Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 avril 2018, Mme D..., représentée par Me Lambert, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 28 décembre 2017 ;
2°) d'annuler les décisions du 31 octobre 2016 par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", ou subsidiairement, d'examiner à nouveau sa situation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 400 euros au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Mme D... soutient que :
- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée et est entachée d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, faute d'avoir procédé à une appréciation globale de sa situation, le préfet s'étant borné à lui opposer l'absence d'isolement dans son pays d'origine ;
- elle remplit par ailleurs les conditions posées par l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu du sérieux de son parcours scolaire ;
- elle remplit également les conditions posées par l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle n'entretient plus de contact avec les membres de sa famille restés dans son pays d'origine et est engagée dans un cycle scolaire devant la conduire à obtenir son baccalauréat professionnel " Accueil, relations clients et usagers " en juin 2018, ce qui constitue un motif exceptionnel ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision l'obligeant à quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet aurait dû lui accorder un délai de départ volontaire lui permettant d'achever sa scolarité ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour et méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Mme D...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B..., première conseillère,
- et les observations de Me A..., représentant Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante de la République démocratique du Congo née le 1er avril 1998, est entrée en France le 7 janvier 2015. Elle a été prise en charge par l'aide sociale à l'enfance le 3 août 2015 et a intégré une classe de seconde professionnelle au sein du Lycée professionnel Camille Claudel à Lyon au cours de l'année scolaire 2015-2016. Le 5 juillet 2016, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur les fondements des articles L. 313-15 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par des décisions en date du 31 octobre 2016, le préfet du Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
2. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé. ".
3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée.
4. En l'espèce, la décision litigieuse se fonde sur le fait que Mme D..., célibataire et sans charge de famille en France, n'est pas isolée dans son pays d'origine et ne justifie pas être dans l'impossibilité de créer dans son pays d'origine sa propre vie privée et familiale et d'y mettre à profit les études suivies en France. Elle en déduit que l'intéressée ne remplit pas toutes les conditions d'octroi d'un titre de séjour en application des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si cette décision mentionne l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de l'intéressée et sa scolarité en France, elle ne l'analyse pas et il ressort de la lecture de cette décision, dont la motivation est d'ailleurs stéréotypée, que le préfet n'a pas mis en oeuvre dans son examen de la situation de Mme D... les critères de son insertion dans la société française et du caractère réel et sérieux de ses études. La décision de refus de titre de séjour est ainsi entachée d'erreur de droit et doit donc être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, la décision l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
6. Eu égard à son motif, l'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas que soit délivré à la requérante un titre de séjour mention " vie privée et familiale " mais implique seulement qu'il soit enjoint au préfet d'examiner de nouveau la demande de Mme D..., dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Lambert, avocat de Mme D..., au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Lambert renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DECIDE :
Article 1er : Les décisions du 31 octobre 2016, par lesquelles le préfet du Rhône a refusé de délivrer à Mme D... un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement sont annulées, de même que le jugement n° 1701597 du 28 décembre 2017 du tribunal administratif de Lyon.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Rhône de statuer à nouveau sur la situation de Mme D... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Me Lambert au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me Lambert renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., au préfet du Rhône et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme B..., première conseillère.
Lu en audience publique le 12 février 2019.
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N° 18LY01423
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