Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 décembre 2015, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon en date du 18 novembre 2015 ;
Le préfet de l'Isère soutient que :
- son recours est recevable car il a été déposé dans les délais ;
- c'est à tort que le juge de première instance a considéré qu'il n'avait pas procédé à un examen de la situation familiale de M.D... ainsi que cela ressort du contenu même de son arrêté ;
- c'est à bon droit qu'il a procédé au placement en rétention de M.D... ; c'est à tort que le tribunal a considéré qu'il disposait de garanties de représentation suffisantes car, lors de son audition du 16 novembre 2015, l'intéressé a déclaré avoir perdu son passeport et n'était plus ainsi en possession d'un document transfrontière ni d'un document attestant de son identité ; par ailleurs, si M. D...prétend pouvoir justifier d'un domicile stable, il a paru dangereux d'assigner à son domicile l'intéressé qui a été auditionné le 30 septembre 2015 par la brigade de gendarmerie de Roussillon pour des faits de violence commis sur la personne de son fils ; en outre, l'attestation du centre communal d'action sociale du 28 septembre 2015 ne permet pas d'établir que le logement qui lui a été attribué au titre de l'urgence constitue une résidence stable et pérenne.
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2016, présenté pour M. A...D...par Me B...C..., il conclut, à titre principal, au non lieu à statuer sur la requête du préfet et, à titre subsidiaire, au rejet de cette requête ; il demande qu'une somme de 1 000 euros soit versée à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Il soutient que :
- à titre principal, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête du préfet qui est devenue sans objet compte tenu du caractère ancien de son arrêté ;
- à titre subsidiaire, le jugement attaqué est bien-fondé : c'est à tort que le préfet fait valoir qu'il ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes ; il a fourni son passeport au préfet qui en a pris copie ; il réside à la même adresse depuis de nombreuses années ; le fait de prétendre qu'il aurait été dangereux de l'assigner à résidence à son domicile du fait de violences exercées sur l'un de ses enfants est tout à fait excessif ; la décision du préfet démontre de par sa motivation lacunaire qu'un examen de sa situation personnelle n'a pas été sérieusement effectué pour privilégier des mesures moins contraignantes destinées à l'exécution de la mesure d'éloignement.
Par ordonnance du 24 août 2016 la clôture d'instruction a été fixée au 16 septembre 2016 à 16 H 30.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mear, président-assesseur.
1. Considérant que M. A...D..., ressortissant Kosovar né le 24 janvier 1976, est, selon ses déclarations entré en France le 17 septembre 2009, en compagnie de son épouse et de leurs enfants ; que sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile ; que, par arrêté du préfet de l'Isère en date du 11 juillet 2013, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Grenoble et par la présente cour, il a fait l'objet d'un refus de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assorti d'une obligation de quitter le territoire français ; que, par arrêté du 4 mars 2015, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 23 juin 2015, le préfet de l'Isère a refusé à M. D...la délivrance d'un titre de séjour à titre exceptionnel et sur le fondement de l'article L. 313-14 du même code, a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de son renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ; que, par un arrêté du 16 novembre 2015, le préfet de l'Isère a ordonné le placement en rétention de M. D...jusqu'au 21 novembre 2015 à 15h00 ; que le préfet de l'Isère relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 18 novembre 2015 qui a, en son article 1er, admis M. D...au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en son article 2, annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 16 novembre 2015 et, en son article 3, condamné l'Etat à verser à Me Hemery, avocat de M. D..., la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur l'exception de non-lieu à statuer présentée par M.D... :
2. Considérant que la circonstance que la décision de placement en rétention ne puisse plus être exécutée dès lors qu'elle se fonde sur une décision portant obligation de quitter le territoire français de plus d'un an, ne rend pas sans objet la requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif du 18 novembre 2015 et de la décision de placement en rétention contestée du 16 novembre 2015 annulée par ce tribunal ; que, par suite, l'exception de non lieu à statuer opposée par M. D...doit être écartée ;
Sur le motif d'annulation retenu par le juge de première instance :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé. " ; qu'aux termes de l'article L. 561-2 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation (...). " ; qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 de ce code : " (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. " ;
4. Considérant que pour ordonner, par arrêté du 16 novembre 2015, le placement en rétention de M.D..., le préfet de l'Isère s'est fondé, d'une part, en application du d) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sur le fait que l'intéressé avait précédemment fait l'objet, le 11 juillet 2013, d'une obligation de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutée et qu'il a de nouveau fait l'objet, le 4 mars 2015, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction du territoire d'une durée d'un an qu'il n'a pas davantage exécutée ; qu'il s'est, d'autre part, fondé sur le f) de ce même article en indiquant que M. D...a déclaré avoir égaré son passeport de sorte qu'il n'est pas en mesure de justifier de son identité, que le logement mis provisoirement à sa disposition par la mairie de Salaise sur Sanne, ainsi qu'il l'indique, ne peut être considéré comme une résidence effective et permanente sur le territoire français, qu'il reçoit une aide de l'Etat pour ses enfants mais ne dispose en propre d'aucun moyen de subsistance et qu'ainsi il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes ;
5. Considérant que, pour annuler l'arrêté du 16 novembre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon, a considéré qu'aucun élément produit au dossier " n'est de nature à établir que le préfet de l'Isère a procédé à un examen de la situation familiale de l'intéressé ; que, dès lors, le préfet de l'Isère, qui a méconnu l'étendue de ses obligations, a entaché sa décision d'erreur de droit, sans qu'il puisse utilement soutenir que le requérant, comme sa famille, ne disposerait pas d'un domicile fixe en France et qu'il serait démuni d'un passeport " ;
6. Considérant qu'il ressort du procès-verbal d'audition par la gendarmerie de M. D... du 16 novembre 2015 que le préfet de l'Isère était informé de la situation personnelle et familiale de M. D...et en particulier de ce qu'il est marié et père de six enfants scolarisés à Roussillon, de ce qu'il est logé avec sa famille par la mairie de Salaise sur Sanne, de ce que ses ressources correspondent à la somme de 120 euros par enfant que lui verse le conseil général, que son épouse ne travaille pas, de ce qu'il est logé avec sa famille par la mairie de Salaise sur Sanne, de ce qu'il a fait l'objet d'une procédure pour violences familiales le 30 septembre 2015 auprès de la brigade de gendarmerie de Roussillon et de ce qu'il a perdu son passeport ; qu'ainsi, il résulte de ce procès-verbal et des termes mêmes de sa décision, reprenant ces informations, en mentionnant, d'une part, que M. D...ne présente pas de garanties de représentation suffisantes aux motifs qu'il a égaré son passeport et n'est pas en mesure de justifier de son identité, que le logement mis provisoirement à sa disposition par la mairie de Salaise sur Sanne ne saurait être regardé comme une preuve de résidence effective et permanente sur le territoire français, que s'il reçoit une aide au titre de ses enfants, il ne dispose en propre d'aucun moyen de subsistance et en indiquant, d'autre part, que M. D...a fait l'objet d'une procédure judiciaire pour des faits de violence sur mineur et qu'il existe un risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 4 mars 2015 qu'il n'a pas mise à exécution, que le préfet de l'Isère a procédé à un examen particulier de la situation personnelle et familiale de l'intéressé avant de décider de le placer en rétention plutôt que de l'assigner à résidence ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur le motif susmentionné tiré d'une erreur de droit du préfet de l'Isère pour défaut d'examen particulier de la situation de M. D... ;
8. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués devant le tribunal et devant la Cour ;
9. Considérant, en premier lieu, que l'arrêté en litige a été signé par M. Patrick Lapouze, secrétaire général de la préfecture de l'Isère qui bénéficiait d'une délégation de signature du 27 août 2015 du préfet de ce département, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de l'Isère le 31 août 2015, à l'effet de signer tous actes, arrêtés, décisions, documents et correspondances administratives relevant des attributions de l'Etat dans le département de l'Isère, sous réserve de certaines exceptions dont ne relèvent pas les décisions prises en matière de police des étrangers ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision litigieuse doit être écarté ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que l'arrêté contesté comporte les motifs de droit et de faits qui le fondent, conformément aux dispositions de l'article L. 551-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être écarté ;
11. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 562-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1 lorsque l'étranger est père ou mère d'un enfant mineur résidant en France dont il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans et lorsque cet étranger ne peut pas être assigné à résidence en application de l'article L.561-2 du présent code, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence avec surveillance électronique, après accord de l'étranger. "
12. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que, selon ses dires, M. D... ne disposait pas de son passeport, à la date de la décision litigieuse, et qu'il n'a exécuté ni l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 11 juillet 2013 ni l'obligation de quitter le territoire français, sans délai, prise à son encontre le 4 mars 2015, soit moins d'un avant la décision en cause, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 23 juin 2015, devenu définitif ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que le préfet de l'Isère a estimé qu'une mesure de placement en rétention de M. D...était nécessaire, ce dernier ne présentant pas des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français qui lui était faite ; que, d'autre part, le préfet, informé de ce qu'une enquête était ouverte pour violence, sans incapacité sur un mineur de 15 ans par un ascendant, à l'encontre de M.D..., auditionné par la gendarmerie le 30 septembre 2015, a pu légalement considérer dans sa décision en date du 16 novembre 2016 qu'il n'était pas opportun d'assigner l'intéressé à résidence avec surveillance électronique ; que, dès lors, le préfet de l'Isère n'a commis ni erreur de droit ni erreur d'appréciation en plaçant M. D...en rétention administrative plutôt qu'en l'assignant à résidence et en n'assignant pas ce dernier à résidence sous surveillance électronique dans les circonstances particulières de l'espèce ; que, par suite, le préfet de l'Isère n'a méconnu ni les dispositions précitées de l'article L. 562-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les dispositions du 6° de l'article L. 551-1 du même code ni les dispositions de l'article L. 561-2 de ce code ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a, en son article 2, annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 16 novembre 2015 et, en son article 3, condamné l'Etat à verser à Me Hemery, avocat de M. D..., la somme de 1 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit versée au conseil de M. D... au titre de la présente instance sur le fondement des dispositions combinées de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 18 novembre 2015 sont annulés.
Article 2 : La demande de M. D...devant le tribunal administratif de Lyon et le surplus de ses conclusions déposées en appel sont rejetés.
Article 3 : Le surplus des conclusions du préfet de l'Isère est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A...D.... Copie en sera adressée au Préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2016.
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N° 15LY004005