Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 novembre 2016 et 1er décembre 2017, M. A..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 septembre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la procédure d'imposition :
- la proposition de rectification du 30 mai 2012 est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, faute de préciser les raisons du rejet de la comptabilité et le mode de calcul des impositions ;
S'agissant du bien-fondé des impositions :
- la comptabilité de l'EURL Mamas a été écartée à tort, les seules circonstances que les stocks soient imprécis, qu'une commande à un fournisseur ne figure pas dans les écritures comptables et que certains produits, qui sont inscrits à la carte, ne soient pas vendus, n'étant pas suffisantes pour écarter la comptabilité comme non probante ;
- l'administration n'apporte pas la preuve de l'existence d'achats dissimulés en se fondant sur des fiches de caisse dont elle a parallèlement remis en cause la valeur probante ;
- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de l'EURL Mamas est radicalement viciée dans son principe en ce qu'elle aboutit à minorer artificiellement les ventes de champagne à la bouteille puis à considérer que ces ventes minorées comparées aux ventes comptabilisées sont constitutives d'achats dissimulés ;
- la majoration visée au 2° de l'article 158-7 du code général des impôts ne saurait s'appliquer au calcul des contributions sociales, en vertu de la décision n° 2016-610 QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 10 février 2017.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2017 et un mémoire en réplique enregistré le 18 décembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au non-lieu à statuer à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Anne Menasseyre, présidente assesseure ;
- et les conclusions de M. Jean-Paul Vallecchia, rapporteur public ;
1. Considérant que M. A... est le gérant et l'unique associé de l'EURL Mamas, qui exerce une activité de bar de nuit à hôtesses, et qui a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période correspondant aux exercices clos en 2008, 2009 et 2010 ; que les rectifications des bases soumises à l'impôt sur les sociétés ont été, par application des dispositions du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, considérées comme des revenus distribués au profit de M. A... qui a en conséquence été imposé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu'une proposition de rectification a été adressée, le 30 mai 2012, à M. A..., prévoyant la mise à sa charge de cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2009 et 2010, et qu'elle a été confirmée, le 3 août 2012, suite aux observations émises par l'intéressé ; que les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ont été mises en recouvrement le 30 juin 2013 ; que M. A... relève appel du jugement du 13 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités y afférentes ;
Sur l'étendue du litige :
2. Considérant que, par décision du 18 décembre 2017, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur des finances publiques de l'Isère a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence de la somme de 1 506 euros des contributions sociales auxquelles M. A... a été assujetti au titre de l'année 2009 et de l'année 2010 ; que les conclusions de la requête relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation." ; qu'aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. / (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées ; que lorsqu'elle entend notifier des redressements fondés sur le 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, l'administration doit justifier des motifs de droit ou de fait pour lesquels elle a estimé devoir rehausser les bases imposables de la société qui se trouve à l'origine des distributions ; qu'hormis le cas où elle se réfère à un document qu'elle joint à la proposition de rectification ou à la réponse aux observations du contribuable, l'administration peut satisfaire à cette obligation en se bornant à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse aux observations du contribuable, consécutive à un précédent contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, à la condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée ;
4. Considérant que la proposition de rectification n° 2120, adressée le 30 mai 2012 à M. A..., comporte l'indication des impôts concernés, des années d'imposition, de la base d'imposition retenue, le fondement légal du rappel envisagé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, et une motivation des rehaussements envisagés par l'administration se référant à la proposition de rectification des bénéfices sociaux de l'EURL Mamas que l'administration lui avait adressée le 20 décembre 2011 en qualité de gérant de cette société, sans que ce document ait été joint à la proposition du 30 mai 2012 ; que, toutefois, en réponse à cette proposition de rectification, M. A... a, le 13 juillet 2012, indiqué qu'il refusait les redressements " et ce pour les mêmes raisons qui ont été développées par l'EURL Mamas, dont je vous joins une copie " ; que, dans ces circonstances, M. A... ayant été rendu destinataire de la proposition de rectification adressée à l'EURL Mamas et ayant pu en disposer à sa convenance, il a, en fait, disposé de l'ensemble des informations auxquelles il avait droit, en application des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, pour lui permettre d'être éclairé et de prendre utilement position, ainsi qu'il l'a fait ; qu'il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales doit être écarté ;
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la régularité de la comptabilité sociale :
5. Considérant que, pour rejeter comme non probante la comptabilité de l'EURL Mamas, le vérificateur a relevé que celle-ci n'avait pas été en mesure de justifier le détail de ses recettes journalières pour les exercices faisant l'objet de la vérification de comptabilité, la société ayant, en l'absence de caisse enregistreuse sur la période vérifiée, présenté uniquement des fiches de caisse journalières mentionnant, d'une part, le nombre et le prix unitaire des boissons consommées par les clients sans que celles-ci soient identifiables ou individualisées et, d'autre part, la ventilation des recettes en fonction des moyens de paiement ; que l'inscription globale de recettes en fin de journée est un motif justifiant à lui seul que la comptabilité puisse être écartée comme non probante ; que le vérificateur a, en outre, relevé que les ventes ne reflétaient pas la carte proposée aux clients, certains champagnes, comme le Ruinard blanc de blanc, le Don Ruinard, le Pommery ou encore le Moët et Chandon, n'ayant fait l'objet d'aucune vente tandis que d'autres ont été vendus sans apparaître sur la carte ; qu'il a également été relevé qu'aucune vente d'alcool supérieur n'avait eu lieu en mars et novembre 2008, en avril et novembre 2009 et en novembre 2010 et que les stocks sont imprécis en l'absence d'indication de la contenance des produits inscrits sur l'inventaire et eu égard à l'évaluation souvent erronée de leurs prix unitaires ; que, de plus, l'exercice du droit de communication auprès des fournisseurs de l'EURL Mamas, a fait apparaître l'existence d'une facture, d'un montant de 702,14 euros, qui n'apparaissait pas en comptabilité et qui avait été réglée en espèces ; que, dans ces conditions, et au regard des nombreuses irrégularités relevées, il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve qui lui incombe des graves irrégularités dont la comptabilité de l'EURL Mamas était entachée ; qu'elle a, dès lors, pu à bon droit l'écarter comme non probante et procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de cette société ;
En ce qui concerne la reconstitution du chiffre d'affaires :
6. Considérant que, s'agissant du secteur des ventes de champagne, le vérificateur a déterminé dans un premier temps les achats nets revendus par secteur de vente et par produit à partir des factures identifiables ; qu'afin de déterminer les achats nets revendus de champagne, il a relevé les produits, les quantités achetées et les prix hors taxes correspondants, inscrits sur chacune des factures d'achats de champagne identifiables relatives à la période vérifiée ; qu'il a ensuite déterminé les quantités de champagne utilisables en bouteilles et en litrage en intégrant les stocks d'entrée et de sortie de chaque exercice ; qu'après avoir opéré une réfaction évaluée à 10 % de l'ensemble des achats utilisables afin de tenir compte des offerts, pertes et consommations du personnel, le vérificateur a déterminé les achats revendus ; que le vérificateur a ensuite procédé à la saisie de l'ensemble des fiches de caisse journalières afin de déterminer les quantités de champagne composant les chiffres d'affaires déclarés au titre des trois exercices vérifiés ; qu'il a déterminé à partir de ces mêmes fiches la répartition des ventes de champagne à la coupe, bouteilles ou cocktails et les ventes des autres alcools ; que cette ventilation a été affinée en fonction des indications données par la société au cours du contrôle ; que lorsqu'il ressortait de ces indications qu'une marque de champagne était utilisée indistinctement en bouteilles, en coupes ou en cocktail, le vérificateur a déterminé la ventilation en fonction de la répartition du litrage vendu telle qu'elle apparaissait sur les fiches de caisse ; que le vérificateur a ainsi reconstitué, par exercice, un chiffre d'affaires correspondant aux achats revendus ; que la comparaison des quantités revendues correspondant à ce chiffre d'affaires avec les quantités vendues résultant du dépouillement des fiches de caisse a mis en évidence l'existence d'achats revendus de champagne qui n'ont pas été comptabilisés, que le vérificateur a également reconstitués par application des tarifs aux quantités omises ; que le chiffre d'affaires reconstitué correspond, pour chaque exercice, à la somme des achats revendus nets de champagne comptabilisés reconstitués, des achats revendus nets de champagne non comptabilisés reconstitués, et des achats revendus reconstitués d'alcools supérieurs, d'alcools et de bières Heineken ;
7. Considérant qu'alors même que la comptabilité a été écartée à bon droit pour les motifs exposés au point 3, le vérificateur pouvait, sans que sa méthode ne s'en trouve disqualifiée, se fonder sur les éléments dont il disposait et, à défaut d'éléments plus précis, sur les fiches de caisse de l'entreprise, pour reconstituer le chiffre d'affaires que la comptabilité présentée ne reflétait pas fidèlement ; que, s'agissant des achats revendus de champagne reconstitués, en se bornant à se livrer à un raisonnement théorique qui ne reflète pas la méthode employée par l'administration, qui a pris soin de distinguer, chaque fois que cela était possible, les ventes de champagne en bouteille et de ne se livrer à une ventilation que lorsqu'une marque était indistinctement revendue à la coupe ou à la bouteille, la société n'établit pas que la méthode retenue aurait conduit, comme elle le soutient, à surestimer le volume des coupes revendues ; qu'enfin, et contrairement à ce qui est soutenu, l'administration pouvait mettre en évidence l'existence d'achats revendus non comptabilisés en se livrant à une comparaison entre les quantités résultant de l'exploitation des fiches de caisse présentées par le vérificateur et celles résultant de l'exploitation des factures d'achat présentées lors du contrôle ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve du bien-fondé de la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de l'EURL Mamas, qui n'est ni excessivement sommaire ni radicalement viciée dans son principe, de sorte que M. A... n'est pas fondé à soutenir que les montants des rehaussements mis à sa charge serait exagéré ;
9. Considérant, enfin, qu'en raison du dégrèvement intervenu le 18 décembre 2017, le moyen tiré par M. A... de ce que la majoration visée au 2° de l'article 158-7 du code général des impôts ne saurait s'appliquer au calcul des contributions sociales est devenu sans objet ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté le surplus de sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin de décharge à hauteur de 244 euros au titre de l'année 2009 et 1 262 euros au titre de l'année 2010, correspondant aux dégrèvements prononcés le 18 décembre 2017 par l'administration fiscale.
Article 2 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 2 mai 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Menasseyre, présidente assesseure, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
MmeB..., première conseillère,
Mme E..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 22 mai 2018.
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N° 16LY03697
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