Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 17 novembre 2014, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 30 juin 2014 ;
2°) d'annuler la décision du 27 juin 2012 par laquelle le préfet de Saône-et-Loire a refusé de faire droit à sa demande de regroupement familial présentée en faveur de son époux ;
3°) d'enjoindre au préfet de Saône-et-Loire, à titre principal, d'autoriser son époux à séjourner en France au titre du regroupement familial ou l'admettre au séjour sur tout autre fondement tout en l'autorisant à travailler, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de regroupement familial, dans les trente jours qui suivront la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte définitive de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, à payer à son conseil, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat à sa mission d'aide juridictionnelle.
Mme C... soutient que :
Sur la régularité du jugement :
- en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative, le jugement n'est pas suffisamment motivé sur le moyen qui avait été soulevé en première instance tiré de l'insuffisante motivation de la décision attaquée qui ne faisait nullement état de son droit au respect de sa vie privée et familiale et ne visait pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la légalité du refus de regroupement familial :
- le motif opposé par le préfet tiré de ce que le mariage a été contracté dans le but exclusif d'obtenir l'introduction en France de M. C...est illégal car le préfet, sur qui repose la charge de la preuve, ne le démontre pas avec les seuls éléments qu'il avance, alors qu'elle justifie de la réalité de cette union ;
- le refus porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2015, le préfet de Saône-et-Loire conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme C...une somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens ne sont pas fondés ;
- il aurait pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur le motif tiré de l'insuffisance des ressources de MmeC....
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 septembre 2014.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord instituant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie en date du 12 septembre 1963, approuvé et confirmé par la décision 64/732/CEE du Conseil du 23 décembre 1963 ;
- la décision n° 1/80 du 19 septembre 1980 du conseil d'association entre la Communauté économique européenne et la Turquie ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que Mme C... néeE..., ressortissante turque, qui séjourne en France depuis le 5 septembre 2013, sous couvert de titres de séjour régulièrement renouvelés, s'est mariée le 21 janvier 2011 avec un compatriote, M. C...; qu'elle a sollicité le bénéfice du regroupement familial en faveur de son époux le 22 févier 2011 ; que, par décision du 22 septembre 2011, le préfet de Saône-et-Loire a refusé de faire droit à sa demande au motif que la demande présentée par l'intéressée relevait d'un " détournement de procédure " ; que le préfet a confirmé le 9 décembre 2011 cette décision à la suite du recours gracieux présenté par Mme C... ; que le 28 décembre 2011, Mme C...a présenté une nouvelle demande de regroupement familial, laquelle a de nouveau été rejetée par décision du 27 juin 2012, pour le même motif et pour le nouveau motif tiré de l'insuffisance des ressources perçues par l'intéressée ; que Mme C... relève appel du jugement en date du 30 juin 2014, par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 27 juin 2012 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant Mme C...fait grief au jugement de ne pas avoir suffisamment motivé sa réponse au moyen qu'elle avait soulevé, tiré de ce que la décision litigieuse n'était pas suffisamment motivée, notamment au regard de l'atteinte portée à sa vie privée et familiale ; que, toutefois, en retenant, comme il l'a fait, que, conformément aux dispositions de l'article 3 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, l'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement et est en conséquence suffisamment motivé, le tribunal administratif de Grenoble, qui n'était pas tenu de répondre explicitement aux différents arguments présentés par Mme C...au soutien de son moyen, a suffisamment motivé son jugement ;
Sur la légalité du rejet de la demande de regroupement familial :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " ; qu'aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 351-9, L. 351-10 et L. 351-10-1 du code du travail. Les ressources doivent atteindre un montant qui tient compte de la taille de la famille du demandeur. Le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 441-1 fixe ce montant qui doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la personne qui demande le regroupement familial est titulaire de l'allocation aux adultes handicapés mentionnée à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale ou de l'allocation supplémentaire mentionnée à l'article L. 815-24 du même code ; (...) " ;
4. Considérant que pour refuser d'accorder à Mme C...le bénéfice du regroupement familial au profit de son conjoint, le préfet de Saône-et-Loire s'est fondé, d'une part, sur le fait que la demande de regroupement familial procédait d'un " détournement de procédure " et, d'autre part, sur la circonstance que les ressources de Mme C...n'étaient pas suffisantes ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions prévues à l'article 47 du code civil. " ; qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte d'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait loi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié, ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " ; que cet article pose une présomption de validité des actes établis par une autorité étrangère ; qu'il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ; qu'en se bornant à faire valoir que le mariage de M. et Mme C...n'était pas sincère, puisque celui-ci avait été " arrangé " entre deux familles, que Mme C...n'avait rencontré son conjoint pour la première fois qu'un mois avant de l'avoir épousé, et que l'objectif de cette union était de faire bénéficier à M.C..., qui avait vécu plusieurs années irrégulièrement en France et avait fait l'objet de plusieurs mesures d'éloignement, d'une procédure de regroupement familial, la demande ayant été présentée un mois après le mariage des intéressés, le préfet de la Saône-et-Loire n'apporte pas la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité du mariage de M. et MmeC..., alors que le caractère " arrangé " d'un mariage, résultant de traditions familiales ou culturelles, ne suffit pas à révéler le caractère frauduleux de celui-ci et que la naissance de leur premier enfant en 2014 révèle, en l'espèce, que l'intention matrimoniale de M. et Mme C...était réelle ; que, par suite, le préfet de Saône-et-Loire ne pouvait se fonder sur le motif tiré d'un " détournement de procédure " pour rejeter la demande présentée par MmeC... ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, le préfet de Saône-et-Loire s'est également fondé, pour rejeter la demande de regroupement familial présentée par Mme C...au profit de son époux sur la circonstance qu'elle ne disposait pas de ressources suffisantes ; qu'en appel, la requérante, dont la moyenne brute annuelle des rémunérations entre le 1er décembre 2010 et le 31 novembre 2011 était très largement inférieure au SMIC, ne conteste plus la légalité de ce motif ; qu'il résulte de l'instruction que le préfet aurait pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur ce motif ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; qu'à la date de la décision litigieuse, Mme C...n'était mariée avec M. C...que depuis un an et demi et n'avait pas d'enfant ; que, par suite, la décision litigieuse n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C...une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ; que le moyen tiré de ce que le refus opposé par le préfet de Saône-et-Loire méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, en conséquence, être rejeté ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles qu'elle présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit, dans les circonstances de l'espèce, aux conclusions présentées par le préfet de la Saône-et-Loire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le préfet de Saône-et-Loire sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E...épouse C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 2 février 2016, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er mars 2016.
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N° 14LY03500
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