Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 31 mai 2019, la SCI K, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement susmentionné n° 1800243 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Dijon ;
2°) d'annuler la décision du 24 novembre 2017 par laquelle le préfet de l'Yonne a prononcé l'état d'insalubrité remédiable de l'appartement dont elle propriétaire à Appoigny et a prescrit la réalisation de travaux dans un délai de six mois ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnisation de 200 euros par jour à compter de la visite du 23 juillet 2018 et jusqu'à la reprise de la location de l'appartement n° 8 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision attaquée du 24 novembre 2017 n'est pas motivée ;
- elle est entachée d'erreurs de fait concernant les causes d'insalubrité qui ont été retenues, la situation réelle de l'appartement n'ayant pas été prise en compte ;
- elle est entachée d'illégalité concernant les travaux préconisés car l'appartement est inoccupé, son état d'entretien ne menace ni la santé ni la sécurité et ne présente donc pas un danger pour ses occupants et les voisins ;
- victime d'un abus de droit de la part du représentant de l'association PACT de l'Yonne et des inspecteurs de salubrité de l'ARS, elle a subi un préjudice très important puisque son locataire n'a pas réglé l'arriéré de loyer et de charges et elle a été contrainte de faire réaliser des travaux non nécessaires ; sa demande d'être indemnisée à hauteur de 200 euros par jour à partir du 23 juillet 2018 est donc fondée.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 août 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens invoqués sont inopérants dès lors que le préfet était en situation de compétence liée ;
- les moyens de la requérante ne sont pas fondés ;
- l'insalubrité persistante due à l'isolation thermique insuffisante justifie le maintien de l'arrêté ;
- l'inoccupation du logement est sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté, dont la mainlevée ne peut intervenir qu'après constat de l'exécution complète des mesures prescrites et en particulier celles relatives au défaut d'isolation thermique ;
- les conclusions indemnitaires sont irrecevables dès lors qu'elles constituent des conclusions nouvelles en appel et qu'elles n'ont pas été précédées d'une demande préalable en méconnaissance du 2ème alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ;
- l'appelante n'établit aucune faute susceptible d'engager la responsabilité des services mis en cause ;
- elle n'établit aucun lien de causalité entre le prétendu abus de droit dont elle s'estime victime et le préjudice dont elle entend être indemnisée ;
- le montant de l'indemnité réclamée n'est pas justifié et est disproportionné au regard du montant du loyer mensuel.
La clôture de l'instruction a été fixée au 17 septembre 2020 par une ordonnance du 1er septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l'application de l'article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains ;
- le règlement sanitaire départemental ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La SCI K est propriétaire de locaux d'habitation situés 2/4 route de Paris à Appoigny, dans le département de l'Yonne, dont l'appartement n° 8 au deuxième étage de l'immeuble, d'une superficie de 18 m², donné en location par contrat du 1er septembre 2016. Après en avoir informé la SCI K, l'association " PACT de l'Yonne ", mandatée par la caisse d'allocations familiales, a effectué une visite le 18 mai 2017 et conclu, dans un rapport du 16 juin 2017, que l'appartement ne pouvait être regardé comme un logement décent. Mandatés par la caisse d'allocations familiales, des agents de l'unité territoriale santé environnement de l'agence régionale de santé (ARS) de l'Yonne ont visité l'appartement le 17 août 2017 avant d'établir le 1er septembre 2017 un rapport soumis ensuite au conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST). Par un arrêté du 24 novembre 2017, le préfet de l'Yonne a déclaré ce logement insalubre avec possibilité d'y remédier et a prescrit la réalisation de travaux dans un délai de six mois. Par un jugement n° 1800243 du 26 mars 2019, dont la SCI K relève appel, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité :
2. Les conclusions indemnitaires présentées par la SCI K à la cour, qui sont nouvelles en appel, sont irrecevables et doivent donc être rejetées, ainsi que l'a fait valoir en défense le ministre.
Sur le bien-fondé du jugement :
Concernant l'insalubrité remédiable :
3. Aux termes de l'article L. 1331-26 du code de la santé publique : " Lorsqu'un immeuble, bâti ou non, vacant ou non, attenant ou non à la voie publique, un groupe d'immeubles, un îlot ou un groupe d'îlots constitue, soit par lui-même, soit par les conditions dans lesquelles il est occupé ou exploité, un danger pour la santé des occupants ou des voisins, le représentant de l'Etat dans le département, saisi d'un rapport motivé du directeur général de l'agence régionale de santé ou, par application du troisième alinéa de l'article L. 1422-1, du directeur du service communal d'hygiène et de santé concluant à l'insalubrité de l'immeuble concerné, invite la commission départementale compétente en matière d'environnement, de risques sanitaires et technologiques à donner son avis dans le délai de deux mois : / 1° Sur la réalité et les causes de l'insalubrité ; / 2° Sur les mesures propres à y remédier. / L'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction. / Le directeur général de l'agence régionale de santé établit le rapport prévu au premier alinéa soit de sa propre initiative, soit sur saisine du maire, du président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de logement et d'urbanisme, soit encore à la demande de tout locataire ou occupant de l'immeuble ou de l'un des immeubles concernés ". Aux termes de l'article L. 1331-28 du même code : " (...) II. Lorsque la commission ou le haut conseil conclut à la possibilité de remédier à l'insalubrité, le représentant de l'Etat dans le département prescrit par arrêté les mesures adéquates ainsi que le délai imparti pour leur réalisation sur avis de la commission ou du haut conseil et prononce, s'il y a lieu, l'interdiction temporaire d'habiter et, le cas échéant, d'utiliser les lieux. (...) ".
4. En premier lieu, il y a lieu d'écarter comme inopérant le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté attaqué par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
5. En second lieu, en soutenant que l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de fait, la SCI K doit être regardée comme invoquant l'inexactitude matérielle des mentions de l'avis du CODERST préalable à cet arrêté.
6. Il résulte de l'instruction que le CODERST, qui en date du 21 novembre 2017 a émis un avis favorable à l'unanimité à la déclaration d'insalubrité remédiable, s'est appuyé sur un rapport technique en date du 1er septembre 2017 émanant du responsable de l'unité territoriale Santé-environnement de l'Yonne de l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté. Ce dernier a fait part au CODERST de plusieurs causes d'insalubrité, reprises ensuite par l'arrêté contesté, tenant en particulier à une installation électrique non sécurisée, un risque de chute de personnes, une isolation thermique et un éclairement naturel insuffisants, un risque d'intoxication au monoxyde de carbone et des ventilations permanentes non conformes. Ce rapport faisait ainsi état des causes d'insalubrité suivantes : " - Humidité : de réguliers phénomènes de condensation, particulièrement dans le séjour - qui comporte la douche -, induisent un risque manifeste de développement de moisissures et des risques pour la santé des occupants. L'humidité générée par la douche diffuse jusque dans la chambre (en effet, cette dernière communique avec le séjour/salle d'eau par une vaste ouverture au dessus de la porte séparant les deux pièces). - Isolation thermique : la qualité de l'isolation des murs et des plafonds n'est pas connue. L'ouvrant de la cuisine (une tabatière) est vétuste et en mauvais état, non isolante; la fenêtre du séjour/salle d'eau est en simple vitrage; la porte palière n'est pas isolante. ".
7. Il résulte également de l'instruction que, par un courrier du 27 juillet 2018, soit postérieurement à l'arrêté contesté, un ingénieur de l'ARS a indiqué à la SCI requérante que, lors de la visite effectuée le 23 juillet 2018, il avait été constaté qu'elle avait réalisé plusieurs des travaux demandés par l'arrêté d'insalubrité. Il était mentionné à ce titre que la chambre et le séjour/salle d'eau ont été réunis pour transformer le logement en studio, comprenant une pièce principale d'une surface désormais réglementaire, que l'éclairement naturel du lieu de vie a été amélioré, qu'il n'existe plus de risque de chute de personne, que l'installation électrique du logement était certifiée et sécurisée et que la mise en place d'une ventilation permet de prévenir les risques d'intoxication au monoxyde de carbone. Ce courrier relève toutefois que les travaux d'amélioration thermique demandés n'ont pas été réalisés et, par ailleurs que l'une des fenêtres du séjour ainsi que la tabatière de la cuisine sont vétustes, très dégradées et non étanches, entrainant des pertes thermiques et le développement de moisissures sur le contour de l'ouvrant de cuisine. Par ce même courrier, l'ingénieur a demandé à la société de faire parvenir les justificatifs de la réalisation de ces derniers travaux (factures, photographies) afin que ses services puissent faire prononcer la mainlevée de l'arrêté d'insalubrité et lui permette de proposer à nouveau le bien à la location.
8. La société requérante fait état d'un diagnostic " DOMODECENCE " réalisé le 18 mai 2017, relevant l'absence de traces d'humidité, mais signalant cependant le défaut de ventilation mécanique contrôlée (VMC) et d'aérations hautes et basses dans la cuisine et de ventilation salle d'eau et WC, en contrariété avec le règlement sanitaire départemental et la nécessité de créer des évacuations et amenées d'air suffisantes et adaptées pour une utilisation normale. Si elle justifie toutefois en produisant notamment une facture du 1er octobre 2017 et une attestation du 28 janvier 2018, respectivement de la pose de neuf aérations sur fenêtres existantes et de l'installation d'une VMC " salle de bain-wc système autoréglable ", elle ne démontre pas que ces installations avaient, à la date du jugement contesté, remédié à l'insalubrité due au défaut d'isolation thermique de l'une des fenêtres du séjour ainsi que la tabatière de la cuisine, et au développement de moisissures à proximité de l'ouvrant de cuisine. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que la SCI K n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté contesté en tant qu'il a prononcé l'état d'insalubrité remédiable de l'appartement n° 8.
- Concernant la prescription de travaux :
10. Il résulte des dispositions précitées du quatrième alinéa de l'article L. 1331-26 du code de la santé publique que l'insalubrité ne peut être qualifiée d'irrémédiable que lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin ou que les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction. Dans le cas où, ces conditions n'étant pas remplies, l'insalubrité ne peut être qualifiée d'irrémédiable, il résulte des dispositions du II de l'article L. 1331-28 du même code qu'il appartient à l'autorité administrative de prescrire la réalisation par le propriétaire des mesures strictement nécessaires pour y mettre fin, sans que l'intéressé puisse faire valoir utilement que le coût des mesures ordonnées est disproportionné par rapport à la valeur vénale de l'immeuble ou aux revenus qu'il en retire. Les dispositions des articles L. 1331-26 et L. 1331-28 du code de la santé publique n'ont ni pour objet, ni pour effet de permettre à l'autorité administrative de prescrire la réalisation de travaux par le propriétaire de locaux à la fois inoccupés et libres de location et dont l'état ne constitue pas un danger pour la santé des voisins. Le juge administratif, saisi d'un recours de plein contentieux contre un arrêté d'insalubrité, doit tenir compte de la situation existant à la date à laquelle il se prononce et peut, au besoin, modifier les mesures ordonnées par l'autorité administrative. Lorsqu'il constate que, postérieurement à l'intervention de l'arrêté qui lui est déféré, le bail a été résilié et que les locaux, qui ne menacent pas la santé des voisins, se trouvent désormais à la fois inoccupés et libres de location, il lui appartient d'annuler l'arrêté en tant qu'il ordonne la réalisation de travaux par le propriétaire et de ne le laisser subsister qu'en tant qu'il interdit l'habitation et, le cas échéant, l'utilisation des lieux.
11. Il résulte de l'instruction que le locataire du logement litigieux a donné congé et a remis les clefs de l'appartement le 29 novembre 2017. Il ne résulte pas de l'instruction que le logement serait depuis cette date occupé par un autre locataire En outre, les causes d'insalubrité restantes concernant l'isolation thermique, telles que mentionnées au point 7, ne menacent pas la santé des voisins.
12. Il résulte de ce qui précède que la SCI K est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 24 novembre 2017 en tant qu'il a prescrit la réalisation de travaux.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la SCI K.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet de l'Yonne du 24 novembre 2017 est annulé en tant qu'il a prescrit la réalisation de travaux à la SCI K.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1800243 du 26 mars 2019 du tribunal administratif de Dijon est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI K et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie sera adressée au préfet de l'Yonne.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2021.
2
N° 19LY02083