ne présente pas de caractère occulte et ne pouvait être taxée sur le fondement de l'article 111 c) du code général des impôts ;
- l'administration a appliqué à tort une majoration de 25 % aux bases des rappels de contributions sociales, alors qu'une telle majoration a été déclarée incompatible avec la Constitution ;
- le tribunal aurait dû relever d'office l'inapplicabilité de cette majoration.
M. et Mme C... ont produit deux nouveaux mémoires le 2 juillet 2019 et le 24 septembre 2019, lesquels, en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, n'ont pas été communiqués.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel incident tendant à la décharge des contributions sociales mises la charge de M. et Mme C... pour les années 2009 et 2010, qui soulèvent un litige distinct de celui soulevé par l'appel principal, lequel porte exclusivement sur l'impôt sur le revenu.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère,
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... ont fait l'objet, en 2012, d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2009 et 2010 tandis que la SARL Pâtisserie des Alpilles, dont M. C... était gérant salarié, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. A l'issue de ces contrôles, M. et Mme C... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales résultant notamment de la réintégration dans leurs revenus imposables des 2009 et 2010, d'une part, de revenus d'origine indéterminée taxés d'office en application des dispositions combinées des articles L. 16 et L. 69 du livre des procédures fiscales, et d'autre part, de revenus distribués par la SARL Pâtisserie des Alpilles, imposés entre les mains de M. C..., suivant la procédure contradictoire, sur le fondement du 1° du 1. de l'article 109 et du c. de l'article 111 du code général des impôts. Par un courrier du 24 mars 2014, M. et Mme C... ont contesté les impositions, contributions sociales et pénalités mises à leur charge et ont saisi le tribunal administratif de Grenoble suite au rejet implicite de leur demande par l'administration. M. et Mme C... ont ensuite présenté à l'administration, le 29 décembre 2015, une nouvelle réclamation relative à ces mêmes impositions, contributions sociales et pénalités que le directeur départemental des finances publiques de l'Isère a transmise au tribunal administratif de Grenoble par application de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales. Par un jugement du 21 décembre 2017, le tribunal, qui a joint les deux demandes, y a fait partiellement droit et prononcé la réduction, à concurrence des bases correspondant aux revenus d'origine indéterminée des années 2009 et 2010, des compléments d'impôt sur le revenu, des compléments de contributions sociales et des pénalités correspondantes. Par la présente requête, le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement en tant qu'il a prononcé, dans l'article 1er, la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités. Mme C... demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 2 du jugement rejetant le surplus des conclusions des demandes.
Sur l'appel principal :
2. Aux termes de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales : " En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements (...) Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés (...) ". Aux termes de l'article L. 16 A du même livre : " Les demandes d'éclaircissements et de justifications fixent au contribuable un délai de réponse qui ne peut être inférieur à deux mois. / Lorsque le contribuable a répondu de façon insuffisante aux demandes d'éclaircissements ou de justifications, l'administration lui adresse une mise en demeure d'avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours en précisant les compléments de réponse qu'elle souhaite ". Aux termes de l'article L. 69 du même code : " (...) Sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16 ". Il résulte de ces dispositions, qui fixent un délai franc de réponse de deux mois au minimum au contribuable qui a fait l'objet d'une demande d'éclaircissement et de justifications, que l'administration ne peut lui adresser une mise en demeure de compléter sa réponse avant l'expiration du délai de réponse fixé par cette demande en application du premier alinéa de l'article L. 16 A du livre des procédures fiscales.
3. En l'absence de mention de la date de distribution d'un courrier recommandé avec accusé de réception, le pli doit être réputé notifié, non pas à la date de sa présentation au domicile du destinataire, mais à la date du retrait du pli au bureau de poste, laquelle ne saurait être postérieure à la date du cachet de renvoi apposé sur cet avis.
4. En l'espèce, il ressort de la copie de l'accusé de réception du pli contenant la demande d'éclaircissements ou de justifications que, s'il mentionne que le pli a été présenté à son destinataire le 14 juin 2012, il ne précise pas la date de sa distribution ou de son retrait au guichet postal. Cet avis comportant un cachet de renvoi en date du 25 juin 2012, et en l'absence de toute autre explication, le pli doit être regardé comme ayant été notifié à cette date. Le délai de réponse dont disposait le contribuable en vertu des dispositions précitées, expirait donc le 27 août 2012, le 26 août 2012 ayant été un dimanche, soit postérieurement à la notification de la mise en demeure du 22 août 2012 de compléter la réponse, dont il a été accusé réception le 25 août 2012. Il suit de là que le délai imparti par les dispositions de l'article L. 16 A du livre des procédures fiscales a été méconnu.
5. Eu égard à la sanction qui, par l'effet des dispositions de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, est attachée au défaut de production par le contribuable des justifications qui lui sont demandées sur le fondement de l'article L. 16 du même livre, dans le délai assigné, le bénéfice de l'entièreté du délai de deux mois de réponse à la demande d'éclaircissements ou de justification constitue une garantie. La procédure était ainsi irrégulière, sans que n'ait incidence la circonstance, dont se prévaut le ministre, que les contribuables n'ont pas manifesté leur intention de justifier les crédits bancaires en litige avant l'expiration du délai ou le fait qu'au total, ils ont bénéficié d'un délai de trois mois entre la demande d'éclaircissements et de justifications et la notification de la proposition de rectification.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la réduction des compléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales assignés à M. et Mme C... et des pénalités correspondantes à concurrence des bases correspondant aux revenus d'origine indéterminée notifiés des années 2009 et 2010.
Sur l'appel incident :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
7. Mme C... soutient que les premiers juges ont omis de soulever le moyen d'ordre public tiré de ce que la réserve d'interprétation dont la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-610 du 10 février 2017 a assorti la déclaration de conformité à la Constitution des dispositions du c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 fait obstacle à l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts pour le calcul des contributions sociales assises sur les revenus réputés distribués. Toutefois, M. et Mme C... n'ayant soulevé, dans leurs écritures de première instance, aucun moyen à l'encontre des contributions sociales, les premiers juges n'ont pas été amenés à faire application du premier alinéa du 7 de l'article 158 du code général des impôts et n'avaient, dès lors, pas à soulever d'office l'inapplicabilité de ces dispositions.
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu :
8. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; ".
S'agissant des charges réintégrées dans les résultats de la SARL Pâtisserie des Alpilles :
9. Il résulte de la proposition de rectification que l'administration a imposé comme revenus distribués entre les mains de M. C..., sur le fondement du 1. du 1° de l'articles 109 du code général des impôts et du c. de l'article 111 du même code, diverses charges dont elle avait remis en cause la déductibilité des résultats de la SARL Pâtisserie des Alpilles, soit parce qu'ils n'étaient assortis d'aucun justificatif, soit parce que les justificatifs présentés étaient insuffisant pour établir un lien avec les fonctions de M. C..., soit encore parce que, compte tenu de leur nature, l'administration a estimé qu'ils étaient manifestement dépourvus de tout lien avec lesdites fonctions. Les dépenses dont la déductibilité a ainsi été refusée correspondent, pour celles dont la nature est identifiable, pour leur plus grande partie à des achats en supermarché et à des frais de restauration, et pour le reste, à divers frais tels que des dépenses de péage et de carburant, dont certaines ont été exposées à l'étranger, des achats de vêtements, des achats effectués dans des magasins d'électroménager, de bricolage, voire même en bijouterie. Au total, les charges dont l'administration a refusé d'admettre la déductibilité et qu'elle a soumises à l'impôt sur le revenu entre les mains de M. C... s'élèvent à 10 948 euros en 2009 et à 8 906 euros en 2010.
10. Aux termes de l'article 82 du code général des impôts : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (...) ". Le montant du revenu net imposable est déterminé selon les règles prévues par l'article 83 du code général des impôts. Il résulte de ces dispositions que les avantages en argent ou en nature accordés par les employeurs à leurs salariés en sus de leurs émoluments et salaires ont en principe le caractère de salaires et sont imposables en tant que tels, sauf lorsqu'ils n'ont pas été inscrits explicitement dans la comptabilité de l'employeur ou sont manifestement dépourvus de tout lien avec les fonctions salariées. Hors ces deux hypothèses, l'administration ne peut imposer les avantages en argent ou en nature accordés à un salarié dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers que si elle établit que leur octroi à l'intéressé aboutit à porter sa rémunération à un niveau excessif.
11. En l'absence de justificatifs de nature à justifier le bien-fondé de l'inscription comptable en charges des dépenses énumérées au point 9 ci-dessus, ces dépenses présentent un caractère personnel et ne peuvent être regardées comme liées à la fonction de gérant salarié de la SARL Pâtisserie des Alpilles de M. C.... En se bornant à demander que ces sommes soient soumises à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et des salaires, Mme C... ne conteste pas sérieusement que ces dépenses sont manifestement dépourvues de tout lien avec les fonctions salariées. Ainsi, contrairement ce qu'elle soutient, l'administration a pu taxer les revenus correspondants dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.
S'agissant des écritures de compte courant :
12. Il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification que l'administration a taxé une " écriture de distribution ", d'un montant de 56 000 euros, destinée, selon elle, à masquer un compte courant débiteur dans la SARL Pâtisserie des Alpilles sur le double fondement du 1° du 1. de l'article 109 du code général des impôts et du c. de l'article 111 du même code. En se bornant à soutenir que ce revenu ne pouvait pas être taxé sur le fondement du c. de l'article 111, faute de caractère occulte de la distribution, Mme C... ne critique pas utilement cette rectification qui a également pour base légale le 1° du 1. de l'article 109 du code général des impôts.
13. Enfin, l'application des dispositions du 1. du 1° de l'articles 109 du code général des impôts et du c. de l'article 111 du même code n'étant pas subordonnée à la condition que le bénéficiaire des distributions ait la qualité d'associé de la société distributrice, le moyen tiré de ce que M. C... n'était pas associé de la SARL Pâtisserie des Alpilles ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne les contributions sociales :
14. L'appel principal du ministre n'ayant porté que sur l'impôt sur le revenu et les pénalités déchargées par le tribunal administratif, les conclusions de Mme C... relatives aux contributions sociales et aux pénalités correspondantes, présentées par la voie de l'appel incident après l'expiration du délai d'appel, soulèvent un litige distinct et sont, par suite, irrecevables.
15. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'action et des comptes publics et les conclusions de Mme C... présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et à Mme E... C....
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme B..., présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
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N° 18LY01292
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