Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 juin 2014, Mme I...J..., Mme H... F... et Mme A...G..., représentées par MeB..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 avril 2014 ;
2°) de condamner la commune de Charavines à leur verser une indemnité de 101 000 euros en réparation de l'ensemble des préjudices subis, ou à titre subsidiaire, la somme de 50 000 euros, au titre de leur préjudice financier ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Charavines une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la commune a commis une faute en retirant de façon illégale des droits qui leur étaient acquis, en refusant d'exécuter les termes d'une délibération et en cédant un terrain à un lotisseur alors qu'il leur appartenait ;
- elles justifient d'un préjudice à hauteur de la valeur vénale de ce bien, correspondant à la somme de 95 000 euros, ou à titre subsidiaire, à hauteur de la somme de 50 000 euros correspondant à l'indemnisation proposée par la commune ;
- elles justifient d'un préjudice moral à hauteur de la somme de 6 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2014, la commune de Charavines, représentée par Me C...conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge des requérantes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement contesté est suffisamment motivé ;
- la délibération du 29 février 2008 n'a pas eu pour effet de créer un droit acquis au profit des appelantes dès lors que l'échange n'aurait pu être réalisé sans le versement d'une soulte, ce qui nécessitait une nouvelle délibération du conseil municipal, ainsi que l'avis préalable du service des domaines; ainsi, la décision contestée doit s'analyser comme un refus d'exécuter une délibération illégale voire inexistante ; les moyens tirés de ce que la décision du 10 février 2010 aurait été prise par une autorité incompétente, au-delà d'un délai de quatre mois et en méconnaissance des dispositions de la loi du 12 avril 2000 sont donc inopérants ;
- en tout état de cause, l'illégalité de la décision tirée d'un vice de procédure n'est pas de nature à engager la responsabilité de la commune, si la décision est justifiée au fond ;
- le moyen tiré de la "cession du bien d'autrui" manque en fait, aucun acte constatant l'échange n'ayant été établi ;
- le préjudice invoqué est inexistant dès lors que le patrimoine des appelantes n'a subi aucune diminution ; en tout état de cause, la parcelle litigieuse qui doit demeurer un espace vert communal n'a pas autant de valeur que l'estiment les requérantes ;
- en espérant réaliser un échange manifestement illégal, les requérantes ont commis une faute de nature à exonérer la commune de toute responsabilité ; de même, les requérantes doivent tenir compte de la valeur de leur propre terrain pour évaluer leur préjudice ; enfin, aucun préjudice moral n'est démontré.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 14 juin 2016 :
- le rapport de Mme Dèche, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Clément, rapporteur public ;
- et les observations de MeE..., pour la commune de Charavines.
1. Considérant qu'à la suite du décès en 2004 de M. D...J..., les consorts J...sont devenus propriétaires par voie de succession d'une parcelle cadastrée AD 482, située au lieudit Aux Arrondières, d'une superficie de 2 177 m², qui appartenait à la commune de Charavines avant qu'elle ne l'échange, par acte du 19 janvier 1984, contre un terrain appartenant à M. D...J..., cadastré AE 371 et 372, d'une superficie de 2005 m² ; que par une délibération du 29 février 2008, le conseil municipal de Charavines a accepté d'échanger avec les consorts J...une parcelle de terrain appartenant à la commune et cadastrée AN 132, d'une superficie de 1300 m², située au lieudit le Guillermet, contre ladite parcelle de terrain située aux Arrondières et cadastrée AD 482 ; que, cependant, par lettre du 10 février 2010, le maire de Charavines a fait savoir aux consorts J...que la commune ne pouvait leur céder cette parcelle cadastrée AN 132, dès lors qu'elle était destiné à devenir un jardin communal ; que les consorts J...relèvent appel du jugement du 17 avril 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Charavines à leur verser une indemnité de 101 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de cette décision du 10 février 2010 ;
Sur la responsabilité de la commune :
2. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutiennent les consorts J..., il ne résulte pas de l'instruction que la commune aurait vendu la parcelle cadastrée AN 132 qui devait leur revenir ; que, dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la commune de Charavines aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité de la commune du fait de cette prétendue vente ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits qu'à la double condition que cette décision soit illégale et que le retrait intervienne dans le délai de quatre mois suivant la date à laquelle elle a été prise ;
4. Considérant, d'une part, que si la commune de Charavines soutient que la délibération du 29 février 2008 constituerait une décision conditionnelle, il résulte de l'instruction que cette décision n'était soumise à aucune condition qui aurait consisté notamment à verser une soulte destinée à compenser la différence de valeur entre les terrains échangés ; que, d'autre part, la commune de Charavines fait valoir que la délibération du 29 février 2008 ne pouvait, sans méconnaître le principe constitutionnel interdisant à une personne publique de céder un bien à une personne privée poursuivant des fins d'intérêt privé à un prix inférieur à sa valeur, permettre l'échange de deux terrains de valeur inégale sans versement de soulte ; qu'elle fait également valoir qu'un tel échange, constitutif d'un enrichissement sans cause des intéressées, ne pouvait être pris sans délibération expresse du conseil municipal la valeur respective des terrains échangés et sans avis préalable du service des domaines ; que, toutefois, si de telles circonstances, à les supposer établies, sont de nature à entacher ladite délibération d'illégalité, elles sont en revanche sans incidence sur son existence ; qu'ainsi, la commune de Charavines ne peut utilement se prévaloir de telles illégalités qui ne sont pas de nature à conférer à la délibération du 29 février 2008, le caractère d'un acte inexistant ; que dans ces conditions, la délibération du 29 février 2008 qui n'est soumise à aucune condition et qui n'a pas le caractère d'un acte inexistant, doit être regardée comme une décision individuelle créatrice de droits au bénéfice des consorts J...; qu'ainsi, au 10 février 2010, date de la décision litigieuse, la délibération du 29 février 2008 ne pouvait plus être légalement retirée ; que, par suite, la décision du 10 février 2010 qui a pour effet de procéder au retrait de la décision d'échanger les parcelles de terrains qui avait été accepté par la délibération du 29 février 2008 est entachée d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de la commune de Charavines à l'égard des consort Deschaux-Beaume ;
5. Considérant, en troisième lieu, que, si en vertu d'un principe général, il incombe, en outre, à l'autorité administrative de ne pas appliquer un règlement illégal, en l'absence même de toute décision juridictionnelle qui en aurait prononcé l'annulation ou l'aurait déclaré illégal, il est constant que la délibération du 29 février 2008, dont les consorts J...demandaient qu'il soit fait application, ne présente pas le caractère d'un acte réglementaire ; qu'ainsi, le maire de la commune de Charavines ne pouvait légalement refuser, pour ce motif, de procéder à l'échange de terrains litigieux ; que, par suite, les consorts J...sont également fondés à soutenir que la décision du 10 février 2010 est entachée d'une autre illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de la commune de Charavines à leur égard ;
6. Considérant, en dernier lieu, que si la commune de Charavines fait par ailleurs valoir que les appelantes ne pouvaient ignorer que l'échange de terrains décidé par la délibération du 29 février 2008 était illégal, une telle circonstance, à la supposer établie ne saurait par elle-même constituer une faute de nature à l'exonérer, même partiellement, de sa responsabilité à l'égard des consorts J...;
7. Considérant qu'il résulte de tout de ce qui précède que la commune de Charavines n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a estimée entièrement responsable des conséquences dommageables qui sont résultées de l'illégalité de la décision du 10 février 2010 ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne la perte de valeur du patrimoine des consorts J...:
8. Considérant, en premier lieu, que les requérantes se prévalent d'une perte de valeur de leur patrimoine à hauteur de la valeur vénale de la parcelle de terrain qui aurait dû leur revenir ; qu'elles évaluent cette perte à hauteur de la somme de 95 000 euros en produisant une estimation du bien réalisée par un agent immobilier supposant l'accessibilité au terrain ainsi que sa viabilité ; que, toutefois, il est constant que les intéressées sont restées propriétaires de la parcelle de terrain située aux Arrondières, cadastrée AD 482, dont la valeur doit nécessairement être déduite de l'évaluation de la perte de valeur de leur patrimoine ; qu'en outre, il résulte de l'instruction que la parcelle cadastrée AN 132 a vocation à demeurer un espace vert communal aux termes d'une convention signée entre la commune et l'ancien propriétaire qui s'était engagé à céder le terrain à titre gratuit à la condition expresse que cette parcelle soit affectée à un espace vert communal ; que si la commune a envisagé de réaliser un lotissement sur ce terrain, il résulte de l'instruction que l'ancien propriétaire l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu, pour voir prononcer la nullité de la cession de la parcelle litigieuse ; que le rejet de cette demande a fait l'objet d'un recours en cassation ; que, dans ces conditions, l'évaluation de la parcelle cadastrée AN 132, doit en tout état de cause tenir compte de ces circonstances faisant obstacle à la réalisation de toute construction, alors même qu'elle serait constructible au regard des règles d'urbanisme ; que par suite, les requérantes n'établissent pas la perte de la valeur escomptée de leur patrimoine compte tenu de l'apport de la parcelle qui devait leur revenir ;
9. Considérant, en second lieu, que compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les requérantes ne justifient pas plus de la perte vénale de leur patrimoine à hauteur de la somme de 50 000 euros qui leur avait été proposée par la commune, en juin 2010, à titre d'indemnisation ; qu'en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle proposition d'indemnisation aurait été acceptée par les intéressées ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
10. Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il sera fait une juste appréciation de la réparation due aux consorts J...au titre du préjudice moral généré par l'illégalité de la décision du 10 février 2010 en condamnant la commune de Charavines à leur verser une indemnité de 1 000 euros de ce chef ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts J...sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de leur demande tendant à la condamnation de la commune de Charavines à leur verser une indemnité de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la commune de Charavines demande sur leur fondement au titre de ses frais non compris dans les dépens soit mise à la charge des consorts J... qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune de Charavines une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts J...et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La commune de Charavines est condamnée à verser aux consorts J... une somme de 1 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1003238 du tribunal administratif de Grenoble du 17 avril 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire aux dispositions de l'article 1er.
Article 3 : La commune de Charavines versera la somme de 1 500 euros aux consorts J... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...J..., à Mme H... F..., à Mme A...G...et à la commune de Charavines.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Drouet, président de la formation de jugement ;
- Mme Dèche, premier conseiller ;
- Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 juillet 2016.
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N° 14LY01805