Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 février et 24 mai 2018, le préfet de la Savoie demande à la cour d'annuler ce jugement du 1er février 2018 du tribunal administratif de Grenoble et de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
- le statut de travailleur saisonnier de M.B... ne l'autorisait pas à solliciter la délivrance d'un titre de séjour sur un autre fondement ;
- M. B...ne remplit pas la condition relative à l'obligation de détenir un visa de long séjour prévue à l'article L.313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- sa décision ne porte pas atteinte au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits ;
- M. B... n'a pas sollicité la délivrance d'une carte de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais un changement de statut de son titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2018, M. B..., représenté par Me C..., conclut :
1°) au rejet de la requête.
2°) à ce que la cour enjoigne au préfet de la Savoie de réexaminer sa demande dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt de la cour ;
3°) à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens présentés par préfet de la Savoie ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi signé à Rabat le 9 octobre 1987;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Chevalier-Aubert, président assesseur ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant marocain, né le 1er juin 1981, a bénéficié du 7 mai 2014 jusqu'au 6 mai 2017 d'un titre de séjour temporaire en qualité de travailleur saisonnier. Il a sollicité, par un courrier du 10 avril 2017, le changement de statut en vue d'obtenir la délivrance d'un titre de séjour salarié. Par un arrêté du 23 octobre 2017, le préfet de la Savoie a refusé à M. B... la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de la Savoie relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er février 2018 qui a annulé cet arrêté du 23 octobre 2017 et lui a enjoint de réexaminer la demande de titre de séjour déposée par M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
2. Pour rejeter la demande de changement de statut de " travailleur saisonnier " à salarié, présentée par M. B... le préfet s'est fondé sur le non respect des conditions de séjour de M. B... en qualité de " travailleur saisonnier " et sur l'absence de possibilité de changement de statut. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif le rejet de la demande de titre de séjour salarié, sur ces seuls motifs, est entaché d'erreur de droit.
3. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
4. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité salariée en France (...) reçoivent (...) sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " (...) ". Aux termes de l'article 9 de cet accord : " Les dispositions du présent Accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'Accord. / (...) ". Aux termes de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, la première délivrance de la carte de séjour temporaire et celle de la carte de séjour pluriannuelle mentionnée aux articles L. 313-20, L. 313-21, L. 313-23 et L. 313-24 sont subordonnées à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 311-1. ".
5. Il résulte de la combinaison des textes précités que si la situation des ressortissants marocains souhaitant bénéficier d'un titre de séjour portant la mention " salarié " est régie par les stipulations de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987, la délivrance à un ressortissant marocain du titre de séjour " salarié " prévu à l'article 3 de cet accord est subordonnée, en vertu de son article 9, à la condition, prévue à l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tenant à la production par ce ressortissant d'un visa de long séjour.
6. Le préfet de la Savoie soutient que le refus en litige pouvait également être fondé sur l'absence de visa de long séjour et sollicite une substitution de motifs à titre subsidiaire. Il est constant que M. B..., entré pour la dernière fois en France le 24 octobre 2014, ne disposait pas, à la date de sa demande de titre de séjour, d'un visa de long séjour exigé par l'article précité L. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, le motif dont le préfet de la Savoie demande qu'il soit substitué à celui qu'il a retenu à tort dans la décision en litige est de nature à fonder le refus de délivrance à M. B... du titre de séjour qu'il avait présenté en qualité de salarié. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motifs demandée par le préfet de la Savoie, qui n'a pas pour effet de priver M. B... d'une garantie de procédure.
7. Il y a lieu toutefois pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B.... tant devant le tribunal administratif que devant la cour.
8. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. Patrick Lavault, conseiller d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer, directeur des collectivités territoriales et de la démocratie locale (DCTDL) et directeur de la réglementation et des services aux usagers (DRSU), en vertu d'une délégation consentie par un arrêté du préfet de ce département du 10 juillet 2017 régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture de Savoie le même jour, à l'effet, notamment, de signer " tous les arrêtés en matière de délivrance de titre de séjour " en cas d'empêchement du secrétaire général de la Savoie.
9. En deuxième lieu, que M. B... fait valoir qu'il a travaillé huit mois en qualité de travailleur saisonnier, puis, depuis le 25 avril 2016 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, qu'il réside depuis 5 ans en France et entretient une relation durable avec une ressortissante française avec laquelle il envisage de se pacser. Ces seules circonstances ne sauraient suffire à caractériser une considération humanitaire, un motif exceptionnel susceptible de fonder la régularisation de sa situation ou une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. B... n'est, par suite, fondé à soutenir ni que le refus de titre qui lui a été opposé porte une atteinte excessive à son droit à mener une vie privée et familiale normale, ni qu'il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. En troisième lieu, il ne ressort ni des pièces du dossier ni des termes de la décision en litige que le préfet de la Savoie se serait estimé en situation de compétence liée en refusant de délivrer à M. B... un titre de séjour.
11. En quatrième lieu, M. B... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de la circulaire du 28 novembre 2012 qui est dépourvue de valeur réglementaire.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 23 octobre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par M. B... :
13. Le présent arrêt, qui annule le jugement du 1er février 2018 du tribunal administratif de Grenoble et rejette la demande de M. B... n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte qu'elle présente ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État la somme que le conseil de M. B... demande au titre des frais exposés en appel non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1706528 du 1er février 2018 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble, ainsi que ses conclusions présentées devant la cour, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressé au procureur de la République près le Tribunal de grande instance d'Annecy en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative, ainsi qu'au préfet de la Haute Savoie.
Délibéré après l'audience du 12 février 2019, à laquelle siégeaient :
M. Jean-François Alfonsi, président de chambre,
Mme Virginie Chevalier-Aubert, président assesseur,
M. Pierre Thierry, premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 mars 2019.
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N° 18LY00763