Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 janvier 2016, le préfet du Rhône demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 22 décembre 2015.
Le préfet soutient que :
- le principe du contradictoire n'a pas été respecté devant le tribunal administratif de Lyon en l'absence de communication du mémoire de l'intéressée enregistré le 7 décembre 2015 ainsi que de la note en délibérée présentée le 8 décembre 2015 ;
- les premiers juges ont écarté à tort la fin de non recevoir soulevée en défense tirée de la tardiveté de la requête ;
- sa décision refusant la délivrance d'un titre de séjour à Mme C...n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elle a été prise conformément aux dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il y a lieu de faire droit à ses conclusions de première instance aux fins de rejet de la demande de MmeC....
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2016, MmeC..., représentée par MeB..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 800 euros au profit de son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
Elle soutient que :
S'agissant de la fin de non-recevoir opposée par le préfet :
- elle conteste avoir reçu le 4 novembre 2014 la décision du 30 octobre 2014 du préfet du Rhône, mais déclare que celle-ci ne lui a été remise en main propre que le 29 décembre suivant lors de la présentation en préfecture, en sorte que sa demande de première instance n'était pas tardive ; le préfet n'apporte pas la preuve qui lui incombe d'une notification régulière de la décision attaquée ;
S'agissant du refus de délivrance de titre de séjour :
- la décision est entachée d'erreur de droit en l'absence de prise en considération de l'ensemble des critères énumérés par les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la seule présence dans le pays d'origine de membres de la famille, ses trois frères avec lesquels elle a constamment déclaré ne plus avoir de contact, ne suffit pas à justifier le refus de titre de séjour ; il appartient à l'administration de prendre en considération la nature des liens entretenus avec la famille ; le préfet n'a pas tenu compte de sa situation effective d'isolement ;
- le préfet ne contredit pas sérieusement ni utilement l'authenticité de son récit et les éléments produits ;
- elle remplit les critères de délivrance du titre de séjour sollicité et la décision de refus est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Mme A... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 avril 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- et les observations de Me B..., représentant MmeC... ;
1. Considérant que MmeC..., ressortissante de la République démocratique du Congo, déclare être entrée en France le 8 septembre 2012 ; qu'elle a sollicité, en février 2014, un titre de séjour sur le fondement des articles L. 313-14 et L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par des décisions du 30 octobre 2014, le préfet du Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ; que, par le jugement attaqué du 22 décembre 2015, le tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions, enjoint au préfet du Rhône de réexaminer la situation de Mme C... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour et condamné l'Etat à verser à Me B...une somme de 800 (huit cents) euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle ; que, par la présente requête, le préfet du Rhône relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire est en état d'être jugée, les parties peuvent être informées de la date (...) à laquelle il est envisagé de l'appeler à l'audience. Cette information précise alors la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2. (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 613-1 du même code : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close. Cette ordonnance n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. (...) " ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 613-3 du code de justice administrative : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'une production, mémoire ou pièce, émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision, ainsi que de la viser sans l'analyser, mais qu'il ne peut la prendre en compte sans avoir préalablement rouvert l'instruction afin de la soumettre au débat contradictoire ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (...) Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. (...) " ;
5. Considérant qu'il ressort de la lecture du jugement attaqué que, par ordonnance du 4 décembre 2015, la clôture d'instruction de l'affaire opposant Mme C...au préfet du Rhône a été fixée au 7 décembre 2015 ; que Mme C... a produit un mémoire en réplique, enregistré le 7 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif de Lyon ainsi qu'une note en délibéré enregistré le 8 décembre 2015, qui n'ont pas été communiqués au préfet du Rhône ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que pour prendre sa décision, le tribunal administratif de Lyon ne s'est pas fondé sur des éléments communiqués dans ces pièces, qui bien que visées n'ont pas été analysées ; que, par suite, le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit être écarté ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Rhône ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. (...) " ;
7. Considérant que comme l'ont rappelé les premiers juges, il incombe à l'administration, lorsqu'elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté d'une action introduite devant une juridiction administrative, d'établir la date à laquelle la décision attaquée a été régulièrement notifiée à l'intéressé ; qu'en cas de retour à l'administration, au terme du délai de mise en instance, du pli recommandé contenant la décision, la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, dès lors du moins qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste ;
8. Considérant que pour écarter la fin de non-recevoir opposée par le préfet du Rhône en première instance tirée de la tardiveté de la demande, le tribunal administratif de Lyon a jugé que ce dernier n'établissait pas la réalité et la régularité de la notification des décisions litigieuses à Mme C..., alors que l'intéressée soutient n'en avoir eu connaissance que le 29 décembre 2014, par la remise de ces décisions en main propre en préfecture, qu'elle a présenté une demande d'aide juridictionnelle le 21 janvier 2015 qui lui a été accordée par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 27 février 2015 et que la requête de première instance a été enregistrée au greffe du tribunal le 5 mai 2015, soit dans le délai de trente jours après notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ; que pour démontrer la tardiveté de la demande de l'intéressée devant le juge de l'excès de pouvoir, le préfet du Rhône fait valoir que l'arrêté litigieux a été expédié par pli recommandé avec accusé réception à l'adresse communiquée par l'intéressée aux services préfectoraux et que la notification de cet arrêté mentionnait les voies et délais de recours, et que la remise d'une copie pour information à l'intéressée ne pouvant avoir eu pour effet de prolonger le délai de recours contentieux ; qu'au soutien de la fin de non-recevoir à nouveau opposée en appel, le préfet du Rhône produit l'avis de passage relatif au pli adressé en recommandé avec accusé réception par la préfecture du Rhône le 31 octobre 2014 indiquant que le destinataire est inconnu à cette adresse ; que s'il se prévaut d'un document de suivi de La Poste, correspondant à l'enveloppe comportant l'avis de passage à l'adresse de Mme C... portant le même numéro, ce document qui confirme que le pli a bien été présenté à cette adresse, ne permet toutefois pas, par les mentions qu'il comporte, de considérer que le pli a été effectivement distribué et remis à l'intéressée contre signature, dès lors qu'il indique que le pli a été " retourné à l'expéditeur pour cause de boîte non identifiable ", puis " remis au destinataire " ce dernier étant nécessairement le service expéditeur ; que, dans ces conditions, faute pour le préfet du Rhône de produire tout document probant attestant de la remise de l'arrêté à l'intéressée contre signature à la date alléguée, le tribunal administratif de Lyon a pu écarter la fin de non-recevoir opposée en défense pour absence de preuve de la notification régulière des décisions litigieuses avant leur remise en main propre à Mme C... le 29 décembre 2014 ;
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé. " ;
10. Considérant que, lorsqu'il examine une demande de titre de séjour, présentée sur le fondement de ces dispositions dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle ; que, disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française ; qu'il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée ;
11. Considérant que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à Mme C... le préfet du Rhône a relevé que l'intéressée, célibataire et sans charge de famille ne justifiait pas être isolée dans son pays d'origine et, qu'en outre, elle ne produisait ni contrat de travail, ni promesse d'embauche, condition, selon lui, d'octroi d'un titre de séjour en application des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
12. Considérant qu'au soutien de sa requête en appel, le préfet du Rhône soutient que la charge de la preuve de l'absence de liens avec la famille restée dans le pays d'origine incombe à Mme C... et qu'elle a, elle-même, déclaré que trois de ses frères demeuraient en République démocratique du Congo ;
13. Considérant, d'une part, qu'en subordonnant à la production d'un contrat de travail ou d'une promesse d'embauche la délivrance du titre de séjour sollicité sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet du Rhône a entaché sa décision d'une erreur de droit ;
14. Considérant d'autre part, que, comme l'ont relevé les premiers juges, Mme C..., confiée aux services de l'aide sociale à l'enfance du département du Rhône, par ordonnance du 24 septembre 2012 du procureur de la République puis jugement du 10 octobre 2012 du juge des enfants, a bénéficié à sa majorité d'un " contrat jeune majeur " avec le département du Rhône a été scolarisée au lycée professionnel Don Bosco où elle a obtenu, en juillet 2014, un certificat d'aptitude professionnelle " Agent polyvalent de restauration " et qu'à la date du refus de titre de séjour litigieux, elle suivait une formation d'" Assistant technique en milieu familial et professionnel " ; qu'elle a toujours soutenu que ses parents étaient décédés avant son arrivée en France et n'avoir aucun contact avec ses trois frères demeurés en République démocratique du Congo ; qu'il ne ressort en outre pas des pièces du dossier qu'elle a conservé quels que liens que ce soit avec son pays d'origine ; que, dans ces conditions, en refusant de délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-15 le préfet a en outre commis une erreur manifeste d'appréciation ;
15. Considérant que, par suite, le préfet du Rhône n'est pas fondé à soutenir que, c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Lyon a annulé sa décision de refus de séjour du 30 octobre 2014, et par voie de conséquence, annulé l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et la décision fixant le pays de destination et lui a enjoint de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement et dans l'attente de lui délivrer une autorisation provisoire au séjour, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au profit de Me B..., son conseil, en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant que Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à payer à MeB... ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Rhône est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B...une somme de 1 000 (mille) euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me B... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., au ministre de l'intérieur et au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2017, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 août 2017.
N°16LY00190 5