Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 2 décembre 2016, M. et Mme B..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 octobre 2016 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et pénalités y afférentes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme B... soutiennent que :
- à compter de 2012, Mme B... a utilisé un nouveau véhicule, ce qui a eu une incidence sur le nombre de kilomètres parcouru par le véhicule Toyota, le kilométrage total parcouru au cours des cinq années devant ainsi être divisé par 4 et non par 5, ce véhicule n'ayant pas été utilisé, en tous les cas pas exclusivement, au cours de l'année 2012 ;
- les sommes en cause figuraient en comptabilité comme remboursement de frais, sous le nom de Mme B..., et ne présentaient donc pas un caractère occulte ;
- selon la jurisprudence, les remboursements de frais de déplacement calculés selon le barème kilométrique publié par l'administration et opérés en faveur d'un président directeur général qui utilise sa voiture personnelle pour ses déplacements professionnels et qui justifie du kilométrage parcouru en indiquant l'identité des clients rencontrés ainsi que les dates et lieu de rencontre doivent être regardés comme correspondant à des frais effectivement exposés, aucun élément justificatif supplémentaire ne pouvait donc être exigé ;
- l'inscription en comptabilité des remboursements de frais au profit de M. B... s'oppose à la qualification d'avantage occulte de la distribution de revenus retenue par l'administration ;
- la question de la constitutionnalité de la majoration de 25 % appliquée à la base de calcul des contributions sociales prévue à l'article 157 du code général des impôts fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.
Le ministre de l'économie et des finances soutient que :
- il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête à hauteur des dégrèvements prononcés en cours d'instance et correspondant à la renonciation à la majoration de 25 % appliquée à la base de calcul des contributions sociales ;
- Mme B... a indiqué elle-même le 30 novembre 2012 avoir utilisé le véhicule de marque Toyota jusqu'au mois de juin 2012 inclus et s'est d'ailleurs présentée avec ce véhicule au siège social de l'entreprise lors de l'entretien du 30 novembre 2012, ce qui a permis au service vérificateur d'effectuer un relevé kilométrique ;
- il résulte de la jurisprudence qu'une société qui rembourse à son dirigeant des frais de voyage et de déplacement doit, pour les déduire de ses résultats, justifier de leur montant exact et de leur exposition dans l'intérêt direct de son exploitation ;
- la société vérifiée n'a pu produire que les plannings annuels des déplacements effectués par M. B..., à l'exclusion de toute autre pièce justificative, et le kilométrage résultant de ces plannings ne correspondait pas au kilométrage effectivement constaté par le service vérificateur ;
- ces remboursements de frais n'ayant pas été inscrits en comptabilité comme des avantages en nature, ils ont un caractère occulte, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'ils portaient la rémunération des contribuables à un niveau excessif.
Par un courrier en date du 13 février 2018, la cour a informé les parties de ce qu'elle était susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public.
Par un mémoire enregistré le 28 février 2018, le ministre de l'action et des comptes publics a conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à titre subsidiaire à ce qu'il soit procédé à une substitution de base légale sur le fondement de l'article 62 du code général des impôts pour Mme B... et sur le fondement des articles 82 et 83 du code général des impôts pour M. B....
Il soutient que les remboursements de frais kilométriques ne correspondant à aucune réalité et ne se rattachant ainsi pas aux fonctions de M. et Mme B... dans la société, ils ne peuvent être regardés comme des traitements et salaires.
Par un mémoire enregistré le 7 mars 2018, M. et Mme B... concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Ils soutiennent en outre que l'inscription en comptabilité des remboursements de frais fait obstacle à la qualification d'avantage ou de rémunération occulte.
Le 23 mars 2018, le ministre de l'action et des comptes publics a produit un nouveau mémoire.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., première conseillère ;
- et les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. A l'issue d'une vérification de comptabilité de la société Sogeb, l'administration fiscale a remis en cause les remboursements des frais kilométriques alloués à M. et Mme B..., respectivement salarié et gérante de cette société, au titre des exercices 2009, 2010 et 2011. M. et Mme B...ont fait l'objet de propositions de rectification en date des 12 décembre 2012 et 26 mars 2013, mettant à leur charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales pour les années 2009, 2010 et 2011. Par décision du 4 juin 2014, l'administration fiscale a réduit le montant de l'imposition réclamée et a rejeté le surplus de leur réclamation préalable. M. et Mme B... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la décharge des impositions restant à leur charge.
Sur l'étendue du litige :
2. Par une décision du 9 juin 2017, l'administration a prononcé en faveur de M. et Mme B... un dégrèvement d'un montant total de 9 050 euros, correspondant à la majoration de 25 % appliquée à la base de calcul des cotisations supplémentaires de contributions sociales au titre des années en litige. Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre lesdites cotisations supplémentaires de contributions sociales à hauteur de la somme de 9 050 euros.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant de Mme B..., gérante de la société Sogeb :
3. Pour imposer comme revenus distribués entre les mains de Mme B... les sommes réintégrées dans les résultats de la société Sogeb, l'administration fiscale s'est fondée sur les dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts, aux termes desquelles : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ".
4. Aux termes de l'article 62 du code général des impôts : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués : a) aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) ". Les remboursements de frais, même non justifiés, consentis à un gérant majoritaire de SARL, qui sont susceptibles d'être regardés comme un complément de rémunération trouvant son origine dans l'exercice des fonctions de l'intéressé, constituent, en principe, un élément de sa rémunération imposable, en application des dispositions précitées, dans la catégorie des rémunérations alloués aux gérants majoritaires de SARL, sauf si leur montant, ajouté aux autres éléments de la rémunération, a pour effet de porter le total de celle-ci à un niveau excessif. Dans cette hypothèse, les remboursements de frais injustifiés peuvent être imposés comme revenus de capitaux mobiliers.
5. En l'espèce, les frais kilométriques remboursés à Mme B... ont été comptabilisés explicitement comme tels dans la comptabilité de la société Sogeb et il résulte de l'instruction qu'ils trouvent leur origine dans l'exercice des fonctions de l'intéressé. Ainsi, quand bien-même ils étaient injustifiés, ils ne constituent pas une rémunération occulte au sens des dispositions précitées.
6. Il résulte de l'instruction que les remboursements de frais kilométriques perçus par Mme B... ont représenté un montant de 32 549 euros pour l'année 2009, au titre de laquelle elle avait déclaré la somme de 120 000 euros comme traitements et salaires, 22 328 euros pour l'année 2010, au titre de laquelle elle avait déclaré la somme de 227 350 euros comme traitements et salaires et 22 123 euros pour l'année 2011, pour laquelle elle avait déclaré la somme de 265 000 euros comme traitements et salaires. L'administration ne soutient pas, et il ne résulte pas de l'instruction, qu'eu égard aux fonctions occupées par Mme B..., ce complément de rémunération porterait celle-ci à un niveau excessif. Ainsi, les sommes litigieuses doivent être regardées comme des éléments de rémunération imposables sur le fondement de l'article 62 du code général des impôts. L'administration se prévalant, à titre subsidiaire de ce fondement et sollicitant une substitution de base légale, les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu litigieuses peuvent être partiellement maintenues sur le fondement des dispositions de l'article 62 du code général des impôts, dès lors que cela ne prive les contribuables d'aucune garantie. En revanche, les cotisations supplémentaires de contributions sociales se trouvant dépourvues de base légale, elles doivent être totalement déchargées.
S'agissant de M. B..., salarié de la société Sogeb :
7. Pour imposer comme revenus distribués entre les mains de M. B... les sommes réintégrées dans les résultats de la société Sogeb, l'administration fiscale s'est fondée sur les dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts, aux termes desquelles : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ".
8. Aux termes de l'article 82 du code général des impôts : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (...). ". Le montant du revenu net imposable est déterminé selon les règles prévues par l'article 83 du code général des impôts. Il résulte de ces dispositions que les avantages en argent ou en nature accordés par les employeurs à leurs salariés en sus de leurs émoluments et salaires ont en principe le caractère de salaires et sont imposables en tant que tels. L'administration ne peut les imposer sur le fondement des revenus de capitaux mobilier que si elle établit que leur octroi à l'intéressé aboutit à porter sa rémunération à un niveau excessif.
9. En l'espèce, les frais kilométriques remboursés à M. B... ont été comptabilisés explicitement comme tels dans la comptabilité de la société Sogeb et il résulte de l'instruction qu'ils trouvent leur origine dans l'exercice des fonctions de l'intéressé. Ainsi, quand bien-même ils étaient injustifiés, ils ne constituent pas une rémunération occulte au sens des dispositions précitées.
10. Il résulte de l'instruction que les remboursements de frais kilométriques perçus par M. B... ont représenté un montant de 19 569 euros pour l'année 2010, au titre de laquelle il avait déclaré la somme de 13 069 euros comme traitements et salaires, et 16 929 euros pour l'année 2011, pour laquelle il avait déclaré la somme de 12 185 euros comme traitements et salaires. L'administration ne soutient pas, et il ne résulte pas de l'instruction, qu'eu égard aux fonctions occupées par M. B..., ce complément de rémunération serait excessif. Ainsi, les sommes litigieuses doivent être regardées comme des éléments de rémunération imposables sur le fondement de l'article 82 du code général des impôts. L'administration se prévalant à titre subsidiaire de ce fondement et sollicitant une substitution de base légale, les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu litigieuses peuvent être partiellement maintenues sur le fondement des dispositions de l'article 82 du code général des impôts, dès lors que cela ne prive les contribuables d'aucune garantie. En revanche, les cotisations supplémentaires de contributions sociales se trouvant dépourvues de base légale, elles doivent être totalement déchargées.
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble n'a pas prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu litigieuses à hauteur de ce qu'implique la requalification en traitements et salaires des sommes perçues par M. et Mme B... au titre des frais kilométriques, et de la totalité des cotisations supplémentaires de contributions sociales restant en litige ainsi que des pénalités afférentes à ces impositions.
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme B... dans l'instance et non compris dans les dépens, en application des dispositions de l'art L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête dirigées contre les cotisations supplémentaires de contributions sociales à hauteur de la somme de 9 050 euros.
Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2009, 2010 et 2011, ainsi que des pénalités y afférentes, à hauteur de ce qu'implique la requalification en traitements et salaires des sommes qu'ils ont perçues au titre des frais kilométriques.
Article 3 : M. et Mme B... sont déchargés de la totalité des cotisations supplémentaires de contributions sociales et des pénalités afférentes restant en litige.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 6 octobre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à M. et Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2018, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Menasseyre, présidente-assesseure,
Mme A..., première conseillère.
Lu en audience publique le 24 avril 2018.
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N° 16LY03978