Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 juillet 2014 la SA Dupessey, représentée par la SELARL Artem Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance n° 1004225 du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble en date du 27 mai 2014 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 018 250 euros en réparation du préjudice résultant pour elle de la restitution tardive de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le prix des péages ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité, aucune des dispositions des 3°, 6° et 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ne permettant le jugement par ordonnance de sa demande de première instance ;
- en n'exécutant pas l'arrêt de la CJCE déclarant incompatible avec le droit communautaire l'exonération de taxe sur les péages dès l'année 2000 l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- cette faute est à l'origine d'un préjudice constitué par l'impossibilité d'investir et de réaliser des bénéfices complémentaires ;
- elle établit la réalité de son préjudice en identifiant les créances de TVA relatives aux années 1996 à 2000 qu'elle a comptabilisées en 2006 et 2007 étant précisé qu'une contentieux est toujours pendant en ce qui concerne la TVA acquittée pour les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2014, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête ; il fait valoir qu'il s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée ; qu'il appartenait aux usagers de tirer les conséquences de l'arrêt de la CJCE en déposant une réclamation, ce que n'a pas fait la requérante ; que l'Etat n'a dès lors commis aucune faute ; que la requérante ne justifie pas du montant de ses créances ; qu'elle ne justifie pas davantage de la réalité d'un préjudice en l'absence de perspective de nouveaux clients ; qu'à supposer le préjudice établi, aucun lien de causalité avec le comportement de l'Etat n'est établi ; que la TVA litigieuse a pu être déduite en charge par les entreprises.
Par un mémoire enregistré le 24 juillet 2015, la SA Depessey persiste dans ses conclusions et moyens et soutient en outre que son préjudice peut être réparé sur le terrain de la perte de chances.
Par un mémoire enregistré le 31 août 2015 le ministre de l'économie et des finances persiste dans ses conclusions et moyens.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bourrachot, président,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de Me A...-lanier, représentant la SA Dupessey.
1. Considérant que la société requérante, exerce une activité de transporteur routier, à l'occasion de laquelle elle acquitte des péages dont le code général des impôts prévoyait une exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour la période antérieure au 1er janvier 2001 ; que, par une décision du 12 septembre 2000, la Cour de justice des Communautés européennes a jugé contraires aux dispositions des articles 2 et 4 de la sixième directive du 17 mai 1977 les dispositions du code général des impôts desquelles il résultait que n'étaient pas imposables à la taxe sur la valeur ajoutée les péages perçus en contrepartie de l'utilisation d'ouvrages de circulation routière, dans la mesure où ce service n'était pas fourni par un organisme de droit public agissant en qualité d'autorité publique ; que le I de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 a abrogé, à compter du 1er janvier 2001, les dispositions du 1-h de l'article 266 du code général des impôts et de l'article 273 ter du même code instaurant un régime spécifique de taxe sur la valeur ajoutée consistant à imposer les concessionnaires d'autoroutes sur la seule fraction des péages conservée en rémunération des prestations de construction et de gestion des autoroutes rendues à l'Etat et à interdire la déduction par ces concessionnaires de la taxe afférente aux travaux de construction et aux grosses réparations des ouvrages concédés ; que le VII du même article disposait : " Les exploitants d'ouvrages de circulation routière dont les péages sont soumis à la taxe sur la valeur ajoutée peuvent formuler des réclamations contentieuses tendant à l'exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant, le cas échéant, grevé à titre définitif les travaux de construction et de grosses réparations qu'ils ont réalisés à compter du 1er janvier 1996 au titre d'ouvrages mis en service avant le 12 septembre 2000. Le montant restitué est égal à l'excédent de la taxe sur la valeur ajoutée qui a ainsi grevé les travaux sur la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages qui n'a pas été acquittée du 1er janvier 1996 au 11 septembre 2000 " ; que, par un courrier adressé le 27 février 2001 au délégué général de la fédération nationale des transports routiers, le secrétaire d'Etat au budget a précisé que les entreprises de transport routier étaient autorisées à déduire dans les conditions de droit commun la taxe qu'elles supportaient depuis le 1er janvier 2001, mais ne pouvaient se voir rembourser la taxe à laquelle les services qu'elles avaient utilisés n'avaient pas été soumis ; que, par un courrier du 15 janvier 2003, adressé, au nom du ministre, au président du comité des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes, le directeur de la législation fiscale a indiqué qu'à l'exception de celles qui avaient sollicité et obtenu une restitution de taxe conformément aux dispositions du VII de l'article 2 de la loi du 30 décembre 2000, les sociétés concessionnaires n'étaient pas fondées à délivrer des factures rectificatives faisant apparaître la taxe sur la valeur ajoutée au titre des péages acquittés avant le 1er janvier 2001 ; que, par la décision n° 268681 du 29 juin 2005, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que les dispositions de l'article 271 du code général des impôts ouvraient aux transporteurs routiers assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée le droit de déduire, sous réserve des conditions relatives à l'exercice du droit à déduction et tenant notamment à la détention de factures, la taxe exigible au titre des péages autoroutiers, sans que la circonstance que la taxe n'aurait pas été acquittée par les sociétés concessionnaires d'autoroutes au titre des péages perçus avant le 1er janvier 2001 fît obstacle, pour les transporteurs routiers, à l'exercice du droit à déduction pour les péages antérieurs à cette date ; qu'il a aussi jugé que les sociétés concessionnaires d'autoroutes, dès lors que la taxe sur la valeur ajoutée était exigible au titre des péages acquittés par les transporteurs routiers assujettis à cette imposition, devaient délivrer à ces derniers, à leur demande, une facture mentionnant la taxe exigible ; qu'il a, en conséquence, annulé les courriers du 27 février 2001 et du 15 janvier 2003 mentionnés ci-dessus ; que, compte tenu du fait que, dans un premier temps, les sociétés concessionnaires d'autoroutes, incitées à une telle attitude notamment par les termes de la lettre du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale, n'ont pas donné suite aux demandes des transporteurs routiers tendant à la délivrance de factures rectificatives, le délai dont disposaient ces derniers pour produire de telles factures a été décompté à partir du moment où ils ont été en mesure, grâce au dispositif de téléchargement de factures rectificatives par Internet mis en place au cours de l'année 2006, d'obtenir de telles factures ; que l'administration fiscale a enfin précisé les modalités d'exercice du droit à déduction de la taxe exigible au titre de ces péages, reconnu aux transporteurs routiers assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée en application de l'article 271 du code général des impôts, dans les réponses ministérielles à MM. C...etB..., députés, publiées aux JOAN des 5 décembre 2006 et 26 décembre 2006 nos 107775 et 109923, p. 12745 et 13646, aux termes desquelles " les entreprises de transport routier sont fondées à récupérer la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages qu'elles ont acquittés entre 1996 et 2000, soit par voie d'imputation directe sur leur déclaration de chiffre d'affaires et le cas échéant par le remboursement de crédit de taxe en résultant, soit par voie de réclamation contentieuse à l'appui desquelles elles devront apporter des justificatifs " ;
2. Considérant que la société requérante a imputé sur ses déclarations de chiffre d'affaires au cours des années 2006 et 2007 la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les péages qu'elle a estimé avoir nécessairement acquittée ; que le 30 décembre 2009 la société requérante a formé une demande d'indemnité signifiée par voie d'huissier au ministre du budget ; qu'après le rejet de cette demande par une décision implicite, la société requérante a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 018 250 euros en réparation du préjudice résultant pour elle de la restitution tardive de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le prix des péages ; que la société requérante relève appel de l'ordonnance du 27 mai 2014 par laquelle le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les (...) présidents des formations de jugement peuvent, par ordonnance : (...) 3° Constater qu'il n'y a plus lieu de statuer sur une requête (...) 6° Statuer sur les requêtes relevant d'une série, qui (...) présentent à juger en droit et en fait, pour la juridiction saisie, des questions identiques à celles qu'elle a déjà tranchées ensemble par une même décision passée en force de chose jugée (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours (...) les requêtes ne comportant que (...) des moyens irrecevables (...) " ;
4. Considérant que le présent litige n'a pas donné lieu en première instance au constat d'un non-lieu à statuer ; qu'il n'est pas établi qu'il relèverait d'une série et ne présenterait à juger que des questions identiques à celles qui auraient été déjà tranchées par le tribunal administratif de Grenoble ; que l'ordonnance attaquée ne précise pas davantage ceux des moyens qu'elle a entendu écarter comme irrecevables ; que, dès lors, l'ordonnance attaquée ne pouvait se fonder sur les dispositions précitées des 3°, 6° et 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative ; que, par suite, il y a lieu d'annuler cette ordonnance entachée d'irrégularité ;
5. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société requérante devant le tribunal administratif de Grenoble ;
Sur la demande de première instance et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription :
6. Considérant qu'il est constant que la société requérante n'a saisi l'administration fiscale d'aucune demande tendant à la restitution d'excédent de taxe sur la valeur ajoutée versée, au remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée qui serait né au cours de la période en litige et au versement d'intérêts moratoires qui, en principe, répare le retard de l'administration fiscale dans le versement ou le remboursement de sommes dues à l'assujetti ; qu'elle a en définitive opté pour la possibilité de déduire la taxe sur la valeur ajoutée sur les périodes postérieures ; qu'alors que cette faculté lui était ouverte dès l'intervention de l'arrêt susmentionné de la Cour de justice des communauté européennes, elle ne l'a exercée qu'à partir de l'année 2006 ; que l'instruction administrative 3 A-4-01 du 27 février 2001 ne comportait aucune prescription relative à la période antérieure au 1er janvier 2001 ; que la requérante peut être regardée comme invoquant également l'illégalité fautive de la lettre du 27 février 2001 du secrétaire d'Etat au budget, refusant par principe la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux péages acquittés avant le 1er janvier 2001, annulée par la décision du Conseil d'Etat n° 268681 du 29 juin 2005 comme méconnaissant la portée des dispositions des articles 256 et 271 du code général des impôts et l'illégalité fautive de la lettre du 15 janvier 2003 du directeur de la législation fiscale, selon laquelle les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne sont pas fondées à délivrer des factures rectificatives comportant la mention de la taxe sur la valeur ajoutée aux transporteurs routiers au titre de la période antérieure au 1er janvier 2001, annulée par la même décision comme contraire aux dispositions de l'article 289 du code général des impôts combinées avec celles du VII de l'article 2 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces deux lettres auraient eu pour effet de dissuader la requérante de faire une réclamation et de demander aux sociétés concessionnaires de lui établir des factures rectificatives ou même de différer de telles demandes ; qu'elle n'a d'ailleurs jamais formé de telles demandes même après l'intervention de la décision du Conseil d'Etat ; que, dans ces conditions, le préjudice dont se plaint la requérante trouve ainsi intégralement et exclusivement sa cause dans son propre comportement ; qu'elle n'est ainsi pas fondée à en demander la réparation à l'Etat ;
Sur les frais non compris dans les dépens :
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à la SA groupe Dupessey une somme au titre des frais exposés en première instance et en appel et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Grenoble en date du 27 mai 2014 est annulée.
Article 2 : La demande de la SA Dupessey devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA Dupessey est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Dupessey et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2016.
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N° 14LY02409
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