Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2014 et un mémoire en réplique enregistré le 3 octobre 2014, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 juin 2014 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A... B...devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- d'une part, c'est à tort que les premiers juges ont considéré la requête de M. B... comme recevable, à défaut pour ce dernier d'établir ne pas avoir été en mesure de prévenir son conseil par téléphone et de lui transmettre les décisions dont il faisait l'objet en temps utile ;
- d'autre part, l'intéressé a lui-même mentionné dans un curriculum vitae avoir été présent en Turquie entre 2003 et 2006, y est demeuré au moins un an et demi après son expulsion du territoire français et ne peut pas se prévaloir de sa durée de séjour en France passé en détention ; que c'est donc à tort que le tribunal administratif a annulé la décision d'obligation de quitter le territoire français pour méconnaissance des dispositions du 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2014, M. A... B..., représenté par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) d'annuler les décisions du 19 février 2014, par lesquelles le préfet de l'Isère lui a fait obligation de quitter le territoire français, lui a refusé tout délai de départ volontaire, a désigné le pays à destination duquel il serait éloigné d'office et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français durant trois ans ;
2°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation administrative dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans les deux jours, le tout sous astreinte de cinquante euros par jour de retard ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère d'effacer son signalement dans le système d'information Schengen dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée.
Il soutient que :
- le préfet a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour tenter de le priver de la possibilité d'exercer un recours contre les décisions en litige ;
- les " points phone " présents au sein de l'établissement pénitentiaire ne sont pas en libre accès mais doivent donner lieu à une autorisation préalable d'un surveillant ;
- il n'avait pas fait préalablement créer l'accès téléphonique ;
- les " points phone " ne préservent pas la confidentialité des conversations téléphoniques et ne permettent pas des échanges téléphoniques dans de bonnes conditions d'audition ;
- il ne disposait alors pas de suffisamment d'argent sur son compte nominatif de détenu pour passer un appel téléphonique à son avocat et n'était pas en mesure de recharger son compte dans les délais du recours contentieux ;
- il n'était pas en mesure d'adresser l'arrêté dont il faisait l'objet à son avocat par voie de télécopie ;
- à défaut d'accès au téléphone pour contacter son avocat et d'entretien avec le service de probation et d'insertion, il n'avait pas les moyens d'exercer son droit au recours effectif garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- dès lors qu'il ne s'est absenté du territoire français que quelques mois entre 2002 et 2003, l'obligation de quitter le territoire français en litige méconnaît les dispositions du 2° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, comme l'avait déjà jugé, concernant une précédente obligation de quitter le territoire français, le tribunal administratif, par jugement du 19 juillet 2013, devenu définitif et revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2014.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bourrachot, président,
- et les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que M. B..., ressortissant turc né le 1er juillet 1973, est arrivé en France en octobre 1975, selon ses déclarations ; qu'il a résidé sur le territoire français sous couvert d'une carte de résident valable dix ans, du 1er juillet 1989 au 30 juin 1999 ; qu'il a sollicité, en 2009, la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers ; que, par un arrêté du 29 avril 2013, le préfet de l'Isère lui a opposé un refus qu'il a assorti d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, d'une décision fixant le pays de renvoi et d'une décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une période de trois ans ; que, par jugement du 19 juillet 2013, le tribunal administratif de Grenoble a confirmé la légalité du refus de délivrance de titre de séjour mais annulé les décisions susmentionnées portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et a enjoint au préfet de l'Isère de réexaminer sa situation dans le délai de trois mois et d'effacer le signalement de l'intéressé dans le système d'information Schengen ; que, par arrêté du 19 février 2014, le préfet de l'Isère a de nouveau refusé la délivrance d'un titre de séjour à M. B...et fait obligation à ce dernier de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une période de trois ans ; que M. B... a seulement contesté les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, interdiction de retour sur le territoire français et désignation du pays de renvoi devant le tribunal administratif de Grenoble, qui les a annulées par jugement du 26 juin 2014, dont le préfet de l'Isère relève appel ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; qu'aux termes de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles " ; qu'aux termes du II de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. (...) " et qu'aux termes de l'article L. 512-2 du même code : " Dès notification de l'obligation de quitter le territoire français, l'étranger auquel aucun délai de départ volontaire n'a été accordé est mis en mesure, dans les meilleurs délais, d'avertir un conseil, son consulat ou une personne de son choix. L'étranger est informé qu'il peut recevoir communication des principaux éléments des décisions qui lui sont notifiées en application de l'article L. 511-1. Ces éléments lui sont alors communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend. " ;
3. Considérant que lorsque les conditions de la notification à un étranger en détention d'une décision portant obligation de quitter le territoire sans délai portent atteinte à son droit au recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ne le mettant pas en mesure d'avertir, dans les meilleurs délais, un conseil ou une personne de son choix, elles font obstacle à ce que le délai spécial de quarante-huit heures prévu à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile commence à courir ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 19 février 2014 par lequel le préfet de l'Isère a notamment fait obligation à M. B...de quitter le territoire français sans délai, qui comportait les mentions des voies et délais de recours contentieux telles que fixées à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a été notifié à l'intéressé par voie administrative le lundi 24 février 2014 à 15 h 10, alors qu'il se trouvait incarcéré au centre pénitentiaire Le biais à Saint Quentin Fallavier ; que ce n'est que le 27 février 2014, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux de quarante-huit heures prévu à l'article L. 512-1 précité, que M. B...a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande d'annulation de cet arrêté ;
5. Considérant que M. B...fait toutefois valoir qu'il n'a pas été en mesure de contacter son conseil dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de l'arrêté en litige pour l'avertir des décisions dont il faisait l'objet, faute de pouvoir accéder à un téléphone ou un télécopieur ; que le préfet de l'Isère, se référant en appel au rapport de visite du centre pénitentiaire de Saint Quentin-Fallavier par le contrôleur général des lieux de privation de liberté établi suite à une visite effectuée du 13 au 24 août 2012, fait état de l'existence, dans cet établissement, de vingt-deux " points phone " accessibles tous les jours de la semaine de 7 h 30 à 11 h 30 et de 13 h 30 à 17 h 30 ; que ce rapport indique également que les détenus ont la possibilité de faire enregistrer, le jour-même, par l'établissement, les coordonnées téléphoniques des correspondants qu'ils souhaitent appeler ; que le même rapport précise que les bons d'alimentation dudit compte sont " ramassés en cellule le dimanche pour être traités par la régie des comptes nominatifs le jeudi suivant " et qu'il n'est " pas possible de recharger directement son compte sur un poste téléphonique " ; que si M. B...soutient en appel que le lundi 24 février 2014, son compte téléphone n'était pas alimenté de façon à lui permettre de passer un appel téléphonique à son avocat et qu'il était dans l'impossibilité d'alimenter son compte téléphone avant l'expiration du délai de quarante-huit heures, il avait indiqué devant le tribunal administratif ne pas avoir eu d'accès direct à un téléphone ou un télécopieur et n'avoir pu avertir dans les meilleurs délais un avocat ou une personne de son choix ; qu'outre que ses explications ont varié dans le temps, M. B...ne justifie d'aucune demande auprès de l'administration pénitentiaire d'accès à un téléphone, à un avocat ou à toute autre personne susceptible de l'assister ; que, dans ces conditions, il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère produit en appel des éléments suffisants pour démontrer qu'eu égard aux conditions offertes aux personnes détenues au centre pénitentiaire de Saint Quentin-Fallavier, auxquelles a été notifiée une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, pour avertir dans les meilleurs délais leur conseil ou une personne de leur choix, M. B... a été mis en mesure d'exercer effectivement son droit au recours dans le délai requis ; que, dans ces circonstances, les conditions de la notification à M. B... de l'arrêté en litige n'ont pas porté atteinte à son droit à un recours effectif et ne font pas obstacle à ce que le délai de quarante-huit heures prévu à l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile commence à courir ; que, par suite, la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Isère du 19 février 2014, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 27 février 2014, était tardive et le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté sa fin de non recevoir pour la juger recevable ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à demander l'annulation du jugement du 26 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, d'une part, a annulé ses décisions du 19 février 2014 faisant obligation à M. B...de quitter le territoire français sans délai, désignant le pays de destination et interdisant à l'intéressé de retourner sur le territoire français dans le délai de trois ans et, d'autre part, lui a enjoint de faire supprimer son signalement dans le système d'information Schengen ; que le présent arrêt, qui fait droit aux conclusions du préfet de l'Isère, n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions incidentes de M. B...aux fins d'injonction ne peuvent elles-mêmes qu'être rejetées ; qu'enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la somme demandée à ce titre par l'avocat de M.B... soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 26 juin 2014 est annulé.
Article 2 : La demande de M. A...B...devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 24 mai 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2016.
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N° 14LY02172
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