Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 octobre 2016 et le 6 octobre 2017, Mme D..., représentée par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 octobre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme D... soutient que :
- le produit de vols, détournement de fonds ou escroqueries doit être imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, et non dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux, retenue à tort par l'administration ;
- elle n'a réalisé en 2009, 2010 et 2011 aucun revenu imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ;
- la taxation des revenus litigieux en bénéfices non commerciaux et selon la procédure de taxation d'office aurait dû être précédée d'une mise en demeure de régulariser sa situation, la demande de substitution de base légale du ministre ne peut donc aboutir ;
- l'administration n'était pas dispensée de la mettre en demeure, son activité n'ayant pas été occulte ;
- le contrôle de ses revenus a été conduit sans considération des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, qui imposent l'envoi préalable d'un avis de vérification de comptabilité.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'économie et des finances soutient que :
- les revenus de la requérante étant effectivement le produit d'une escroquerie, il est fondé à demander une substitution de base légale et que les impositions soient maintenues dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- la substitution de base légale demandée n'a pas pour effet de priver Mme D...d'une garantie de procédure ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales manque en fait.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère ;
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
- et les observations de Me B...représentant Mme D...;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité, effectuée en 2012, de l'entreprise Multi Services Concept, dont Mme D...est l'exploitante, cette dernière a été destinataire de propositions de rectification le 29 décembre 2012 au titre de l'année 2009 et le 15 juin 2013 au titre des années 2010 et 2011, concernant l'impôt sur les revenus, dans la catégorie des traitements et salaires, des bénéfices industriels et commerciaux ainsi que des revenus d'origine indéterminée. Les rehaussements en cause ont été mis en recouvrement par rôle du 31 octobre 2013. Par décision du 14 avril 2015 du directeur départemental des finances publiques, la réclamation du 15 octobre 2014 par laquelle Mme D...a contesté les impositions mises à sa charge a été rejetée. Mme D...a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie à raison de l'imposition de revenus professionnels dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
2. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus (...) ". Il résulte de ce qui précède que les revenus des activités illicites, qui ne se rattachent à aucune catégorie de bénéfices ou de revenus identifiée, sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux.
3. Il résulte de l'instruction que Mme D...a été mise en examen pour escroquerie en bande organisée pour avoir, au moyen de fausses factures, constituant des manoeuvres frauduleuses, trompé autrui en vue de le déterminer à lui remettre des fonds. Mme D...se prévaut elle-même du caractère illicite de son activité, dont elle indique qu'elle consistait à émettre de fausses factures, pour soutenir que c'est à tort que l'administration a imposé ses revenus provenant de cette activité dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Eu égard à ce qui a été dit au point 2, la requérante est fondée à soutenir que les revenus imposés l'ont été dans une catégorie erronée.
3. En appel, le ministre demande toutefois que soit substituée à cette catégorie celle des bénéfices non commerciaux. Il peut être fait droit à cette demande si elle ne prive la contribuable d'aucune des garanties de procédure auxquelles elle avait droit.
4. Aux termes de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " Peuvent être évalués d'office : (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal ; 2° bis Les résultats imposables selon le régime d'imposition défini à l'article 102 ter du code général des impôts dès lors : a. Qu'un des éléments déclaratifs visés au 2 de l'article précité n'a pas été indiqué ; (...) Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2°. ". Aux termes de l'article 97 du code général des impôts : " Les contribuables soumis obligatoirement ou sur option au régime de la déclaration contrôlée sont tenus de souscrire chaque année, dans des conditions et délais prévus aux articles 172 et 175, une déclaration dont le contenu est fixé par décret. ". Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 102 ter du code général des impôts que le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux d'un montant annuel, ajusté s'il y a lieu au prorata du temps d'activité au cours de l'année civile, n'excédant pas 32 000 euros hors taxes du 1er février 2009 au 1er mai 2010, 32 100 euros hors taxes du 1er mai 2010 au 12 juin 2011, et 32 600 euros à compter 12 juin 2011, est égal au montant brut des recettes annuelles diminué d'une réfaction forfaitaire de 34 % avec un minimum de 305 euros. Les contribuables dont les revenus non commerciaux sont inférieurs à ces seuils portent directement sur la déclaration prévue à l'article 170 le montant des recettes annuelles et des plus ou moins-values réalisées ou subies au cours de cette même année.
5. Selon ces dispositions, d'une part, dans le cas où les bénéfices non commerciaux perçus par le contribuable dépassent un plafond qui était fixé, pour les années en litige, à un montant variant de 32 100 à 32 600 euros en vertu de l'article 96 du code général des impôts, le bénéficiaire de ces revenus doit les déclarer selon les modalités prévues à l'article 97 précité du code général des impôts et à défaut d'avoir effectué cette déclaration, les revenus peuvent être évalués d'office, selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 68 du livre des procédures fiscales. Et, d'autre part, dans le cas où les bénéfices non commerciaux perçus par le contribuable sont inférieurs à ce même plafond, ce dernier doit les déclarer selon les modalités prévues à l'article 102 ter précité du code général des impôts, qui renvoient à la déclaration de revenus et bénéfices prévue par l'article 170, faute de quoi, ces revenus peuvent être évalués d'office.
6. Aux termes de l'article L. 68 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de l'article 18 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, applicable aux procédures de contrôle engagées à compter du 1er janvier 2010 : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure. / Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : / (...) 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite ". Il résulte des travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi dont elles sont issues, que ces dispositions doivent être interprétées comme renvoyant à la notion d'activité occulte, telle que définie par les dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, selon lesquelles l'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite.
7. En l'espèce, l'administration a évalué d'office les revenus de Mme D...selon la procédure de taxation d'office et l'a seulement mise en demeure de régulariser sa situation au regard de ses bénéfices industriels et commerciaux. Il résulte de l'instruction, en particulier des propositions de rectification adressées à MmeD..., que les revenus provenant de son activité illicite n'étaient supérieurs au plafond précité que pour l'année 2010, au cours de laquelle ils s'établissaient à 54 401 euros. S'agissant de cette année, Mme D...n'a jamais déclaré les revenus litigieux et, en particulier, n'a pas déposé dans le délai légal la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts. Par ailleurs, si la requérante indique qu'elle a déclaré son activité le 7 septembre 2009 sous l'enseigne " Multi service concept ", elle ne soutient pas, et n'établit a fortiori, pas qu'elle aurait fait connaitre son activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 3. ci-dessus, elle a exercé une activité illicite. Ainsi, l'administration n'avait pas à lui adresser de mise en demeure avant de procéder à l'évaluation d'office de ses revenus à l'issue d'une procédure de taxation d'office. S'agissant des années 2009 et 2011, pour lesquelles ses revenus étaient inférieurs au plafond défini à l'article 96 du code général des impôts, la seule absence de déclaration de ces revenus selon les modalités prévues à l'article 102 ter du code général des impôts justifiait leur évaluation d'office, sans que l'administration n'ait à mettre en demeure Mme D...de les déclarer. Ainsi, cette dernière n'ayant été privée d'aucune garantie, la substitution de base légale peut être admise et les impositions litigieuses être maintenues sur le fondement des bénéfices non commerciaux.
8. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la situation de taxation d'office dans laquelle se trouvait Mme D...n'a pas été révélée par la vérification de comptabilité de la société Multi Services Concept. Ainsi, la circonstance que Mme D...n'aurait pas reçu l'avis de vérification de comptabilité de cette société est sans incidence sur la régularité de la procédure. Au demeurant, l'administration soutient sans être sérieusement contredite qu'elle lui a régulièrement notifié cet avis le 10 septembre 2012.
9. Il résulte de ce qui précède que Mme D...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D...et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseur,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 24 avril 2018.
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N° 16LY03568