Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire ampliatif, enregistrés le 29 janvier 2018 et le 27 mars 2018, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 12 octobre 2017 ;
2°) d'annuler ces arrêtés ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision de transfert :
- l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 a été méconnu, les pièces versées aux débats par une autorité qui n'avait plus de délégation pour défendre au contentieux devant en être écartées, le mémoire en défense de la préfecture étant irrecevable ;
- la seule motivation de la décision ne permet pas de savoir pourquoi la France a considéré que l'Italie serait l'état responsable de l'examen de sa demande d'asile ;
- dès lors qu'elle n'a jamais déposé de demande d'asile en Italie, l'Etat aurait dû saisir l'Italie d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 18 (1) a du règlement, faute de quoi la décision querellée est entachée d'une erreur de droit et d'une absence d'examen particulier de sa situation ;
- il n'est pas démontré que la procédure a été menée par une personne dûment habilitée au sens du droit communautaire ;
- la décision méconnaît les dispositions des articles 3.2 et 17 du règlement UE n° 604/2013 et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des défaillances existantes dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article 3-1 de la convention de New York.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
- elle repose sur un acte illégal ;
- elle est insuffisamment motivée et repose souffre d'un défaut d'examen sérieux et particulier ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Le bureau d'aide juridictionnelle a constaté la caducité de la demande d'aide juridictionnelle de Mme B... le 19 décembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure,
- les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant MmeB... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., de nationalité nigériane, a présenté une demande d'asile au guichet unique d'accueil de la préfecture du Rhône le 5 mai 2017. Le relevé de ses empreintes a fait apparaître qu'elle avait demandé l'asile en Italie le 23 juin 2016. Par arrêté du 5 septembre 2017, notifié le 6 octobre suivant, le préfet du Rhône a ordonné son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa première demande d'asile, et l'a, par arrêté du 6 octobre 2017, assignée à résidence dans le département du Rhône dans l'attente de ce transfert. Mme B... relève appel du jugement du 12 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande dirigée contre ces arrêtés.
Sur les conclusions en annulation :
2. Aux termes de l'article L. 741-1 d du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Aux termes de l'article L. 742-1 de ce code : " (...) Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ".
3. Le premier paragraphe de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé règlement Dublin III prévoit que la demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride " est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable ". Le premier paragraphe de l'article 17 de ce règlement dispose que : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Le point 13 des motifs de ce règlement précise : " Conformément à la convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant de 1989 et à la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'intérêt supérieur de l'enfant devrait être une considération primordiale des États membres lorsqu'ils appliquent le présent règlement. Lorsqu'ils apprécient l'intérêt supérieur de l'enfant, les États membres devraient en particulier tenir dûment compte du bien-être et du développement social du mineur (...) ".
4. Même lorsque le droit international ou communautaire leur permet de confier cet examen à un autre Etat, les autorités françaises conservent la possibilité d'assurer le traitement d'une demande d'asile. Cette possibilité, qui s'exerce sous le contrôle du juge, leur est ouverte même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, ainsi que cela résulte de l'arrêt C-578/16 PPU de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2017.
5. D'une part, il ressort des pièces versées au dossier qu'à la date de la décision de transfert, Mme B..., âgée de 21 ans et sa fille, alors âgée de neuf mois, bénéficiaient d'une prise en charge, engagée en octobre 2016, par les services de l'aide sociale à l'enfance. Dans le cadre de cette prise en charge, l'enfant était accueillie en crèche dans le cadre d'un partenariat de cette structure avec le foyer d'accueil où elles résident. Il ressort des pièces du dossier que l'enfant, qui peut être accueillie dans cette structure jusqu'en classe de maternelle et s'est adaptée à son nouveau lieu de vie avec difficultés, commençait, à la date de l'arrêté attaqué, tout juste à être suffisamment sécurisée pour s'éloigner un peu de l'adulte et tisser des liens avec les enfants de la crèche et les professionnelles qui l'accompagnaient depuis six mois. Le transfert de Mme B... et de sa toute jeune fille vers l'Italie mettrait fin à ce processus. Il est par ailleurs constant que Mme B..., dont l'entretien prévu par le règlement (UE) n° 604/2013 s'est déroulé en français, parle cette langue, ne parle pas l'italien et n'a aucune attache en Italie.
6. D'autre part, si l'Italie est un membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention relative au statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il ressort des pièces du dossier, et en particulier des nombreux rapports et articles produits aux débats, que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants, que le régime d'asile italien est exposé à une pression considérable et se trouve en grande difficulté pour traiter les demandes d'asile liées à cette afflux sans précédent. Cette situation est reconnue et déplorée par les autorités italiennes elles-mêmes. Ces difficultés ont donné lieu, en 2015, à l'adoption de mesures provisoires, dérogeant à la mise en oeuvre des critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile inscrits au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 conduisant à désigner l'Italie, et qui, prévues pour une durée de deux ans ont pris fin à compter du 26 septembre 2017, après l'adoption de l'arrêté de transfert mais avant sa notification.
7. Il résulte de ce qui précède que la décision de remise de Mme B... aux autorités italiennes a pour effet d'interrompre la prise en charge dont bénéficient cette jeune mère et son bébé de neuf mois, qu'elle élève seule, et qui permet à cette famille en situation vulnérable de trouver, malgré la précarité de sa situation, les conditions d'un développement social harmonieux de l'enfant, pour les transférer vers l'Italie, pays dont elle ne maîtrise pas la langue et qui se trouve confrontée aux difficultés évoquées au point précédent. Cette décision a été prise au simple motif que Mme B... avait présenté une demande d'asile dans ce pays en mai 2016. Dans ce contexte particulier, l'intéressée est fondée à soutenir qu'en décidant, au vu de l'existence d'une précédente demande d'asile, de la remettre aux autorités italiennes pour qu'elles examinent sa demande d'asile, sans mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 précité du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet du Rhône, qui n'a pas suffisamment pris en compte l'intérêt de l'enfant, a entaché son arrêté de transfert d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la décision du 5 septembre 2017 doit être annulée. Son annulation doit entraîner par voie de conséquence celle de l'arrêté du 6 octobre 2017 jour portant assignation à résidence, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens invoqués à l'encontre de cet arrêté.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
10. Les dispositions précitées n'ont pas pour objet, ni pour effet de faire obstacle à la mise en oeuvre, par le juge, sur demande du requérant, des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative. Selon ces dispositions, lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction prescrit, par cette même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution.
11. Eu égard au motif de l'annulation de la décision de transfert de Mme B... vers l'Italie, et en l'absence de modification dans la situation, cette annulation implique nécessairement que les autorités françaises soient responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Rhône de lui délivrer, le temps de cet examen, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiant de l'examen par les autorités françaises de la demande d'asile de l'intéressé et de fixer à quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, le délai de délivrance de cette attestation.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 12 octobre 2017, la décision de transfert du 5 septembre 2017 et la décision d'assignation à résidence du 6 octobre 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de délivrer à Mme B..., dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt, l'attestation de demande d'asile mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile justifiant de l'examen par les autorités françaises de sa demande d'asile.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 2 octobre 2018.
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N° 18LY00381
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