Procédure devant la cour
I°) Par une requête enregistrée sous le n° 19LY02142 le 6 juin 2019, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 13 mai 2019 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... présentée devant le tribunal administratif.
Le préfet du Rhône soutient que :
- aucune pièce matérielle suffisamment probante n'était versée en première instance par Mme B..., permettant de corroborer son moyen de façon claire et précise ;
- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il ne lui appartient pas de préconiser aux autorités italiennes des modalités d'application particulières de la mesure de réadmission mais seulement de les informer de la situation médicale de Mme B....
Par un mémoire en défense enregistré le 13 septembre 2019, Mme B..., représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administratif et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable faute d'être signée par le préfet ;
- le tribunal administratif n'a commis aucune erreur d'appréciation ;
- subsidiairement, la décision litigieuse est insuffisamment motivée et aucun accord tacite de l'Italie ne pouvait être constaté.
Le préfet du Rhône a produit un nouveau mémoire le 26 septembre 2019, lequel, en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, n'a pas été communiqué.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 août 2019.
II°) Par une requête enregistrée sous le n° 19LY03386 le 30 août 2019, le préfet du Rhône demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement du 13 mai 2019.
Le préfet du Rhône soutient que :
- aucune pièce matérielle suffisamment probante n'était versée en première instance par Mme B..., permettant de corroborer son moyen de façon claire et précise ;
- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il ne lui appartient pas de préconiser aux autorités italiennes des modalités d'application particulières de la mesure de réadmission mais seulement de les informer de la situation médicale de Mme B... ;
- les dispositions de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile font obstacle à l'usage par le juge des pouvoirs généraux d'injonction prévus aux articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 septembre 2019, Mme B..., représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administratif et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable faute d'être signée par le préfet ;
- le tribunal administratif n'a commis aucune erreur d'appréciation ;
- subsidiairement, la décision litigieuse est insuffisamment motivée et aucun accord tacite de l'Italie ne pouvait être constaté.
Le préfet du Rhône a produit un nouveau mémoire le 26 septembre 2019, lequel, en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, n'a pas été communiqué.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- l'arrêt n° 29217/12 du 4 novembre 2014 de la Cour européenne des droits de l'homme ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme C..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante camerounaise née le 11 juin 1986, est, selon ses déclarations, entrée en France en décembre 2018. Elle a présenté une demande d'asile le 7 janvier 2019. Elle a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 mars 2019 par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa remise aux autorités italiennes. Par la requête enregistrée sous le n° 19LY02142, le préfet du Rhône relève appel du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé cet arrêté et lui a enjoint d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... et de lui délivrer une attestation de demande d'asile. Par la requête enregistrée sous le n° 19LY03386, le préfet du Rhône demande le sursis à exécution de ce jugement.
2. Ces deux requêtes présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur la requête n° 19LY02142 :
En ce qui concerne la légalité de la décision de transfert :
3. Aux termes de l'article 17 du règlement 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) ". Aux termes de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relatif aux mesures de transfert vers un autre Etat membre de l'Union européenne : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
4. Par ailleurs, aux termes de son arrêt n° 29217/12 du 4 novembre 2014, la Cour européenne des droits de l'homme a relevé que " si (...) la structure et la situation générale du dispositif d'accueil en Italie ne sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d'asile vers ce pays ", " l'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers de pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d'insalubrité ou de violence, n'est pas dénuée de fondement ", que " les demandeurs d'asile ont besoin d'une " protection spéciale " (...) d'autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême vulnérabilité " et qu'il appartient dès lors à l'Etat membre qui envisage une procédure de remise aux autorités italiennes de s'assurer auprès de celles-ci qu'à leur arrivée en Italie, les personnes concernées seront notamment accueillies dans des structures et dans des conditions adaptées à l'âge des enfants, et que l'unité de la cellule familiale sera préservée.
5. Contrairement à ce que soutient le préfet en appel, il ressort des pièces du dossier que Mme B..., qui était enceinte de plus de cinq mois à la date de la décision en litige, souffre d'une pathologie grave diagnostiquée en France et nécessitant une prise en charge médicale et un suivi particulier de sa grossesse, ne pouvant être interrompus sans conséquences tant pour la mère que pour l'enfant. En outre, il ressort des pièces du dossier que l'enfant à naître devra faire l'objet d'une prise en charge spécialisée à la naissance, en vue d'éviter que la pathologie de sa mère lui soit transmise. Enfin, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a formé auprès des services de l'OFII, une demande d'adaptation de ses conditions d'hébergement pour raisons médicales. Eu égard à sa situation, Mme B... est une personne vulnérable au sens des normes qui régissent l'accueil des personnes demandant la protection internationale. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que c'est par un accord implicite que l'Italie a accepté de la prendre en charge après que les autorités françaises l'aient saisie le 15 janvier 2019.
6. Il résulte de ce qui précède que la décision du préfet du Rhône a pour objet et pour effet de transférer la requérante, enceinte et malade, vers l'Italie, pays qui se trouve toujours confronté à un afflux sans précédent de migrants et peine à répondre à la pression considérable qui pèse sur son régime d'asile, tout particulièrement s'agissant des personnes en situation de vulnérabilité. Ce transfert a été décidé après accord implicite de l'Italie sans que l'administration, n'obtienne aucune précision sur les conditions spécifiques de prise en charge de Mme B... et de son enfant à naître. L'administration ne disposait pas d'éléments suffisants pour être assurée qu'en cas de renvoi vers l'Italie, la requérante et, le cas échéant, son nourrisson seraient pris en charge d'une manière adaptée. Dans ces conditions, le préfet du Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant de la remettre aux autorités italiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile, sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
En ce qui concerne l'injonction prononcée par le tribunal administratif :
7. Le préfet se prévaut des termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile, selon lesquels : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ", pour soutenir que le tribunal administratif ne pouvait lui enjoindre d'enregistrer la demande d'asile de Mme B... en France.
8. Toutefois, les dispositions précitées n'ont pas pour objet ni pour effet de faire obstacle à la mise en oeuvre, par le juge, sur demande du requérant, des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Selon ces dispositions, lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction prescrit, par cette même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution.
9. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme B... vers l'Italie, en l'absence de modification dans sa situation et compte tenu des délais impartis à chaque Etat membre pour prononcer une demande de transfert, cette annulation impliquait nécessairement que les autorités françaises soient responsables de l'examen de sa demande d'asile et qu'ainsi Mme B... soit autorisée à enregistrer sa demande d'asile en France.
10. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que le préfet du Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Lyon a annulé l'arrêté du 6 mars 2019 et lui a enjoint d'enregistrer sa demande d'asile.
Sur la requête n° 19LY03386 :
11. Le présent arrêt ayant statué sur la requête du préfet tendant à l'annulation du jugement du 13 mai 2019, il n'y a plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution.
Sur les frais de l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me E..., avocat de Mme B... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : La requête n° 19LY02142 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 19LY03386.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me E... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme F... B.... Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
Mme A..., présidente-assesseure,
Mme C..., première conseillère.
Lu en audience publique le 19 novembre 2019.
Nos 19LY02142 - 19LY03386
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