Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 juillet 2015, la SARL TVUI, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 juin 2015 ;
2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux et des pénalités et intérêts de retard y afférents ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration a invoqué implicitement mais nécessairement l'abus de droit à son encontre et devait donc appliquer la procédure prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'à défaut de l'avoir appliquée, la procédure est irrégulière ;
- l'administration n'établit pas qu'elle disposait d'informations suffisantes pour ne pas ignorer que son vendeur ne pouvait appliquer le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge en raison de l'absence d'application de ce régime au précédent propriétaire des véhicules concernés, alors qu'il ne lui appartenait pas d'effectuer des diligences en vue de vérifier l'applicabilité de ce régime à son fournisseur.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'administration fiscale n'ayant pas entendu invoquer l'abus de droit, elle n'avait pas à respecter la procédure prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- les fournisseurs de la SARL TVUI n'étaient pas fondés à appliquer la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ;
- la requérante ne pouvait ignorer que ses fournisseurs appliquaient à tort le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vinet,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public ;
1. Considérant que la SARL TVUI, qui exerçait une activité d'intermédiaire dans la vente de véhicules automobiles d'occasion à Clermont-Ferrand, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ; qu'à la suite de ce contrôle, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée ont été mis à sa charge, selon une procédure de rectification contradictoire, au titre de la période du 1er octobre 2008 au 30 novembre 2011 ; que ces droits supplémentaires ont été assortis d'intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts ; que la SARL TVUI relève appel du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 30 juin 2015 qui a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, d'un montant de 393 605 euros, et des majorations, d'un montant de 157 442 euros, et intérêts de retard, d'un montant de 38 192 euros, y afférents ;
Sur la procédure d'imposition :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses ou d'une convention à l'aide de clauses : a) Qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; c) Ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention./ L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. " ; que la SARL TVUI soutient que l'administration n'a pu remettre en cause l'application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge qu'elle a appliqué sans faire usage de la procédure d'abus de droit prévue aux dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que toutefois, l'administration a seulement constaté le caractère erroné des mentions figurant sur les factures émises par les fournisseurs de la SARL TVUI ; que, ce faisant, elle n'a pas écarté lesdites factures, lesquelles, au demeurant ne constituent pas des actes de la SARL requérante ; que, dans ces conditions, la SARL TVUI n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait entendu, implicitement mais nécessairement, réprimer un abus de droit ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d'imposition aurait été irrégulière en raison de ce qu'il n'a pas été fait application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté ;
Sur le bien-fondé des impositions :
3. Considérant qu'aux termes du I de l'article 256 bis du code général des impôts, dans sa version applicable à la période en litige : " 1° Sont également soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les acquisitions intracommunautaires de biens meubles corporels effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie lorsque le vendeur est un assujetti agissant en tant que tel et qui ne bénéficie pas dans son Etat du régime particulier de franchise des petites entreprises (...) / 2° bis Les acquisitions intracommunautaires de biens d'occasion (...) effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ou par une personne morale non assujettie ne sont pas soumises à la taxe sur la valeur ajoutée lorsque le vendeur ou l'assujetti est un assujetti revendeur qui a appliqué dans l'Etat membre de départ de l'expédition ou du transport du bien les dispositions de la législation de cet Etat prises pour la mise en oeuvre des articles 312 à 325 ou 333 à 341 de la directive 2006 / 112 / CE du Conseil du 28 novembre 2006 (...) " ; qu'aux termes du I de l'article 297 A du même code : " 1° La base d'imposition des livraisons par un assujetti revendeur de biens d'occasion (...) qui lui ont été livrés par un non redevable de la taxe sur la valeur ajoutée ou par une personne qui n'est pas autorisée à facturer la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette livraison est constituée de la différence entre le prix de vente et le prix d'achat (...) " ; qu'aux termes de l'article 297 E du même code : " Les assujettis qui appliquent les dispositions de l'article 297 A ne peuvent pas faire apparaître la taxe sur la valeur ajoutée sur leurs factures. " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise française assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée a la qualité d'assujetti revendeur et peut appliquer le régime de taxation sur la marge prévu par l'article 297 A du code général des impôts, lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur, situé dans un autre Etat membre, qui, en sa qualité d'assujetti revendeur, lui a délivré une facture conforme aux dispositions précitées de l'article 297 E du code général des impôts, et dont le fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ; qu'en revanche, les reventes de véhicules d'occasion qui ont fait l'objet d'une acquisition intracommunautaire soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ne peuvent bénéficier du régime de la marge prévu aux articles 297 A et suivants du code général des impôts ;
5. Considérant que, lorsqu'une entreprise produit des factures émanant de ses fournisseurs qui mentionnent que les ventes de véhicules s'effectuaient sous le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge mentionné ci-dessus, il incombe à l'administration, si elle s'y croit fondée, de démontrer, d'une part, que les mentions portées sur ces factures sont erronées, d'autre part, que le bénéficiaire de ces achats de véhicules savait ou aurait dû savoir que les opérations présentaient le caractère d'acquisitions taxables sur l'intégralité du prix de revente à ses propres clients, sans que pèse sur le contribuable l'obligation de vérifier la qualité d'assujetti revendeur de ses fournisseurs ;
6. Considérant, d'une part, que l'administration a soutenu qu'il résultait des informations recueillies au cours de la vérification auprès des autorités espagnoles et au moyen de la consultation de la base de recoupement des acquisitions intracommunautaires, que les fournisseurs espagnols acquéraient des véhicules auprès de professionnels de l'automobile allemands dans le cadre de livraisons intracommunautaires exonérées de taxe sur la valeur ajoutée ; que cela ressortait en particulier des factures d'achats des véhicules en cause ; que la SARL TVUI ne conteste pas cette affirmation et admet que l'administration établit le caractère erroné des mentions portées sur les factures délivrées par ses intermédiaires espagnols, relatives au régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur marge, et l'impossibilité, par suite, pour lesdits fournisseurs d'appliquer le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ;
7. Considérant, d'autre part, que pour établir que la société requérante ne pouvait ignorer qu'elle n'était pas en droit d'appliquer le régime de taxation sur la marge, l'administration soutient que la société requérante détenait les cartes grises et les certificats de conformité européens des véhicules en cause lesquels révélaient l'identité des premiers propriétaires de sorte qu'elle savait ainsi que les véhicules avaient été acquis auprès de professionnels de l'automobile pouvant déduire le montant de la taxe sur la valeur ajoutée acquitté lors de l'acquisition des véhicules, que la SARL TVUI choisissait le modèle du véhicule et joignait à ses commandes auprès de ses fournisseurs espagnols des annonces internet mentionnant le nom du fournisseur d'origine et portant des mentions relatives au régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable, qu'elle assurait elle-même directement d'Allemagne vers ses locaux le convoyage des véhicules acquis auprès de ses fournisseurs espagnols et que certaines factures d'achat des fournisseurs espagnols, mentionnant le régime de livraison intracommunautaire exonérée, ont été portées à la connaissance du gérant de la SARL TVUI ; que si la seule connaissance de la qualité de professionnels de l'automobile des précédents vendeurs ne suffit pas pour établir la connaissance nécessaire qu'aurait eu la SARL TVUI de l'inapplicabilité du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge appliquée par ses fournisseurs, son implication à toute les étapes du circuit de commercialisation des véhicules, démontrée par les éléments rappelés ci-dessus, permet de regarder comme établie la connaissance qu'elle devait avoir de l'inapplicabilité dudit régime aux opérations qu'elle effectuait ; qu'il suit de là que l'administration était fondée à remettre en cause l'application par la société requérante du régime de taxation sur la marge prévu par l'article 297 A du code général des impôts ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL TVUI n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de SARL TVUI est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SARL TVUI et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 14 février 2017, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président,
Mme Mear, président assesseur,
Mme Vinet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 16 mars 2017.
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N° 15LY02406