Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 décembre 2019 et 9 octobre 2020, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie, représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et ces arrêtés ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais du litige.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a écarté comme inopérant le moyen, fondé, tiré de la méconnaissance de l'article L. 123-16 du code de l'environnement puisque les réserves de la commission d'enquête n'ont pas été levées ;
- la note explicative du dossier d'enquête était insuffisante en ce qu'elle ne prévoyait aucune compensation à l'emprise du projet de ZAC sur l'espace agricole et l'estimation des dépenses était incomplète ;
- le projet de ZAC est dépourvu d'utilité publique ;
- l'arrêté du 10 avril 2018 méconnaît les dispositions des articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dans la mesure où la parcelle dont il est propriétaire n'est pas nécessaire dans sa totalité à la réalisation de l'opération.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juin 2020, la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge du syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie au titre des frais du litige.
Elle fait valoir que la demande et l'appel du syndicat sont irrecevables en l'absence d'habilitation précisant l'objet et la finalité du contentieux engagé.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2020, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Elle déclare s'en rapporter au mémoire en défense produit en première instance par le préfet de l'Ain et fait valoir en outre que les moyens soulevés par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie ne sont pas fondés.
Un mémoire enregistré le 30 septembre 2020 présenté pour la SPL Territoire d'innovation n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ;
- le décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les observations de Me D..., représentant le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie et celles de Me C..., représentant la SPL Territoire d'innovation.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 20 novembre 2013, le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays de Gex a créé sur le territoire de la commune de Ferney-Voltaire la zone d'aménagement concertée (ZAC) " Ferney-Genève Innovation " à vocation d'habitation et d'activités, d'une superficie de 65 hectares, et approuvé le dossier de création de la ZAC. La réalisation de cet aménagement a été confiée à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation par un traité de concession du 27 mars 2014. Deux enquêtes conjointes, l'une préalable à la déclaration d'utilité publique, l'autre parcellaire, ont été organisées du 8 février 2016 au 18 mars 2016. Par un arrêté du 22 juillet 2016, le préfet de l'Ain a déclaré d'utilité publique les acquisitions des parcelles nécessaires à l'aménagement de la ZAC et un par arrêté du 10 avril 2018, il a déclaré ces parcelles cessibles au profit de la SPL Territoire d'innovation. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie, propriétaire de parcelles incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, a demandé l'annulation des arrêtés au tribunal administratif de Lyon. Par un jugement n°s 1607041 et 1804573 du 9 octobre 2019 dont il relève appel, le tribunal a rejeté ses demandes.
Sur la recevabilité de la demande n° 1804573 présentée devant les premiers juges :
2. En vertu de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le syndic représente le syndicat des copropriétaires en justice. Aux termes de l'article 55 du décret du 17 mars 1967 pris pour l'application de cette loi : " Le syndic ne peut agir en justice au nom du syndicat sans y avoir été autorisé par une décision de l'assemblée générale. / Une telle autorisation n'est pas nécessaire pour les actions en recouvrement de créance, la mise en oeuvre des voies d'exécution forcée à l'exception de la saisie en vue de la vente d'un lot, les mesures conservatoires et les demandes qui relèvent des pouvoirs de juge des référés, ainsi que pour défendre aux actions intentées contre le syndicat. (...) / Dans tous les cas, le syndic rend compte à la prochaine assemblée générale des actions introduites ". Il résulte de ces dispositions que dans les cas où une autorisation est requise, le syndic agissant au nom de la copropriété est tenu de disposer, sous peine d'irrecevabilité de sa demande, d'une autorisation formelle de l'assemblée générale des copropriétaires pour agir en justice, habilitation qui doit préciser l'objet et la finalité de l'action contentieuse ainsi engagée.
3. Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 13 septembre 2016, l'assemblée générale des copropriétaires de l'immeuble La Pommeray sis 24, rue de Genève à Ferney-Voltaire, a autorisé le syndic à " ester en justice pour la défense des intérêts du Syndicat LA POMMERAIE dans le cadre du projet d'aménagement de la ZAC FERNEY-GENEVE INNOVATION et donne mandat au syndic pour représenter la copropriété devant toutes juridictions et faire appel à tous conseils nécessaires (avocat, maître d'oeuvre, etc.) à la défense des intérêts de la copropriété ".
4. Ce seul mandat ne peut être regardé comme précisant suffisamment l'objet du recours contentieux autorisé et n'habilitait pas ainsi le syndic à agir en justice au nom de la copropriété contre l'arrêté du 22 juillet 2016 de déclaration d'utilité publique et de l'arrêté du 10 avril 2018 de cessibilité. La demande tendant à l'annulation de ces actes présentée par le syndic devant le tribunal administratif de Lyon était dès lors irrecevable. La production par le syndicat, devant la cour d'appel, de la délibération du 15 septembre 2020 de l'assemblée générale des copropriétaires n'est pas de nature à régulariser la demande de première instance. La SPL Territoire d'innovation est ainsi fondée à faire valoir que tant la demande présentée au tribunal administratif de Lyon par le syndicat requérant que sa requête devant la cour ne sont pas recevables.
5. Il résulte de ce qui précède que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande n° 1804573.
Sur le bien-fondé du jugement n° 1607041 :
6. Aux termes de l'article L. 123-16 du code de l'environnement : " (...) Tout projet d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public de coopération intercommunale ayant donné lieu à des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête doit faire l'objet d'une délibération motivée réitérant la demande d'autorisation ou de déclaration d'utilité publique de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement de coopération concerné. ".
7. Comme indiqué au point 1, le projet de la ZAC " Ferney-Genève Innovation " a été soumis du 8 février 2016 au 18 mars 2016 à une enquête publique, à l'issue de laquelle la commission d'enquête a émis un avis favorable assortie de deux réserves concernant les compensations agricoles et le bilan financier de l'opération dont le conseil communautaire a tenu compte dans sa délibération réitérative du 23 juin 2016. Par suite, le préfet de l'Ain était autorisé à prononcer l'utilité publique du projet.
8. Aux termes de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages, l'expropriant adresse au préfet du département où l'opération doit être réalisée, pour qu'il soit soumis à l'enquête, un dossier comprenant au moins : / 1° Une notice explicative ; / 2° Le plan de situation ; / 3° Le plan général des travaux ; / 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; / 5° L'appréciation sommaire des dépenses. ".
9. L'appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier d'enquête publique a pour objet de permettre à tous les intéressés de s'assurer que les travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût réel, tel qu'il peut être raisonnablement estimé à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique. En l'espèce, le dossier d'enquête comportait une appréciation sommaire des dépenses, d'un montant total de 200 771 000 euros, comprenant les acquisitions foncières, les études générales, les travaux et les équipements publics. Le bilan financier devant être versé au dossier de réalisation de ZAC en vertu de l'article R. 311-7 du code de l'urbanisme n'a pas à figurer, en tant que tel, dans le dossier soumis à enquête publique, qui doit seulement se conformer aux dispositions précitées de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et ce, alors même qu'en l'espèce la commission d'enquête a déploré dans son avis l'absence de bilan financier de l'opération, qui a été produit pour permettre la levée de la réserve de la commission d'enquête par la délibération du conseil communautaire du 23 juin 2016 comme rappelé au point 7. La circonstance que par un jugement du 15 février 2018, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a annulé pour dol la vente conclue le 31 janvier 2012 entre la société Ferjav et l'établissement public foncier de l'Ain de parcelles de terres incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, n'est pas de nature à établir que le prix des acquisitions foncières aurait été manifestement sous-évalué.
10. Une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement, et l'atteinte éventuelle à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.
11. L'opération projetée de réalisation d'un nouveau quartier mixte de logements et d'activités au sud de la commune de Ferney-Voltaire constitue la déclinaison française du projet stratégique de développement entre la commune suisse du Grand-Saconnex et la commune de Ferney-Voltaire, élaboré dans une logique transfrontalière dans un but de rééquilibrage des programmes de logements et d'activités, en cohérence avec les objectifs du projet d'agglomération franco-valdo-genevois dont la charte a été signée en 2007. Le projet de ZAC permet une organisation spatiale structurée de la commune de Ferney-Voltaire, dont l'extension urbaine génère une croissance démographique significative. Il favorise la mixité sociale et contribue au développement économique par la création de logements sociaux et de nouveaux espaces à vocation d'activités. Ce projet contribue enfin à la limitation des trajets domicile-travail et permet une amélioration de l'offre de transports en commun. Cette opération qui répond ainsi à une finalité d'intérêt général ne peut être réalisée sans procéder aux expropriations litigieuses. Dès lors, les divers inconvénients du projet relevés notamment par la commission d'enquête dans son avis du 18 mai 2016, tenant à la transformation radicale d'une partie historique du cadre de vie de la commune de Ferney-Voltaire, à la proximité d'une zone de bruit et à l'accroissement des difficultés de circulation automobile dans la commune et de stationnement pour les résidents de l'immeuble La Pommeraie, ainsi que les atteintes qu'il porte à la propriété et à ses conséquences sur l'activité agricole, au demeurant limitées, ne sont de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la SPL Territoire d'innovation, que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble La Pommeraie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande n° 1607041.
13. Compte tenu de tout ce qui vient d'être dit, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du syndicat de l'immeuble La Pommeraie la somme que la SPL Territoire d'innovation demande au titre des frais du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du syndicat de l'immeuble La Pommeraie est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SPL Territoires d'innovation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat de l'immeuble La Pommeraie, à la société publique locale Territoire d'innovation et à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme A..., président assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 novembre 2020.
2
N° 19LY04607