Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 5 décembre 2019, le préfet de la Saône-et-Loire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 novembre 2019 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Dijon.
Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, les décisions en litige ne sont pas dépourvues de base légale, nonobstant l'erreur affectant leurs visas.
Par une ordonnance du 16 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juillet 2020.
Par un courrier du 15 juillet 2020, les parties ont été informées, sur le fondement des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, d'une part, de ce que la cour était susceptible de se fonder sur le moyen tiré de l'inapplicabilité du 7° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la possibilité d'y substituer d'office en tant que de besoin la base légale tirée du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, de ce que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions du préfet de la Saône-et-Loire en tant qu'elles sont dirigées contre l'article 1er du jugement attaqué, le préfet de la Saône-et-Loire ne justifiant pas d'un intérêt à contester cet article qui renvoie les conclusions dirigées contre l'arrêté du 3 novembre 2019 portant refus d'admission au séjour, ainsi que les conclusions aux fins d'injonction, devant une formation collégiale du tribunal.
Par un mémoire enregistré le 21 juillet 2020, qui n'a pas été communiqué, le préfet de la Saône-et-Loire a présenté des observations en réponse à ces moyens d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme D... F..., première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., ressortissant tunisien né le 20 mai 1992, déclare être entré en France au mois de mai 2017. Par décisions du 3 novembre 2019, le préfet de la Saône-et-Loire a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, l'a assigné à résidence et l'a obligé à se présenter quotidiennement au commissariat de police de Chalon-sur-Saône. Par un jugement du 8 novembre 2019, dont le préfet de la Saône-et-Loire relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a renvoyé les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision portant refus d'admission au séjour ainsi que les conclusions à fin d'injonction y afférentes devant une formation collégiale et a annulé les autres décisions en litige.
Sur la contestation du jugement en tant qu'il a renvoyé la contestation du refus de séjour devant une formation collégiale :
2. Le premier juge ne s'est pas prononcé, par le jugement attaqué, sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 3 novembre 2019 du préfet de la Saône-et-Loire portant refus d'admission au séjour, qu'il a renvoyées à une formation collégiale du tribunal, ainsi que les conclusions aux fins d'injonction. Dès lors, les conclusions du préfet de la Saône-et-Loire en tant qu'elles sont dirigées contre l'article 1er du jugement attaqué sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.
Sur le surplus des conclusions de la requête :
3. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. _ L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) 7° Si le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ".
4. Lorsqu'il constate que l'arrêté en litige devant lui aurait pu être pris, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui sur lequel il se fonde, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.
5. Si le préfet de la Saône-et-Loire reconnaît avoir à tort visé le 7° du I. de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, ainsi, que le comportement de M. C... ne constituait pas une menace pour l'ordre public, il est toutefois constant que ce dernier est entré irrégulièrement sur le territoire français. Par ailleurs, au jour des décisions en litige, il était dépourvu de titre de séjour. Par suite, si le préfet de la Saône-et-Loire s'est, à tort, fondé sur le 7° du I de l'article L. 511-1 pour lui faire obligation de quitter le territoire français, M. C... pouvait faire l'objet d'une telle mesure sur le fondement du 1° de ce même article. Il y a, par suite, lieu de procéder à une substitution de la base légale de l'obligation de quitter le territoire français en litige, dès lors que cette substitution n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.
6. Il suit de là que le préfet de la Saône-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a, pour annuler ses décisions du 3 novembre 2019, retenu le moyen tiré du défaut de base légale de l'obligation de quitter le territoire français.
7. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les parties tant devant le tribunal administratif de Dijon que devant elle.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision énonçant l'obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l'indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III. (...) II. _ L'étranger auquel il est fait obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de l'obligation de quitter le territoire français. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...) ".
9. La décision portant obligation de quitter le territoire français sans délai vise notamment le I et le a du 3°) du II de l'article L. 511-1 du code de justice administrative et indique, en mentionnant notamment que M. C... a déclaré être entré irrégulièrement en France sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour, les motifs de fait pour lesquels le préfet de la Saône-et-Loire a estimé qu'il relevait de ces dispositions. Elle mentionne, au surplus, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, celui-ci étant célibataire et sans enfants. Cette décision comporte, ainsi, les considérations de droit et de fait qui la fondent, nonobstant l'erreur entachant l'alinéa du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile précisément visé. Elle est, par suite, suffisamment motivée.
10. En second lieu, comme indiqué au point 5 du présent arrêt, M. C... relevait du 1° du I de l'article L 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, celui-ci n'ayant pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour depuis son entrée irrégulière, le préfet de la Saône-et-Loire a pu, sans erreur d'appréciation, considérer qu'il existait un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement prononcée à son encontre et refuser, pour ce motif, de lui accorder un délai de départ volontaire. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, le préfet de la Saône-et-Loire a méconnu l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français durant deux ans :
11. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. /(...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence des cas prévus au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.". Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
12. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de cette décision, M. C... n'était présent que depuis deux ans sur le territoire français. S'il prétend être le père d'un enfant de nationalité française né le 9 janvier 2019, il ne produit aucune pièce relative à cet enfant, ni ne démontre l'avoir reconnu. Les attestations qu'il produit ne sauraient davantage suffire à établir la réalité de la relation qu'il prétend entretenir avec la mère de cet enfant, avec laquelle il ne réside pas. Alors même que deux membres de sa fratrie demeurent en France, il n'est pas dépourvu d'attaches privées et familiales dans son pays d'origine, où il a vécu, à tout le moins, jusqu'à l'âge de 25 ans, où demeure sa mère et où se rend régulièrement son père. Dans ces conditions, et alors même qu'il n'a jamais fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, le préfet de la Saône-et-Loire n'a pas procédé à une inexacte application des dispositions précitées, eu égard aux critères qu'elles énumèrent, en prescrivant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Sur la légalité de la décision portant assignation à résidence et l'obligeant à se présenter au commissariat :
13. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 5° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé (...). La décision d'assignation à résidence est motivée (...) ". L'avant dernier alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui s'applique aux assignations à résidence prononcées en application de l'article L. 561-2 en vertu du neuvième alinéa de ce même article, dispose que : " L'étranger astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par l'autorité administrative doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. (...) ". L'article R. 561-2 du même code précise que : " L'autorité administrative détermine le périmètre dans lequel l'étranger assigné à résidence (...) est autorisé à circuler muni des documents justifiant de son identité et de sa situation administrative et au sein duquel est fixée sa résidence. Elle lui désigne le service auquel il doit se présenter, selon une fréquence qu'il fixe dans la limite d'une présentation par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et les jours fériés ou chômés. Toutefois, lorsque l'étranger est assigné à résidence en application de l'article L. 561-1 au titre du 5° de cet article ou d'une des mesures prévues aux articles L. 523-3, L. 523-4 et L. 523-5, l'autorité administrative peut fixer à quatre au plus le nombre de présentations quotidiennes. La même autorité administrative est compétente pour désigner à l'étranger assigné à résidence, en application de l'article L. 561-1, une plage horaire pendant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il réside ".
14. Il ressort de ces dispositions qu'une mesure d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile consiste, pour l'autorité administrative qui la prononce, à déterminer un périmètre que l'étranger ne peut quitter et au sein duquel il est autorisé à circuler et, afin de s'assurer du respect de cette obligation, à lui imposer de se présenter, selon une périodicité déterminée, aux services de police ou aux unités de gendarmerie. Une telle mesure n'a pas, en dehors des hypothèses où elle inclut une astreinte à domicile pour une durée limitée, pour effet d'obliger celui qui en fait l'objet à demeurer à son domicile.
15. En premier lieu, il ressort de l'ensemble des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises les décisions par lesquelles l'autorité administrative assigne à résidence un ressortissant étranger. Dès lors, l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixe les règles générales de procédure applicables aux décisions devant être motivées en vertu de l'article L. 211-2 du même code, ne peut être utilement invoqué par M. C.... Par ailleurs, et en tout état de cause, la décision l'assignant à résidence comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait qui la fondent sans que le préfet de la Saône-et-Loire n'ait été tenu de justifier les modalités de présentation aux services de police qu'il a retenues. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
16. En deuxième lieu, l'obligation de quitter le territoire français n'encourant pas la censure, il est vainement soutenu que l'illégalité de cette décision priverait de base légale la mesure d'assignation à résidence en litige.
17. En dernier lieu, la circonstance que M. C... ne se serait jamais soustrait à des mesures de contrôle ne saurait suffire à démontrer que l'obligation de présentation quotidienne au commissariat de Chalon-sur-Saône qui lui est faite par la décision en litige ne serait pas nécessaire. M. C... ne faisant valoir aucune circonstance qui ferait obstacle à l'exécution de cette obligation, le préfet de la Saône-et-Loire n'a pas manifestement méconnu les dispositions précitées en l'assignant à résidence selon les modalités qu'il a fixées.
18. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Saône-et-Loire est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a annulé ses décisions du 3 novembre 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai de M. C..., lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et l'ayant assigné à résidence.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 3 à 5 du jugement n° 1903134 du magistrat désigné du tribunal administratif de Dijon du 8 novembre 2019 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... C... devant le tribunal administratif de Dijon tendant à l'annulation des décisions du 3 novembre 2019 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et assignation à résidence est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du préfet de la Saône-et-Loire est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Saône-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 1er septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme E... B..., présidente de chambre,
M. Pierre Thierry, premier conseiller,
Mme D... F..., première conseillère.
Lu en audience publique le 1er octobre 2020.
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N° 19LY04457