Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2016, le préfet de l'Isère demande à la cour d'annuler ce jugement n° 1506341 du 1er mars 2016 du tribunal administratif de Grenoble en ce qu'il a annulé son arrêté du 12 novembre 2014 par lequel il a fixé le pays à destination duquel Mme B... épouse A...sera renvoyée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Il soutient que c'est à tort que les juges de première instance ont considéré que les deux décisions en litige méconnaissaient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2016, Mme D... B...épouse A..., représentée par Me Borges de Deus Correia, avocat, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- à l'annulation du jugement n° 1506341 du 1er mars 2016 en ce que le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre les deux arrêtés du 12 novembre 2014 par lesquels le préfet de l'Isère, d'une part, l'a obligée à quitter le territoire français et, d'autre part, l'a assignée à résidence ;
- à l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions ;
- à titre principal, à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
- à titre subsidiaire, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
3°) à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au profit de son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique.
Elle fait valoir que :
S'agissant des deux décisions portant fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an :
- c'est à bon droit que les juges de première instance ont considéré que ces deux décisions méconnaissaient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle résidait en France depuis sept ans à la date de ces décisions avec son époux et ses trois enfants dont deux sont mineurs et scolarisés en France, qu'elle reçoit des soins psychiatriques, qu'elle est macédonienne alors que les autorités de Macédoine n'ont pas reconnu son époux comme ressortissant de ce pays, qu'ainsi les deux décisions précitées auraient pour conséquence de les séparer, alors qu'ils sont en couple depuis 1994 et de séparer leurs enfants mineurs de l'un de leurs parents et d'interdire la réunification de la cellule familiale pendant un an, que son époux a engagé une procédure d'apatridie, qu'elle n'est pas retournée en Macédoine depuis vingt -deux ans, que sa fille majeure, qui est détentrice d'un récépissé de demande de titre de séjour a un fils né en France dont elle s'occupe tout en suivant une formation pour passer un certificat d'aptitude professionnelle, que les deux décisions en cause auraient pour effet de la séparer de sa fille aînée et de son petit fils ;
- pour les mêmes motifs, ces deux décisions méconnaissent les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 pour les mêmes raisons que celles exposées à l'encontre des décisions portant fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
S'agissant de l'assignation à résidence :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Un mémoire, enregistré le 17 juin 2016 et présenté par le préfet de l'Isère, n'a pas été communiqué en application du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Mme B... épouse A...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 11 juillet 1979 modifiée relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Drouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Sur l'appel principal du préfet de l'Isère :
1. Considérant Mme B... épouseA..., ressortissante macédonienne d'origine rom née le 13 décembre 1969, fait valoir qu'elle réside en France depuis sept ans à la date des décisions en litige avec son époux et ses trois enfants dont deux sont mineurs et scolarisés en France, qu'elle reçoit des soins psychiatriques, qu'elle est macédonienne alors que les autorités de Macédoine n'ont pas reconnu son époux comme ressortissant de ce pays, qu'ainsi les deux décisions précitées auraient pour conséquence de les séparer, alors qu'ils sont en couple depuis 1994 et de séparer leurs enfants mineurs de l'un de leurs parents et d'interdire la réunification de la cellule familiale pendant un an, que son époux a engagé une procédure d'apatridie, qu'elle n'est pas retournée en Macédoine depuis vingt-deux ans, que sa fille majeure, qui est détentrice d'un récépissé de demande de titre de séjour a un fils né en France dont elle s'occupe tout en suivant une formation pour passer un certificat d'aptitude professionnelle, que les deux décisions en cause auraient pour effet de la séparer de sa fille aînée et de son petit fils ; que, toutefois, il est constant que l'intéressée est entrée irrégulièrement en France en mars 2007 et s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français en se soustrayant à l'exécution de deux mesures d'éloignement précédentes ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de Mme B... épouse A...ne pourrait être pris en charge par un traitement approprié ailleurs qu'en France et notamment en Macédoine ; que si le ministre de la justice de la République de Macédoine a fait connaître à l'ambassade de ce pays en France que le nom de C...A..." n'existe pas dans les registres de naissance et de nationalité de la République de Macédoine", cette circonstance n'implique pas nécessairement que M. C... A..., époux de la requérante, ne serait pas admissible au séjour dans ce pays accompagné de son épouse et de leurs filles, lesquelles ont la nationalité macédonienne, alors que, par décision du 3 mars 2013, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté la demande d'apatridie de M. A... en relevant que celui-ci ne démontrait pas que les autorités macédoniennes auraient refusé de le considérer comme l'un de leurs ressortissants ; que, dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que la vie familiale de l'intéressée avec son époux et ses deux enfants mineurs se poursuive ailleurs qu'en France et notamment en Macédoine ; que, par suite, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, les décisions contestées fixant la Macédoine comme pays de destination et portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an n'ont pas porté au droit de Mme B...épouse A...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux motifs de ces décisions et n'ont, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la méconnaissance de ces stipulations pour annuler l'arrêté du 12 novembre 2014 par lequel le préfet de l'Isère a fixé le pays à destination duquel Mme B... épouse A...sera renvoyée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... épouse A... devant le tribunal administratif de Grenoble à l'encontre de ces deux décisions ;
4. Considérant, en premier lieu, que lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont issues de la transposition en droit national de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; que, toutefois, ce droit n'oblige l'autorité nationale compétente ni à prévenir le ressortissant, préalablement à l'audition organisée en vue de l'adoption de la mesure d'éloignement, de ce qu'elle envisage d'adopter à son égard une décision d'interdiction de retour, ni à communiquer les éléments sur lesquels elle entend fonder celle-ci, ni à lui laisser un délai de réflexion avant de recueillir ses observations, dès lors qu'il a la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue au sujet de l'irrégularité de son séjour et des motifs pouvant justifier, en vertu du droit national, que cette autorité s'abstienne de prendre une décision d'interdiction de retour ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme B... épouse A...a été entendue le 12 novembre 2014 dans les locaux de la brigade de gendarmerie de La Côte Saint-André pour vérification de son droit au séjour et a été informée de ce que le préfet envisageait de prendre à son encontre une mesure d'éloignement ; que, dans ces conditions, elle a été mise à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue au sujet de l'irrégularité de son séjour et des motifs pouvant justifier que le préfet s'abstienne de prendre une décision d'interdiction de retour ; que, par suite, Mme B... épouse A...n'est pas fondée à soutenir à l'encontre des décisions préfectorales fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français qu'elle aurait été privée du droit d'être entendue ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que la décision de renvoi en litige vise les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique que Mme B... épouse A..."n'établit pas que sa vie ou sa liberté seraient menacées" et "qu'elle ne rapporte pas non plus être exposée à des peines ou traitements contraires à la convention européenne des droits de l'homme, et notamment son article 3, en cas de retour" dans son pays ; que, dans ces conditions, le préfet a suffisamment motivé sa décision contestée fixant le pays à destination duquel l'intéressée sera renvoyée ;
7. Considérant, en troisième lieu, que la décision d'interdiction de retour en litige vise les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et indique que Mme B... épouse A..."a fait l'objet de deux obligations de quitter le territoire français en 2009 puis en 2013, qu'elle n'a mis à exécution aucune de ces deux mesures administratives" et "qu'elle déclare (...) être sans emploi et vivre de subsides versées par une association" et "qu'elle bénéficie (...) d'une couverture médicale relevant d'un dispositif d'Etat" ; que, dans ces conditions, le préfet a suffisamment motivé sa décision contestée portant interdiction de retour sur le territoire français ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 1, les décisions en litige fixant le pays à destination duquel Mme B... épouse A... sera renvoyée et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ne méconnaissent pas les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 et ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur la situation personnelle et familiale de la requérante ;
9. Considérant, en dernier lieu, que si Mme B... épouse A...soutient à l'encontre des deux décisions en litige que le préfet aurait, préalablement à l'édiction de ces décisions, refusé d'enregistrer la demande de titre de séjour qu'elle aurait présentée, le détournement de procédure ainsi allégué n'est pas établi ;
10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a, en son article 1er, annulé son arrêté du 12 novembre 2014 par lequel il a fixé le pays à destination duquel Mme B... épouse A...sera renvoyée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
Surl'appel incident de Mme D... B...épouseA... :
En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
11. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 1, la décision obligeant Mme B... épouse A...à quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
En ce qui concerne la légalité de l'assignation à résidence :
12. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que Mme B... épouse A...n'est pas fondée à exciper, à l'encontre de la décision l'assignant à résidence, de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... épouse A... n'est pas fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des deux arrêtés du 12 novembre 2014 par lesquels le préfet de l'Isère, d'une part, l'a obligée à quitter le territoire français, et, d'autre part, l'a assignée à résidence ;
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction sous astreinte de la requête :
14. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la demande de première instance de Mme B... épouse A...et de sa requête, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, ses conclusions d'appel incident à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée :
15. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par Mme B... épouse A...doivent, dès lors, être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1506341 du 1er mars 2016 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Sont rejetées les conclusions de la demande présentée par Mme B... épouse A... devant le tribunal administratif de Grenoble dirigées contre l'arrêté du 12 novembre 2014 du préfet de l'Isère fixant le pays à destination duquel elle sera renvoyée et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, ainsi que les conclusions présentées par Mme B... épouse A...devant la cour.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à Mme D... B...épouse A...et à Me Borges de Deus Correia.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 3 novembre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Alfonsi, président de chambre,
- M. Drouet, président assesseur,
- Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique le 22 novembre 2016.
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N° 16LY01139