Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 24 avril 2014 et le 9 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 18 février 2014 en tant qu'il a accordé, en son article 1er, la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle mises à la charge de la SAS Messer France au titre des années 2003 à 2005 ;
2°) d'annuler l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 18 février 2014 en tant qu'il a décidé le versement par l'Etat à la SAS Messer France de la somme de 1000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de rétablir la SAS Messer France au rôle de taxe professionnelle dans la commune de Saint Georges d'Esperanche au titre des années 2003 à 2005 à raison des droits dont la décharge a été prononcée en première instance.
Il soutient que :
- en application des dispositions de l'article 1473 du code général des impôts, la taxe professionnelle est due dans toute commune où un redevable utilise des installations entrant dans le champ d'application d'une taxe foncière, qu'elles constituent le siège social de l'entreprise ou le lieu d'exercice effectif de son activité ;
- la SAS Messer France est redevable de la taxe professionnelle à Saint Georges d'Esperanche, où se situe le siège de sa direction régionale commerciale sud-est ;
- la mise à disposition, par ses clients, d'emplacements destinés à recevoir les citernes ne saurait la faire regarder comme disposant, à ces emplacements de terrains affectés à l'exercice de son activité ;
- le moyen tiré de l'illégalité de la validation rétroactive de la loi pour l'année 2003 n'a aucune incidence en l'espèce ; les dispositions de l'article 59 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 sont dérogatoires aux principes prévus à l'article 1467 du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux impositions en litige qui dispose que " La taxe professionnelle a pour base : 1° (...) a) la valeur locative des immobilisations corporelles dont un redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence (...) " ; il a été jugé que les immobilisations dont la valeur locative est ainsi intégrée dans l'assiette de la taxe professionnelle sont les biens placés sous le contrôle du redevable et que celui-ci utilise matériellement pour la réalisation des opérations qu'il effectue ; la notion de disposition s'analyse au regard des critères de l'utilisation matérielle des biens, qui s'apprécie in concreto et de la finalité de cette utilisation ; en l'espèce la SAS Messer France a pour objet la vente de matériel gazeux ; elle met à cet effet à disposition de ses clients des citernes ; par suite elle doit être considérée comme en ayant la disposition, dès lors que la finalité de l'utilisation matérielle des citernes, dont elle a le contrôle, est attachée à son activité de vente de produits gazeux et non à celle de ses clients ; dès lors, la circonstance que l'article 1469 3° bis du code général des impôts serait inapplicable pour établir l'imposition de la taxe professionnelle de l'année 2003 ne remet pas en cause l'identité du redevable légal de l'imposition des citernes qui demeure la société Messer France en application de l'article 1467 du code général des impôts ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2015, la SAS Messer France, représentée par MeA..., conclut au rejet du recours du ministre et à ce qu'il soit fait droit à son appel incident tendant à la décharge de la totalité des sommes qu'elle a effectivement réglées au titre des années 2003 (23 831 euros), 2004 (21 744 euros) et 2005 (24 936 euros) et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 442,16 euros HT sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La SAS Messer France soutient que :
- en application du principe édicté par l'article 1473 du code général des impôts, la taxe professionnelle relative aux années 2003, 2004 et 2005 aurait dû être établie en rattachant les installations fixes utilisées par Messer France aux communes où elles sont situées et effectivement utilisées, et non aux communes sur le territoire desquelles se trouvent ses directions régionales commerciales ; cette position avait d'ailleurs été admise par l'administration lors de précédentes réclamations déposées par elle, qui avaient donné lieu à dégrèvement ; les contrats passés avec ses clients stipulent effectivement qu'un terrain situé sur le site du client doit être dédié aux équipements mis en place par la société Messer France ; il est donc possible de rattacher matériellement chacune des installations fixes situées sur le site du client à la commune sur le territoire de laquelle se trouve le terrain d'assiette desdites installations, mis à sa disposition ; ces matériels nécessitent lors de leur mise en place sur le terrain dont dispose la société chez son client, la réalisation de travaux de génie civil (construction d'une dalle de béton) de travaux de raccordement des installations au réseau électrique et au réseau hydraulique, ainsi qu'aux canalisations du client ; les travaux de raccordement aux réseaux, ainsi que la réalisation du socle permettant l'emprise au sol, incombent au client, en raison des conditions de sécurité des installations et du site pour assurer l'alimentation en gaz de son site de production ; les installations sont fixes pendant toute la durée des contrats qui sont signés pour des périodes de trois ans, renouvelables par tacite reconduction, ce qui induit une certaine pérennité des installations ; l'importance des installations implantées et le fait qu'elles soient arrimées au sol, quand bien même elles sont démontables, ainsi que la mise à disposition gratuite d'un terrain aménagé par le client prévue contractuellement, justifient que ces installations situées sur des terrains mis à sa disposition ne pouvaient faire l'objet d'une imposition à la taxe professionnelle que dans les communes d'implantation de ces installations ;
- l'affirmation selon laquelle il ne s'exerce aucune activité passible de la taxe professionnelle sur lesdits terrains est erronée, dès lors que le stockage de gaz fait incontestablement partie de son activité, tout comme la production de gaz ; les citernes de stockage concourent à l'exercice effectif de son activité sur les sites mis à disposition par ses clients ; le stockage est une activité indissociable de l'activité de vente de gaz industriel par le biais de citernes installées à demeure sur les terrains mis à sa disposition, sans lesquels elle ne pourrait exercer son activité.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré du champ d'application dans le temps de l'article 59 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 et de l'erreur sur l'identité du redevable de l'imposition pour 2003.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que la SAS Messer France, qui a pour activité le commerce, la vente, l'achat, le transport, le stockage, la location, la représentation, le courtage et la production de tous gaz et mélanges gazeux pour usages et applications industriels et scientifiques, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle au titre des années 2003, 2004 et 2005 dans les rôles de la commune de Saint Georges d'Esperanche à raison de la réintégration dans les bases d'imposition de la valeur locative de matériels de stockage installés chez ses clients en vertu de " contrats de fourniture de gaz en vrac et de mise à disposition du matériel de stockage " ; que la SAS Messer France, qui soutient que les cotisations en litige auraient dû être établies dans les rôles des communes d'implantation des matériels de stockage, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de ces cotisations supplémentaires ; que le ministre des finances et des comptes publics relève appel du jugement du 18 février 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à cette demande ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant du redevable de la taxe professionnelle sur les immobilisations mises gratuitement à la disposition de ses clients par la SAS Messer :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition : " La taxe professionnelle a pour base : 1° Dans le cas des contribuables autres que ceux visés au 2° : a. la valeur locative, telle qu'elle est définie aux articles 1469, 1518 A et 1518 B, des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et 1478, à l'exception de celles qui ont été détruites ou cédées au cours de la même période (...) " ; qu'il résulte des dispositions précitées, selon lesquelles la taxe professionnelle a pour base la valeur locative des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle, que les immobilisations dont la valeur locative est ainsi intégrée dans l'assiette de la taxe professionnelle sont les biens placés sous le contrôle du redevable et que celui-ci utilise matériellement pour la réalisation des opérations qu'il effectue ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1473 du code général des impôts : " La taxe professionnelle est établie dans chaque commune où le redevable dispose de locaux ou de terrains, en raison de la valeur locative des biens qui y sont situés ou rattachés. (...) " ;
4. Considérant qu'aux termes l'article 1469 du code général des impôts dans sa version issue de l'article 59 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 : " La valeur locative est déterminée comme suit : 1° Pour les biens passibles d'une taxe foncière, elle est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe (...) 2° Les équipements et biens mobiliers dont la durée d'amortissement est au moins égale à trente ans sont évalués suivant les règles applicables aux bâtiments industriels ; toutefois, les lignes, câbles et canalisations extérieurs aux établissements sont exonérés ainsi que leurs supports; les équipements et biens mobiliers destinés à l'irrigation sont exonérés dans les mêmes conditions qu'au 1° ; 3° Pour les autres biens, lorsqu'ils appartiennent au redevable, lui sont concédés ou font l'objet d'un contrat de crédit-bail mobilier, la valeur locative est égale à 16 % du prix de revient (...) 3° bis Les biens visés aux 2° et 3°, utilisés par une personne qui n'en est ni propriétaire, ni locataire, ni sous-locataire, sont imposés au nom de leur sous-locataire ou, à défaut, de leur locataire ou, à défaut, de leur propriétaire dans le cas où ceux-ci sont passibles de taxe professionnelle ; (...) " ; qu'en vertu de cet article, dont les dispositions s'appliquent aux impositions relatives à l'année 2004 ainsi qu'aux années ultérieures, et, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée, aux impositions relatives aux années antérieures, conformément au II de l'article 59 de la loi n° 2003-1312 du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003, et qui règle la question du conflit entre deux redevables de la taxe professionnelle, le propriétaire, le locataire ou le sous-locataire des immobilisations est le redevable de la taxe lorsque le bien est utilisé par un tiers pour les besoins de son activité professionnelle ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que pour l'exécution des contrats de vente de gaz en vrac conclus entre la SAS Messer France et ses clients, lesquels ont la qualité de redevable de la taxe professionnelle, ces derniers mettent à la disposition de la SAS Messer France un emplacement destiné à recevoir des citernes de stockage ; que pour accueillir les conclusions de la SAS Messer France tendant à la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2003, 2004 et 2005 dans les rôles de la commune de Saint Georges d'Esperanche, le tribunal administratif de Grenoble a estimé que la société devait être regardée comme ayant la disposition des terrains sur lesquels sont implantés les citernes au sens des dispositions de l'article 1473 du code général des impôts, et devait, par suite, être imposée dans les communes où se situent lesdits terrains, quand bien même la garde des installations serait assurée par le client qui, au demeurant, est le propriétaire du gaz contenu dans les citernes puisque le transfert de propriété s'opère à compter du paiement qui doit être effectué à la livraison ;
6. Considérant toutefois, qu'il résulte de l'instruction que les équipements que constituent les citernes de stockage sont mis gratuitement à la disposition des clients de la SAS Messer France pour les besoins de leur activité professionnelle pour une durée de trois ans, reconductible tacitement pour deux ans ; que si ces immobilisations sont placées sous le contrôle des clients de la SAS Messer et utilisées matériellement pour la réalisation des opérations qu'ils effectuent, il résulte de l'application des dispositions précitées du 3° bis de l'article 1469 du code général des impôts, que le redevable passible de la taxe professionnelle à raison de ces équipements en est le propriétaire, c'est-à-dire la SAS Messer France, alors même que ses clients en ont la disposition ;
S'agissant du lieu d'imposition :
7. Considérant qu'aux termes de l'article 1448 du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur : " La taxe professionnelle est établie suivant la capacité contributive des redevables, appréciée d'après des critères économiques en fonction de l'importance des activités exercées par eux sur le territoire de la collectivité bénéficiaire ou dans la zone de compétence de l'organisme concerné. " ; qu'aux termes de l'article 1473 du même code qui précise les conditions d'application du principe posé par l'article 1448 : " La taxe professionnelle est établie dans chaque commune où le redevable dispose de locaux ou de terrains, en raison de la valeur locative des biens qui y sont situés ou rattachés (...) " ; que ce texte a pour objet de déterminer les bases de l'assiette de la taxe professionnelle dans chaque commune où le redevable de la taxe dispose de locaux ou de terrains, d'après les éléments de la base taxable situés sur le territoire de la commune ou susceptibles d'y être rattachés ;
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la SAS Messer France ne dispose pas de locaux dans les communes d'implantation des matériels de stockage ; que si elle soutient disposer de terrains dans ces communes dès lors que les contrats de fourniture de gaz conclus avec ses clients prévoient la mise à disposition gratuite de l'emplacement nécessaire à l'installation du matériel de stockage du gaz qu'elle est amenée à livrer en exécution de ces contrats, sur ces sites, elle ne fait que livrer à ses clients le gaz qu'ils ont commandé, et ne peut être regardée comme y exerçant une activité passible de la taxe professionnelle et ce, bien qu'elle assure la maintenance des citernes installées ; qu'ainsi, et quelles que soient la nature et l'importance des installations de stockage en cause, elle ne peut être regardée comme disposant sur ces emplacements, de terrains affectés à l'exercice de son activité professionnelle, au sens des dispositions précitées ; que, dès lors, c'est à bon droit que l'administration a rattaché les citernes installées par la SAS Messer France chez ses clients aux bases d'imposition à la taxe professionnelle dont la société était redevable dans la commune de Saint Georges d'Esperanche, lieu du siège de la direction régionale commerciale Sud-Est de la société ; que, par suite, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que les matériels de stockage ne pouvaient faire l'objet d'une imposition à la taxe professionnelle que dans les communes d'implantation de ces installations ;
9. Considérant qu'en l'absence de tout autre moyen à examiner par l'effet dévolutif de l'appel par la Cour, il résulte de tout ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles la SAS Messer France a été assujettie au titre des années 2003, 2004 et 2005 dans les rôles de la commune de Saint Georges d'Esperanche ; que, par suite, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions incidentes présentées par la SAS Messer France ainsi que ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1003532 du 18 février 2014 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles la SAS Messer France a été assujettie au titre des années 2003, 2004 et 2005 dans les rôles de la commune de Saint Georges d'Esperanche sont remises à sa charge.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SAS Messer France est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des finances et des comptes publics et à la SAS Messer France.
Délibéré après l'audience du 19 février 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 février 2016.
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N° 14LY01296