Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 mars 2021, M. A..., représenté par Me Blanc, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 15 février 2021 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d'annuler les décisions du préfet de la Haute-Savoie du 8 février 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ou de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet de la Haute-Savoie a méconnu le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire ;
- le préfet de la Haute-Savoie a méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français ;
- le préfet de la Haute-Savoie a méconnu le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français ;
- la décision l'assignant à résidence n'est pas suffisamment motivée ;
- cette décision est en outre injustifiée, eu égard au contexte sanitaire et à la mesure de couvre-feu alors applicable.
Par décision du 7 juillet 2021, le bureau de l'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de M. A....
Par une ordonnance du 8 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 novembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité tunisienne, relève appel du jugement du 15 février 2021 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Haute-Savoie du 8 février 2021 lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'assignant à résidence.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
2. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement (...) ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 (...) ; h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français (...) ".
3. Contrairement à ce qu'indique la décision litigieuse, M. A... disposait alors d'un passeport en cours de validité. Ainsi, il est fondé à soutenir que le préfet de la Haute-Savoie a entaché sa décision d'une erreur de fait et méconnu le 3° f) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en estimant qu'il ne justifiait pas de garanties de représentations suffisantes.
4. Toutefois, il est constant que M. A... s'est maintenu sur le territoire français à l'échéance, survenue le 10 août 2018, du visa de long séjour valant titre de séjour dont il disposait en qualité de conjoint d'une ressortissante française, sans en demander le renouvellement. S'il justifie ce défaut de demande par la rupture de sa relation conjugale, cette circonstance ne saurait constituer une circonstance particulière propre à écarter l'existence d'un risque de fuite, au sens du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De plus, ayant déclaré, lors de son audition par un officier de police judiciaire le 8 février 2021, ne pas souhaiter quitter la France en cas de mesure ordonnant son éloignement vers la Tunisie, M. A... relevait en outre du h) du 3° du II de l'article L. 511-1. Ainsi, le préfet de la Haute-Savoie a pu, sans méconnaître le 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, considérer qu'il existait un risque que l'intéressé se soustraie à la mesure d'éloignement dont il faisait l'objet et refuser, pour ce motif, de lui accorder un délai de départ volontaire.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
6. Il est constant qu'entré sur le territoire français le 18 août 2017, M. A... n'y résidait que depuis trois ans à la date de la décision en litige. Par ailleurs, s'il fait valoir ne pas être divorcé de son épouse, de nationalité française, il reconnaît ne plus entretenir de relation conjugale depuis 2018. Il n'est pas dépourvu d'attaches privées et familiales en Tunisie, où il a vécu jusqu'à l'âge de trente-trois ans et où demeurent, à tout le moins, sa mère et trois des quatre membres de sa fratrie. Enfin, si son père réside en France sous couvert d'une carte de résident permanent, le requérant n'invoque aucun obstacle à ce que celui-ci puisse se rendre régulièrement en Tunisie. Dans ces circonstances, et nonobstant les activités professionnelle et associative dont M. A... se prévaut, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
7. En second lieu, aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier (...) alinéas du présent III (...) sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
8. Comme indiqué au point 4, le préfet de la Haute-Savoie a pu légalement refuser d'accorder un délai de départ volontaire à M. A... et, dès lors, assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français en application du premier alinéa du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aucune des circonstances invoquées par l'intéressé ne constituant une circonstance humanitaire au sens du deuxième alinéa de ces mêmes dispositions. S'agissant de la durée de cette mesure, il résulte de ce qui a été indiqué au point 6 qu'à la date de la décision litigieuse, M. A... ne résidait que depuis trois ans sur le territoire français, où il ne dispose pas de réelles attaches privées et familiales. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du procès-verbal de son audition le 8 février 2021, qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement en 2013. Par suite, et alors même que sa présence sur le territoire français ne constitue pas une menace pour l'ordre public, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, le préfet de la Haute-Savoie aurait méconnu les dispositions précitées.
En ce qui concerne l'assignation à résidence :
9. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants : 1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai (...). La décision d'assignation à résidence est motivée. Elle peut être prise pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois dans la même limite de durée, par une décision également motivée (...) ".
10. En premier lieu, en visant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et plus particulièrement son article L. 561-1, et en rappelant que M. A... fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai et qu'il ne peut quitter immédiatement le territoire français en raison du contexte sanitaire, le préfet de la Haute-Savoie a mentionné l'ensemble des considérations de droit et de fait qui justifient sa décision. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de celle-ci doit dès lors être écarté.
11. En second lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la circonstance que M. A... ne puisse, en raison du contexte sanitaire, regagner son pays d'origine dans l'immédiat constitue une condition préalable à l'adoption d'une mesure d'assignation à résidence et ne saurait, dès lors, faire obstacle à ce qu'une telle mesure soit prononcée à son encontre. En outre, en se bornant à invoquer la mesure de couvre-feu alors en vigueur, laquelle ne comprenait toutefois pas les horaires auxquels il devait se présenter au commissariat de police d'Annecy et la limitation des déplacements nécessitée par la crise sanitaire, M. A... ne démontre ni que cette mesure ne serait pas justifiée, ni que les modalités de contrôle permettant de s'assurer de son respect seraient excessives.
12. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
13. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2022.
La rapporteure,
Sophie Corvellec
Le président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 21LY00792