Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 10 mars 2020, Mme E..., représentée par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Isère du 8 octobre 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de réexaminer sa demande dans le délai de trente jours et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour dans le délai de 48 heures, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme E... soutient que :
- les premiers juges ont méconnu le caractère contradictoire de l'instruction entachant ainsi le jugement d'irrégularité ;
- le jugement ne vise pas le courrier du 24 janvier 2020 informant les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que le tribunal était susceptible de prononcer d'office une injonction ;
- le jugement ne répond pas expressément au moyen tiré de ce qu'elle établit l'existence d'une communauté de vie stable et effective avec un ressortissant français ;
- le refus de titre de séjour méconnait le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- le préfet de l'Isère a méconnu la circulaire du 28 novembre 2012 en lui opposant ses liens familiaux en Thaïlande.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme D..., première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante thaïlandaise, née en 1985, est entrée en France le 20 octobre 2018, selon ses déclarations. Par un arrêté du 8 octobre 2019, le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme E... relève appel du jugement du 11 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 776-11 du code de justice administrative : " Le président de la formation de jugement ou le rapporteur qui a reçu délégation à cet effet peut, dès l'enregistrement de la requête, faire usage du pouvoir prévu au premier alinéa de l'article R. 613-1 de fixer la date à laquelle l'instruction sera close. Il peut, par la même ordonnance, fixer la date et l'heure de l'audience au cours de laquelle l'affaire sera appelée. Dans ce cas, l'ordonnance tient lieu de l'avertissement prévu à l'article R. 711-2. " Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 6112 à R. 611-6. (...) ". L'article R. 613-2 de ce code dispose que : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne. (...) ". Selon l'article R. 613-3 : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". Enfin, selon l'article R. 613-4 du même code : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l'ordonnance de clôture. / La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction. / Les mémoires qui auraient été produits pendant la période comprise entre la clôture et la réouverture de l'instruction sont communiqués aux parties. "
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance, qu'en application de l'article R. 776-11 du code de justice administrative, le président de la formation de jugement a, par une ordonnance du 12 novembre 2019, fixé la clôture d'instruction de l'affaire au 7 janvier 2020 à 12h00 et l'audience au 28 janvier 2020 à 9h00. Le premier mémoire en défense du préfet de l'Isère a été enregistré au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2020, et a été communiqué le 8 janvier suivant au conseil de Mme E... qui en a accusé réception le 10 janvier à 10h29. Cette communication, postérieure à la clôture d'instruction, a eu pour effet de rouvrir l'instruction. Le conseil de Mme E... disposait alors d'un délai suffisant pour répliquer avant que n'intervienne à nouveau la clôture de l'instruction trois jours francs avant l'audience. Dans ces conditions, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que le caractère contradictoire de l'instruction a été méconnu.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient (...) l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) ".
5. Le visa du courrier par lequel le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction informe les parties, en application de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que la décision à intervenir est susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte, n'est pas au nombre des mentions dont l'article R. 741-2 du code de justice administrative exige qu'elles figurent dans les jugements des tribunaux administratifs. Par suite, la circonstance que le jugement attaqué ne vise pas le courrier du 24 janvier 2020 notifié aux parties n'est pas de nature à en vicier la régularité.
6. En dernier lieu, il résulte des motifs même du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments soulevés par Mme E..., ont expressément répondu aux moyens soulevés devant eux, en particulier ceux tirés de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressée.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Mme E... soutient qu'elle entretient une relation sentimentale avec un ressortissant français depuis juillet 2017, que depuis son arrivée en France en octobre 2018, ils partagent une vie commune et que sa présence aux côtés de son compagnon est indispensable depuis qu'il a subi une opération chirurgicale lourde. Elle soutient également qu'elle a développé des liens personnels en France, qu'elle fait preuve d'une réelle volonté d'intégration, en apprenant le français et en s'investissant dans la vie associative et économique et qu'elle a des projets professionnels. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée récemment en France, après avoir vécu jusqu'à l'âge de trente-trois ans dans son pays d'origine, où elle exerçait le métier de courtière en assurance et où résident les membres de sa famille proche, en particulier ses parents et ses deux frères. Par ailleurs, Mme E..., dont la communauté de vie avec son compagnon est récente, ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que ce dernier a obtenu le divorce le 5 février 2020 et que leur mariage a été célébré le 28 juillet 2020, ces évènements étant postérieurs à la date de la décision de refus d'admission au séjour. Dès lors, cette décision n'a pas porté au droit de Mme E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de l'Isère n'a ainsi méconnu ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. En second lieu, Mme E... ne peut utilement se prévaloir des énonciations de la circulaire du 28 novembre 2012, qui sont dépourvues de caractère impératif.
10. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée et ce, y compris ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme A..., présidente-assesseure,
Mme D..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 février 2021.
2
N° 20LY01003