Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 novembre 2017, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 octobre 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif.
Le préfet de l'Isère soutient que :
- le jugement litigieux est insuffisamment motivé ;
- les décisions annulées ne méconnaissent pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 septembre 2018, M. D..., représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
M. D... soutient que :
- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;
- les décisions litigieuses ont méconnu sa vie privée et familiale eu égard à l'ancienneté de son séjour en France, de son insertion professionnelle et de l'antériorité de sa relation avec sa compagne avec laquelle il a eu un enfant ;
- les décisions litigieuses méconnaissent également le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 février 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme A..., première conseillère ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité congolaise, né le 16 février 1996, est entré en France en octobre 2012, où il a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance. Après avoir obtenu la délivrance de titre de séjour en qualité d'étudiant, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 27 mars 2017, le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de M. D... tendant à l'annulation de ces décisions et à ce qu'il lui soit enjoint de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. D... qui est entré en France à la fin de l'année 2012, à l'âge de 16 ans, a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité puis a été titulaire de cartes de séjour temporaire d'une durée d'un an en tant qu'étudiant, lui permettant de suivre une formation au terme de laquelle il a obtenu un CAP " peintre-applicateur de revêtement " en juillet 2016. A la date de la décision par laquelle le préfet de l'Isère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ", il était présent en France depuis 4 ans et 5 mois. Il fait par ailleurs valoir qu'il s'est inscrit à la " mission locale " de Fontaine et se présente aux entretiens professionnels, manifestant ainsi sa volonté d'insertion professionnelle. Contrairement à ce qu'il soutient, il n'établit toutefois ni l'existence de liens affectifs stables avec Madame C..., au demeurant seulement titulaire d'un récépissé de sa demande de renouvellement de son titre de séjour, ni l'existence de liens amicaux particuliers en France, où son séjour était encore assez récent à la date de la décision litigieuse. Il ne donne par ailleurs aucune précision sur sa situation familiale dans son pays d'origine, dans lequel il a passé la majeure partie de sa vie. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision lui refusant un titre de séjour aurait porté à sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler ses décisions du 27 mars 2017, le tribunal administratif s'est fondé sur ce qu'elles méconnaitraient l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il y a toutefois lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant en première instance qu'en appel.
Sur le refus de titre de séjour :
6. La décision par laquelle le préfet du Rhône a refusé à M. D... la délivrance d'un titre de séjour comporte les circonstances de fait et de droit qui la fondent est ainsi suffisamment motivée au regard des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
7. Pour les mêmes raisons que celles indiquées au paragraphe 3 ci-dessus, la décision de refus de titre de séjour litigieuse n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. D... ni ne méconnait les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. M. D... ne peut enfin utilement se prévaloir de la méconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant protégé par les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors que l'enfant qu'il a reconnu avant sa naissance, postérieurement à la décision en litige, est né le 22 janvier 2018, soit dix mois après la décision litigieuse.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. (...) ".
10. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Toutefois, dans le cas prévu au 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du refus de titre de séjour. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu avant que n'intervienne la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.
11. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour litigieux doit être écarté.
12. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour, n'impose pas à l'autorité administrative de mettre l'intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français qui est prise concomitamment et en conséquence du refus de titre de séjour. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le requérant n'ayant pas été invitée à formuler des observations avant l'édiction de l'obligation de quitter le territoire, le 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne aurait été méconnu.
13. Pour les mêmes raisons que celles indiquées ci-dessus au paragraphe 3., le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
14. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité des décisions de refus de titre de séjour et obligeant M. D... à quitter le territoire français doit être écarté.
15. Le préfet n'ayant pas fixé l'Angola comme pays à destination duquel M. D... pourrait être reconduit d'office à l'expiration du délai de départ volontaire, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination est entaché d'une erreur sur ce point.
16. Pour les motifs déjà indiqués ci-avant, la décision litigieuse ne méconnait pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à la demande de M. D... et, par suite, à en demander l'annulation.
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse quelque somme que ce soit à M. D... au titre des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 octobre 2017 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. D... présentées tant en première instance qu'en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de l'Isère, à M. E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 18 décembre 2018.
2
N° 17LY03931
ld