Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 14 août 2020, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour d'annuler ce jugement.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il ne disposait pas, à la date à laquelle il a pris son arrêté, d'éléments suffisants permettant d'établir que M. B..., qui n'avait fait aucune demande de protection en ce sens, présentait un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- aucun des moyens qu'il a présentés devant le tribunal n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2021, M. B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le préfet de la Haute-Savoie a méconnu le 10° de l'article L. 511-4 et l'article L. 512-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme D..., première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Et après avoir pris connaissance d'un mémoire présenté par le préfet de la Haute-Savoie, enregistré le 15 février 2021.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant afghan, né le 1er janvier 1993, déclare être entré irrégulièrement sur le territoire français le 7 mai 2017. Par une décision du 29 novembre 2019, l'Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile. Cette décision a été confirmée le 19 juin 2020 par la Cour nationale du droit d'asile. M. B... a saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 juin 2020 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé l'Afghanistan comme pays de destination. Le préfet de la Haute-Savoie relève appel du jugement du 6 août 2020 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 28 juin 2020.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 10° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; (...) ". Aux termes de l'article R. 511-1 de ce code : " L'état de santé défini au 10° de l'article L. 511 4 est constaté au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / Cet avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Aux termes de l'article 9 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui, dans le cadre de la procédure prévue aux titres I et II du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sollicite le bénéfice des protections prévues au 10° de l'article L. 511-4 ou au 5° de l'article L. 521-3 du même code est tenu de faire établir le certificat médical mentionné au deuxième alinéa de l'article 1er (...) ".
3. Si la décision du 29 novembre 2019 du directeur général de l'OFPRA rejetant la demande d'asile présentée par M. B... fait état de ce qu'il a subi en novembre 2019 une " kératoplastie transfixiante de l'oeil gauche " avec nécessité d'un suivi post-opératoire, il ne ressort pas, toutefois, des pièces du dossier que l'intéressé, qui n'a d'ailleurs pas sollicité un titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aurait informé, avant que l'arrêté ne soit pris, l'autorité préfectorale de ce qu'il souffrait de problèmes de santé de nature à le faire entrer dans le champ de ces dispositions ou qu'il aurait sollicité le bénéfice de la protection prévue au 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Haute-Savoie ne peut ainsi être regardé comme ayant disposé, à la date de son arrêté, d'éléments suffisants permettant d'établir qu'il présentait un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a jugé que le préfet avait, de ce fait, entaché l'obligation de quitter le territoire français d'un défaut d'examen et d'une méconnaissance des dispositions des articles L. 511-4 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ne saisissant pas préalablement à l'édiction d'une telle décision pour avis le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et qu'il a, pour ce motif, annulé l'arrêté du 28 juin 2020.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B....
Sur les autres moyens :
6. En premier lieu, eu égard à la durée du séjour en France de M. B... et au fait que sa famille proche et son épouse résident en Afghanistan, que son état de santé ne nécessite pas sa présence en France et qu'il ne justifie pas avoir développé sur le territoire français des liens personnels, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas, en refusant de lui délivrer un titre de séjour et en prononçant à son encontre une mesure d'éloignement, porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit ainsi être écarté.
7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de M. B... évoqué au point 3 nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, comme l'a au demeurant indiqué le collège des médecins de l'OFII dans son avis émis le 10 août 2020 à la suite de la demande de protection qu'il a présentée après que le préfet lui a notifié l'arrêté en litige. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 10° de l'article L. 5114 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté.
8. En troisième lieu, si M. B... soutient qu'il encourt des risques en cas de retour en Afghanistan eu égard aux menaces personnelles dont il a fait l'objet avant son départ de ce pays, l'attestation qu'il produit en ce sens, qui est rédigée en des termes très généraux, est dépourvue de toute valeur probante. Il fait également valoir que le simple fait de retourner en Afghanistan l'expose à des traitements inhumains et dégradants, compte tenu de la situation générale dans son pays et du traitement qu'y subissent les personnes déplacées. Toutefois, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation de conflit armé en Afghanistan, malgré sa gravité, serait caractérisée par un degré de violence tel qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans ce pays y serait exposé, du seul fait de sa présence, à un risque réel de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en va de même d'une personne contrainte de transiter ou de séjourner dans la ville de Kaboul. Si le degré de violence dans certaines régions d'Afghanistan peut justifier l'existence d'un tel risque, M. B... ne se prévaut pas, dans le cadre de la contestation de l'arrêté en litige, de ce qu'il serait originaire d'une telle région. D'autre part, le rapport de l'organisme suisse d'accueil des réfugiés, de septembre 2019, produit par l'intéressé, est relatif au retour en Afghanistan des populations réfugiées dans les pays voisins, ce qui n'est pas son cas. Par suite, le moyen tiré de ce que, en fixant l'Afghanistan comme pays de destination, le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui prohibent l'éloignement d'un ressortissant étranger vers un Etat où sa vie est menacée, doit être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 28 juin 2020 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B..., l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. B... au titre des frais du litige doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2003841 du magistrat désigné du tribunal administratif de Grenoble du 6 août 2020 sont annulés.
Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de ses conclusions présentées en appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B... et à Me C.... Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, président,
Mme D..., assesseur le plus ancien,
M. Rivière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2021.
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N° 20LY02333