Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 août 2015, le préfet de l'Isère, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 août 2015 ;
2°) de rejeter, par la voie de l'effet dévolutif, la demande de Mme B...présentée devant le tribunal administratif.
Le préfet de l'Isère soutient que la situation de Mme B...ne justifiait pas que la décision portant remise aux autorités maltaises soit annulée pour erreur manifeste d'appréciation au seul motif que sa mère, de nationalité française, réside en France, alors qu'elle est majeure, autonome, célibataire et sans enfant et qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de 27 ans en Algérie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2015, Mme A...B..., représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'État une somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a annulé la décision de remise pour erreur manifeste d'appréciation, car le préfet aurait dû faire application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 lui permettant de reconnaître la France responsable de sa demande d'asile ; en effet, sa mère, chez qui elle réside, ainsi que deux de ses frères sont de nationalité française, elle ne parle pas anglais et son état psychique nécessite un suivi psychologique dans un environnement familial adapté ;
- le préfet a adopté cette décision sans procéder à un examen de sa situation individuelle, notamment au regard de se liens familiaux en France, alors qu'elle en avait fait état dans sa demande d'asile ;
- la décision portant assignation à résidence, prévoyant une obligation de pointage à raison de trois fois par semaine, est disproportionnée par rapport à ce qui est strictement nécessaire.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, par courrier du 4 novembre 2016, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du défaut de base légale de l'arrêté du 7 août 2015 portant assignation à résidence de Mme B...sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cet article ne permettant pas, à cette date, d'assigner à résidence un étranger faisant l'objet d'une décision de remise à un autre Etat membre en application du règlement (UE) n° 604/2013.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;
- le décret n° 2015-1364 du 28 octobre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, premier conseiller ;
1. Considérant que Mme A...B..., ressortissante algérienne, née le 17 novembre 1987, est entrée en France le 8 février 2015, munie d'un visa de court séjour délivré par les autorités maltaises, valable du 5 février 2015 jusqu'au 27 février 2015 ; qu'elle s'est présentée à la préfecture de l'Isère le 31 mars 2015 en vue de déposer une demande d'asile ; que, par arrêté du 26 mai 2015, le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre provisoirement au séjour ; que les autorités maltaises, saisies le 5 mai 2015 d'une demande de reprise en charge au motif que la France n'était pas l'Etat responsable de l'examen de sa demande, au sens de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont fait connaître leur accord pour la reprendre en charge ; que le préfet de l'Isère relève appel du jugement du 13 août 2015, par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 7 août 2015 décidant la remise aux autorités maltaises de Mme B... et portant assignation à résidence de l'intéressée ;
Sur le motif d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. " ; qu'aux termes de l'article 12 du même règlement : " (...) 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'Etat membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale (...) / 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres. " ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) " ;
3. Considérant qu'en application des dispositions précitées des articles 7 et 12 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé, les autorités maltaises, qui avaient délivré à Mme B... un visa, valable du 5 février 2015 au 27 février 2015, lui ayant permis d'entrer en France le 8 février 2015, et qui était périmé depuis moins de six mois lors du dépôt de sa demande d'asile le 31 mars 2015 en France, étaient responsables de l'examen de sa demande ; que, contrairement à ce qu'a jugé le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble, la seule circonstance que la mère de Mme B..., chez qui elle est hébergée depuis son arrivée en France, soit de nationalité française et qu'elle n'ait pas d'attaches familiales à Malte, ne suffit pas à démontrer que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire pour reconnaître la France responsable de l'examen de sa demande d'asile, alors qu'elle n'est arrivée en France qu'à l'âge de vingt-sept ans ; que, si Mme B... fait également valoir, ainsi qu'en atteste le médecin qui la suivait en Algérie depuis l'âge de dix-sept ans, qu'elle est atteinte d'un traumatisme psychologique lié à un sentiment d'abandon et des menaces d'un mariage forcé, l'ayant conduit à faire plusieurs tentatives de suicide et que son état psychique nécessite un suivi psychologique dans un environnement familial adapté, proche de sa mère, certificat corroboré par un médecin français, il ne ressort pas des pièces du dossier que le suivi de l'intéressée, qui n'a pas présenté de demande de titre de séjour en se prévalant de son état de santé, suivi dont elle bénéficie depuis plus de dix ans en Algérie, ne pourrait se poursuivre, le temps de l'instruction de sa demande d'asile, à Malte ; que, si elle fait valoir qu'elle ne parle pas anglais, rendant ainsi plus difficile son suivi, il ressort des pièces du dossier qu'elle ne parle pas le français, qu'elle a commencé à apprendre à son arrivée en France ; que, par suite, le préfet de l'Isère n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui permet à un Etat d'examiner la demande d'asile d'un demandeur même si cet examen ne lui incombe pas en application des critères fixés dans ce règlement ;
4. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté portant remise aux autorités maltaises :
5. Considérant que l'arrêté litigieux, après avoir rappelé les conditions d'entrée et de séjour de Mme B... en France, indique que les autorités maltaises, saisies d'une demande de reprise en charge de l'intéressée sur le fondement de l'article 18-1 b du règlement (UE) n° 604-2013, ont accepté celle-ci ; que cette décision comporte ainsi les motifs de droit et de fait qui la fondent ; que, dès lors la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté ordonnant sa remise aux autorités maltaise n'est pas suffisamment motivé ; que le préfet n'était pas tenu d'expliciter les motifs pour lesquels il a décidé, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas conserver l'examen de la demande d'asile de Mme B... sur le fondement de l'article 16 ou de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ; que Mme B... ne peut utilement faire valoir que la motivation de cette décision révèlerait un défaut d'examen, au regard de ces articles, de sa situation personnelle ;
6. Considérant qu'il ressort des termes de la décision litigieuse que le préfet de l'Isère a procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme B... ; que, dès lors, la requérante n'est pas fondée à soutenir que cette décision est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle, notamment au regard des articles 16 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013;
7. Considérant qu'aux termes de l'article 16 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Personnes à charge / 1. Lorsque, du fait d'une grossesse, d'un enfant nouveau-né, d'une maladie grave, d'un handicap grave ou de la vieillesse, le demandeur est dépendant de l'assistance de son enfant, de ses frères ou soeurs, ou de son père ou de sa mère résidant légalement dans un des États membres, ou lorsque son enfant, son frère ou sa soeur, ou son père ou sa mère, qui réside légalement dans un État membre est dépendant de l'assistance du demandeur, les États membres laissent généralement ensemble ou rapprochent le demandeur et cet enfant, ce frère ou cette soeur, ou ce père ou cette mère, à condition que les liens familiaux aient existé dans le pays d'origine, que l'enfant, le frère ou la soeur, ou le père ou la mère ou le demandeur soit capable de prendre soin de la personne à charge et que les personnes concernées en aient exprimé le souhait par écrit. " ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment pas des deux certificats médicaux produits par Mme B..., que celle-ci est, au sens de ces dispositions, dépendante de l'assistance de sa mère qui réside en France ; que, par suite, le préfet de l'Isère, qui n'avait pas à viser cet article et à expliquer, dans la décision portant remise aux autorités maltaises, les raisons pour lesquelles il n'avait pas entendu faire application de cet article, alors au surplus qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il avait été informé de l'état de santé de l'intéressée, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne retenant pas la responsabilité de la France pour examiner sa demande d'asile au regard de l'application de ces dispositions ;
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
8. Considérant, d'une part, qu'aux termes de L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ; (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives, propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation. (...) " ;
9. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, publiée au Journal Officiel de la République française le 30 juillet 2015 : " Les dispositions de l'article L. 531-1 sont applicables, sous la réserve mentionnée à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 741-4, à l'étranger qui demande l'asile, lorsqu'en application des dispositions des conventions internationales conclues avec les Etats membres de l'Union européenne l'examen de cette demande relève de la responsabilité de l'un de ces Etats. " ;
10. Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 que le législateur n'a entendu abroger les dispositions relatives aux décisions de remise d'un étranger à un autre Etat membre prises sur le fondement du règlement (UE) n° 604/2013, initialement codifiées à l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'à compter de l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, issues de cette loi, relatives aux décisions de transfert d'un demandeur d'asile à un autre Etat membre sur le fondement de ce même règlement et applicables pour les demandes d'asile présentées après le 1er novembre 2015 ; qu'en l'espèce, MmeB..., qui a fait l'objet d'une décision de remise aux autorités maltaises le 7 août 2015, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile tel qu'issu de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, pouvait faire l'objet d'une décision de remise sur le fondement de l'article L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction demeurée en vigueur temporairement ; que, par suite, elle entrait dans le champ des dispositions de l'article L. 561-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet a pu décider de l'assigner à résidence sur le fondement de ces dispositions ;
11. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'administration pouvait légalement, eu égard aux conditions prévues à l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précité, prendre une mesure d'assignation à résidence à l'encontre d'un étranger et de vérifier que l'administration n'a pas commis d'erreur d'appréciation dans le choix des modalités de cette mesure d'assignation ;
12. Considérant que l'arrêté dispose que Mme B... devra se présenter trois fois par semaine au commissariat de Vienne aux fins de contrôle ; que, si Mme B... fait valoir que ces obligations sont excessives, eu égard à son état de santé, elle ne justifie pas nécessiter des soins qui feraient obstacle à ce qu'elle respecte ces obligations ; que, par suite, le préfet n'a pas commis d'erreur d'appréciation en décidant d'assortir la décision d'assignation à résidence de ces mesures ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 7 août 2015 portant remise de Mme B... aux autorités maltaises et assignation à résidence de l'intéressée ; que, par suite, les conclusions présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble aux fins d'injonction et celles tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées également en appel, doivent être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1505000 du 13 août 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au préfet de l'Isère et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2016, à laquelle siégeaient :
M. Fraisse, président de la cour,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Duguit-Larcher, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 janvier 2017.
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N° 15LY02838