Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 8 mars 2021, M. et Mme B..., représentés par Me Fréry, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler les arrêtés du préfet de l'Ain du 2 juin 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de délivrer à chacun un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois ou, à défaut, de réexaminer leur situation dans un délai de deux mois et de les munir, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour les autorisant à travailler ;
4°) d'enjoindre à la préfète de procéder sans délai à l'effacement de leur signalement aux fins de non admission dans le Système d'Information Schengen ;
5°) à titre subsidiaire, de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Lyon ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement, qui ne vise ni n'analyse le mémoire produit par la préfète le 19 novembre 2020, est entaché d'irrégularité ;
- l'ensemble des décisions contenues dans les arrêtés litigieux sont entachées d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen particulier de leur situation ;
- les décisions portant refus de séjour méconnaissent le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les obligations de quitter le territoire français dans le délai de trente jours à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire sont illégales du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les décisions fixant le pays de destination sont illégales du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- les décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de six mois sont illégales du fait de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français ;
- elles sont entachées d'une erreur d'appréciation, méconnaissent le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire, enregistré le 24 février 2022, la préfète de l'Ain conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens invoqués par les appelants ne sont pas fondés.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 février 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Lesieux, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né en 1956, et Mme B..., née en 1962, de nationalité kosovare, sont entrés en France respectivement le 14 mars 2011 et le 4 décembre 2011 selon leurs déclarations. Après le rejet de leurs demandes d'asile et de leurs demandes de réexamen de leurs demandes d'asile, le préfet de l'Ain a, par deux arrêtés du 26 août 2013, refusé de les admettre au séjour et a prononcé des obligations de quitter le territoire français dans le délai de trente jours. M. et Mme B... ont alors sollicité leur admission au séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. Par des arrêtés du 22 décembre 2014, le préfet de l'Ain a rejeté ces demandes et a obligé les intéressés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours. M. et Mme B... ont réitéré leurs demandes le 10 mai 2016, le 21 décembre 2017 et le 2 janvier 2019. Leurs premières demandes ont été rejetées par des arrêtés du préfet de l'Ain du 2 septembre 2016 portant également obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, leurs deux autres demandes ont été implicitement rejetées. Par deux arrêtés du 2 juin 2020, le préfet de l'Ain a, une nouvelle fois, rejeté leurs demandes présentées sur le même fondement et a assorti les décisions de refus d'admission au séjour d'obligations de quitter le territoire français dans le délai de trente jours à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire. Il a, par les mêmes arrêtés, fixé le pays de destination et interdit aux intéressés le retour sur le territoire français pour une durée de six mois. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 10 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lyon a, après les avoir jointes, rejeté leurs demandes respectives tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ". Aux termes de l''article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ".
3. Devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte à peine d'irrégularité de sa décision.
4. Il ressort des dossiers de première instance, qu'en application de l'article R. 776-11 du code de justice administrative, la présidente de la 9ème chambre du tribunal administratif de Lyon a, par une ordonnance du 29 juillet 2020, fixé la clôture d'instruction des affaires le 20 octobre 2020 à 12h00. Par des avis d'audience du 24 août 2020, les parties ont été informées de l'inscription des affaires au rôle de l'audience du 20 novembre 2020. La préfète de l'Ain a produit, le 19 novembre 2020, des mémoires qu'elle a inexactement qualifiés de " notes en délibéré ". Par lettres du greffier du 20 novembre 2020, il a été demandé à la préfète de produire de nouveau ces écritures à l'issue de l'audience, ce qu'elle a fait le 23 novembre suivant. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les premiers juges ont visé les notes en délibéré produites par la préfète le 23 novembre 2021. Toutefois, le jugement ne vise pas les observations écrites de la préfète de l'Ain enregistrées au greffe du tribunal le 19 novembre 2020, soit avant l'audience publique du 20 novembre 2020. Le jugement attaqué est ainsi entaché d'une irrégularité. M. et Mme B... sont par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, fondés à demander son annulation.
5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Lyon pour qu'il statue à nouveau sur les demandes de M. et Mme B....
Sur les frais liés au litige :
6. M. et Mme B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Fréry, avocate de M. et Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Fréry de la somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2005173, 2005174 du tribunal administratif de Lyon du 10 décembre 2020 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Lyon.
Article 3 : L'Etat versera à Me Fréry une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Fréry renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et Mme C... D... épouse B..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de l'Ain.
Délibéré après l'audience du 3 mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président,
Mme Evrard, présidente-assesseure,
Mme Lesieux, première conseillère.
Rendu public après mise à disposition au greffe, le 30 mars 2022.
La rapporteure,
S. Lesieux Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M.-Th. Pillet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY00736