Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 mai 2016, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 avril 2016 en tant qu'il a annulé son arrêté du 11 décembre 2015 concernant M.B... ;
2°) de rejeter la demande de M. B...devant le tribunal administratif.
Il soutient que le jugement est insuffisamment motivé et que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 21 septembre 2016, M. B..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie pour méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le préfet a, en outre, méconnu les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, des 7° et 11° de l'article L. 313-11 de ce même code et de l'article L. 312-2 du même code ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Segado, premier conseiller,
- et les observations de M.B....
1. Considérant M.B..., ressortissant de la République de Guinée né le 2 février 1984, a déclaré être entré en France en 2006 ; qu'il s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire, valable du 6 décembre 2013 au 5 décembre 2014, sur le fondement des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il a sollicité le renouvellement de ce titre ; que, par un arrêté du 11 décembre 2015, le préfet de la Haute-Savoie lui a opposé un refus assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination en cas d'éloignement d'office ; que le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 12 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales susvisée : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
3. Considérant que M. B...fait valoir qu'il réside en France depuis l'année 2006, qu'il est marié depuis le 18 juillet 2015 avec une compatriote qui réside également en France depuis 2004 et qu'ils ont un enfant né en France le 22 février 2015 ; qu'il soutient que, malgré son état de santé, il travaillait et bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 12 juillet 2014 sous couvert d'une carte de séjour valable du 6 décembre 2013 au 5 décembre 2014 l'autorisant à travailler ; qu'il soutient qu'il est, ainsi que son épouse, bien intégré en France ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé est entré en France irrégulièrement ; qu'il a résidé la majeure partie du temps irrégulièrement sur le territoire français et s'est soustrait à plusieurs mesures d'éloignement prononcées à son encontre ; qu'en outre, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des avis émis par deux médecins de l'agence régionale de santé les 31 mars et 4 septembre 2015, que son état de santé rendrait indispensable sa présence sur le territoire français ; que, par ailleurs, son épouse, qui a séjourné de nombreuses années en France sous couvert d'une carte de séjour temporaire obtenue en qualité d'étudiante ne lui donnant pas vocation à s'installer durablement sur le territoire français, puis sous couvert d'une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " délivrée à la suite d'un PACS conclu avec un ressortissant français mais n'ayant donné lieu qu'à une brève vie commune, a également fait l'objet, le même jour que M. B..., d'un refus de renouvellement de cette carte de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire, dont la légalité est confirmée par un arrêt de ce jour qui fait droit à l'appel du préfet de la Haute-Savoie dirigé contre l'annulation par le tribunal administratif de Grenoble de l'arrêté concernant MmeB... ; que, par ailleurs, il ne ressort des pièces du dossier ni que M. B...serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, ni qu'il ne pourrait y reconstituer sa vie privée et familiale avec son épouse et leur enfant qui ont également la nationalité guinéenne, ni que l'intéressé ferait preuve d'une intégration sociale particulière dans la société française ; que, dans ces conditions, et eu égard aux conditions de son séjour en France, le préfet n'a pas, par l'arrêté contesté, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale normale au regard des buts poursuivis ; qu'ainsi, cet arrêté ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif ;
4. Considérant qu'il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M.B... ;
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...). " ;
6. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle ; que la partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour ; que, dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi ; que pour apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, il y a lieu de prendre en compte ces échanges contradictoires, complétés, en tant que de besoin, par toute mesure utile d'instruction ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. B...est atteint d'un glaucome chronique avec atrophie papillaire droite et qu'il est sous traitement pour hypertension intraoculaire ;
8. Considérant, toutefois, que deux médecins de l'agence régionale de santé de Rhône-Alpes, saisis par le préfet de l'Ain, puis par le préfet de la Haute-Savoie, ont estimé, par des avis des 31 mars et 4 septembre 2015, que si l'état de santé de M. B...nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il existe un traitement approprié dans son pays et vers lequel il peut voyager sans risque ; que les éléments produits par M.B..., notamment les pièces médicales faisant état de son état de santé et du traitement suivi ou des documents à portée générale sur la situation sanitaire en République de Guinée, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation ainsi portée par le préfet, au vu des avis émis par deux médecins de l'agence régionale de santé de Rhône-Alpes, quant à l'existence d'un traitement approprié dans ce pays pour soigner M.B... ; que celui-ci ne saurait utilement se prévaloir ni de ce que l'accès effectif aux soins lui serait, notamment financièrement, difficile, ni des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 issues de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 qui n'étaient pas en vigueur à la date de l'arrêté en litige ; qu'enfin, M. B...n'a pas fait pas état de circonstances humanitaires exceptionnelles qui auraient justifié la saisine du directeur de l'agence régionale de santé et ne justifie pas davantage, par les éléments qu'il produit, se trouver dans une situation caractérisant de telles circonstances ; que, par suite, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas fait en l'espèce une inexacte application des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 5 ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) " ; qu'au regard de la situation de M. B... telle qu'elle est décrite au point 3, le préfet n'a, en tout état de cause, pas davantage méconnu ces dispositions ;
10. Considérant, en troisième lieu qu'il résulte des articles L. 312-2 et R. 312 2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que lorsque, comme en l'espèce, le préfet a estimé à bon droit que le demandeur ne remplit pas les conditions de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'un titre de séjour notamment sur le fondement des 7° et 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'est pas tenu, contrairement à ce que soutient M.B..., de consulter la commission du titre de séjour avant d'opposer un refus ;
11. Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé. (...) " ; que, pour les motifs déjà exposés aux points 7 et 8, le préfet n'a pas méconnu ces dispositions en estimant qu'il existe, dans le pays dont M. B...a la nationalité, un traitement approprié à son état de santé ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 11 décembre 2015 portant refus de renouveler la carte de séjour de M.B..., obligation pour celui-ci de quitter le territoire français dans un délai de tente jours et désignation du pays de renvoi en cas d'éloignement d'office ;
13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme que M. B...demande sur leur fondement au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du 12 avril 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulé en tant qu'il a annulé l'arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 11 décembre 2015 concernant M.B....
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. B...devant le tribunal administratif de Grenoble tendant à l'annulation de cet arrêté ainsi que ses conclusions en appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
M. Boucher, président de chambre,
M. Gille, président-assesseur,
M. Segado, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2016.
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N° 16LY01645
mg