Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 23 juin 2015, la SARL Batigimm, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble, en date du 28 mai 2015 ;
2°) de lui accorder la décharge de l'amende de 100 % s'élevant à 22 159 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL Batigimm soutient que :
- la facture litigieuse de Parness Cruise constitue une charge effectivement déductible ; elle concerne l'organisation d'un séminaire destiné à présenter à ses partenaires économiques le groupe Batigimm qui venait d'être constitué ; pour des raisons de confidentialité, elle ne peut mentionner le nom des personnes invitées ; le carton d'invitation et les courriers à Parness Cruise ont été produits à titre de justificatifs ; la date du séminaire ainsi organisé est intervenue après la création des filiales et le développement rapide de leur chiffre d'affaires démontre que cette dépense a été engagée dans son intérêt professionnel ;
- l'analyse de l'administration repose sur une appréciation erronée de la réalité économique dûment justifiée selon laquelle le séminaire litigieux a bien été organisé dans son intérêt ;
- l'application de la pénalité de 100 % prévue par les articles 1759 et 117 du code général des impôts est abusive et irrégulière au regard de l'année d'imposition ;
- le montant n'est pas justifié dès lors qu'elle n'a que partiellement acquitté la facture litigieuse.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre expose qu'aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 18 décembre 2015, la SARL Batigimm conclut aux mêmes fins que sa requête initiale par les mêmes moyens.
Elle soutient, en outre, que :
- quant au montant de l'amende, l'analyse de l'administration est inexacte dès lors qu'il ne peut y avoir de revenus distribués que s'il existe un désinvestissement ; la partie non acquittée de la facture n'a pas été désinvestie ;
- le montant de la facture a été contesté auprès du prestataire au motif que les prestations effectuées lors de cette soirée ne correspondaient pas à ce qui avait été convenu ; le solde de la facture n'a donc pas été versé et Parness Cruise n'a pas demandé son règlement ; par conséquent, le solde non versé figurant au passif doit être apuré par la constatation d'un profit réalisé par la société ce qui exclut l'existence d'une distribution ;
- le montant de la distribution, à la supposer établie, ne peut être supérieur à la somme de 10 898 euros seul montant qui a été réellement désinvesti.
Par une ordonnance en date du 17 novembre 2016, la clôture de l'instruction a été fixée au 9 décembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la SARL Batigimm ;
1. Considérant que la SARL Batigimm, dirigée par M. A... son gérant et unique associé, et qui exerce une activité de promotion immobilière a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, conduite selon la procédure contradictoire, et portant, en matière d'impôt sur les sociétés sur les exercices clos les 30 septembre 2008, 2009 et 2010, étendue jusqu'au 31 janvier 2011 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, à l'issue de laquelle l'administration après avoir rapporté le montant d'une charge considérée comme injustifiée à son résultat imposable au titre de l'exercice au cours duquel elle avait été comptabilisée, clos le 30 septembre 2009, en application des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, a porté le rehaussement correspondant à la connaissance de la société par une proposition de rectification du 11 juillet 2011, en l'invitant, en application de l'article 117 du code général des impôts, à désigner les bénéficiaires de cette dépense regardée comme constitutive d'une distribution occulte au sens des dispositions de l'article 111 c. du code général des impôts ; que, par lettre du 2 août 2011, la SARL Batigimm a contesté la rectification proposée, en s'abstenant de désigner les bénéficiaires des revenus réputés distribués ; que l'administration fiscale a, dans sa réponse aux observations du contribuable du 22 septembre 2011, confirmé le redressement et fait connaître à la société qu'elle était passible de l'amende visée à l'article 1759 du code général des impôts égale à 100 % du montant des distributions, faute d'avoir procéder à la désignation des bénéficiaires de la distribution litigieuse ; que, saisie à l'initiative de la SARL Batigimm, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a, dans son avis, estimé que les éléments produits par la société ne permettaient pas de justifier que les frais de séminaire revendiqués avaient été engagés dans l'intérêt direct de l'exploitation et conclu que l'administration était fondée à ne pas admettre ces frais en déduction du résultat imposable de l'entreprise ; que la SARL Batigimm a contesté l'amende, mise en recouvrement par avis du 6 décembre 2012, avant de saisir le juge de l'impôt ; que, par le jugement attaqué du 28 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette amende ; que, par la présente requête, elle relève appel de ce jugement ;
Sur l'amende fiscale :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale
2. Considérant qu'aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; (...) " ; qu'aux termes de l'article 117 du code général des impôts : " Au cas où la masse des revenus distribués excède le montant total des distributions tel qu'il résulte des déclarations de la personne morale visée à l'article 116, celle-ci est invitée à fournir à l'administration, dans un délai de trente jours, toutes indications complémentaires sur les bénéficiaires de l'excèdent de distribution. En cas de refus ou à défaut de réponse dans ce délai, les sommes correspondantes donnent lieu à l'application de la pénalité prévue à l'article 1759 ; qu'aux termes de l'article 1759 du même code : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. (...) " ;
3. Considérant, en premier lieu, que la SARL Batigimm qui n'a pas contesté devant le juge de l'impôt le redressement à l'impôt sur les sociétés découlant de la réintégration à son résultat imposable de la charge dont l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité et qu'elle a regardée comme distribuée alors que la SARL Batigimm soutient sans l'établir l'avoir engagée dans son intérêt, ne peut utilement soutenir, à l'encontre de l'application de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts, que cette charge était justifiée ; que, par suite, l'ensemble des moyens dirigés contre le caractère non déductible et injustifié de la charge litigieuse retenu pas l'administration sont inopérants ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que la SARL Batigimm soutient que la mise en oeuvre par l'administration fiscale de la procédure de désignation des bénéficiaires de la distribution prévue à l'article 117 du code général des impôts était injustifiée et abusive au motif que l'administration connaissait le nom du bénéficiaire de la distribution en la personne de son gérant ; que, toutefois, la procédure prévue par l'article 117 du code général des impôts peut être mise en oeuvre à l'égard d'une société ou autre personne morale passible de l'impôt sur les sociétés à raison de l'excédent des distributions résultant du rehaussement de ses bénéfices, concomitamment avec la recherche du ou des véritables bénéficiaires de ces distributions, en tout cas jusqu'à ce que ceux-ci aient été assujettis à des impositions devenues définitives ; qu'en l'espèce, il résulte de la proposition de rectification que l'administration a, sur le fondement de l'article 117 précité du code général des impôts, invité la SARL Batigimm à désigner les bénéficiaires de la somme réputée distribuée correspondant au montant du rehaussement de son résultat au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2009 au cours duquel la dépense injustifiée a été comptabilisée ; que l'appelante, qui n'a pas procédé à une telle désignation dans le délai prévu, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration, qui n'est pas tenue de démontrer l'appréhension des sommes en cause, ni d'en identifier les bénéficiaires, a fait application de la pénalité de 100 % des sommes distribuées prévue par les dispositions précitées de l'article 1759 du code général des impôts applicables en l'absence de révélation de l'identité des bénéficiaires des sommes distribuées, et ce nonobstant la circonstance alléguée selon laquelle l'administration aurait eu connaissance et ne pouvait ignorer l'identité du bénéficiaire de la distribution ;
5. Considérant que la SARL Batigimm soutient qu'elle ne peut, pour des motifs de confidentialité, désigner les participants à la soirée organisée sur un bateau sur la Seine à Paris le 19 juillet 2008, au motif qu'il s'agirait de partenaires d'affaires et de professionnels de l'immobilier ; que cette circonstance, si elle ne permet pas de justifier du caractère professionnel de la dépense litigieuse et de sa déductibilité, est sans incidence sur la non divulgation des bénéficiaires des distributions au sens des dispositions de l'article 117 du code général des impôts, les bénéficiaires des distributions ne pouvant être assimilés aux participants de la soirée ; que, par suite, en l'absence de désignation effective des bénéficiaires réels des distributions, la SARL Batigimm n'est pas fondée à soutenir que l'application des dispositions de l'article 117 du code général des impôts serait irrégulière et abusive ;
6. Considérant, en troisième lieu, que la pénalité prévue à l'article 1759 précité du code général des impôts a pour fait générateur l'expiration du délai de trente jours imparti à la personne morale pour désigner les bénéficiaires de la distribution, en vertu de l'article 117 du code général des impôts, c'est-à-dire l'expiration du délai accordé à la personne morale qui a distribué les revenus pour révéler à l'administration l'identité du ou des bénéficiaires de cette distribution ; qu'il ne résulte ni de l'article 1759 du code général des impôts, ni d'aucune autre disposition, que la pénalité prévue à cet article doive être établie au titre d'une année déterminée ; qu'en application du 2ème alinéa de l'article L. 188 du livre des procédures fiscales, la prescription de la pénalité prévue à l'article 1759 du code général des impôts en matière de distributions occultes intervient à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle l'infraction a été commise ; qu'en l'espèce, le délai de réponse à la demande de l'administration de lui divulguer le nom des bénéficiaires des distributions correspondant à la dépense litigieuse expirait le 15 août 2011 ; que la circonstance que la dépense litigieuse avait été comptabilisée au titre de l'exercice clos en 2009 est sans incidence sur l'année de rattachement de l'amende appliquée en l'absence de désignation par la société des bénéficiaires des distributions ; que l'amende n'était pas davantage prescrite lors de sa notification le 22 septembre 2011, soit un peu plus d'un mois après l'expiration du délai de réponse qui en constituait le fait générateur ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 1759 du code général des impôts que doit être pris en compte, pour l'assiette de la pénalité fiscale prévue à cet article, le montant des sommes effectivement versées ou distribuées ; que la SARL Batigimm conteste le montant de l'amende au motif qu'elle n'a que partiellement acquitté la dépense litigieuse, " le solde de la facture non versé figurant au passif devant être apuré par la constatation d'un profit réalisé excluant l'existence d'une distribution ", le montant non acquitté ne pouvant dès lors entrer dans l'assiette de l'amende, en l'absence de " désinvestissement " ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que le montant rehaussé au titre de l'avantage occulte au sens de l'article 111 c. du code général des impôts est celui de la dépense comptabilisée qui minore le résultat et est réputée distribuée ; qu'en l'espèce, la charge de 22 159 euros afférente à la prestation litigieuse a été comptabilisée au cours de l'exercice clos au 30 septembre 2009 à hauteur de 20 120 euros le 1er octobre 2008 et à hauteur de 2 038 euros à la date du 6 mai 2009 ; qu'en application des dispositions de l'article 1759 du code général des impôts, les revenus distribués devant être retenus pour l'assiette de la pénalité mise à la charge de la SARL Batigimm sont ceux qui ont été imposés à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une décision administrative devenue insusceptible de recours, et qui n'ont été ni mis en réserve, ni incorporés au capital ; que, dès lors, c'est à bon droit que, pour la détermination des bases de calcul de la pénalité prévue par l'article 1759 du code général des impôts, applicable en l'absence de désignation par ladite société des bénéficiaires des distributions à l'expiration du délai de réponse, l'administration a retenu le montant rehaussé et non le montant acquitté de la facture litigieuse ;
En ce qui concerne la doctrine administrative :
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. (...) Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales " ; que si cette dernière disposition, applicable pour ce qui concerne les pénalités fiscales, institue une garantie contre les changements de doctrine de l'administration permettant, en particulier, aux contribuables auteurs d'infractions fiscales de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, c'est à la condition, notamment, que ces notes ou instructions aient été susceptibles d'influencer le comportement des intéressés au regard de leurs obligations fiscales ; que tel n'est pas le cas de notes ou instructions administratives relatives à la procédure d'établissement d'une amende fiscale ; que, par suite, ces notes ou instructions ne peuvent être utilement invoquées sur le fondement du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;
9. Considérant que si la SARL Batigimm a entendu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales opposer à l'administration fiscale les termes de la doctrine BOI-RPPM-RPPM-10-20-20-40-20140908 n° 510, celle-ci ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Batigimm n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Batigimm est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Batigimm et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2017, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 avril 2017.
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N° 15LY02154