Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 1er juin 2017, M.A..., représentée par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 mai 2017 en tant qu'il rejette ses conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice matériel et moral né de la violation du secret des communications téléphoniques tenues avec son avocat et du défaut d'accompagnement de la préparation de sa sortie, somme augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 24 janvier 2017 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ses conclusions indemnitaires devant le tribunal administratif étaient recevables ;
- la responsabilité de l'administration doit être engagée dès lors qu'elle a commis une faute en méconnaissant son droit de communication avec son conseil et en négligeant la préparation de sa sortie de prison ;
- il souffre de sa situation d'incarcération et fait l'objet d'un suivi psychiatrique.
La demande d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle présentée par M. A...a été classée sans suite le 27 juillet 2017.
Par une ordonnance du 14 décembre 2017, l'instruction a été close au 15 février 2018.
Un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2018, postérieurement à la clôture de l'instruction, présenté par la garde des Sceaux, ministre de la justice, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesieux ;
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., détenu au centre de détention de Joux-la-Ville (21) jusqu'au 30 mars 2016, relève appel du jugement du tribunal administratif de Dijon du 4 mai 2017 en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis en raison des fautes commises par l'administration pénitentiaire s'agissant de la violation de sa correspondance téléphonique avec son avocat et d'un manque d'accompagnement à la sortie par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).
Sur la régularité du jugement :
2. Le tribunal administratif de Dijon a fait droit à la fin de non-recevoir opposée par le garde des Sceaux, ministre de la justice et a rejeté comme irrecevable la demande indemnitaire présentée par M. A... au motif que ses conclusions n'avaient pas été précédées d'une demande préalable.
3. Si l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction issue du décret du 2 novembre 2016 prévoit qu'une requête tendant au paiement d'une somme d'argent " n'est recevable qu'après l'intervention de la prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ", ces dispositions n'étaient pas entrées en vigueur à la date de l'enregistrement de la demande de M. A... au greffe du tribunal, le 8 septembre 2015.
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance, que si M. A... avait saisi le tribunal administratif de Dijon de conclusions indemnitaires sans avoir au préalable présenté de demande en ce sens devant l'administration, l'intéressé avait adressé le 24 janvier 2017 en réponse à la fin de non-recevoir opposée en défense, une telle demande au garde des Sceaux, ministre de la justice, reçue le 2 février 2017. Le silence gardé par l'administration a fait naître une décision implicite de rejet le 2 avril 2017 soit avant que les juges de première instance ne statuent.
5. Par suite, ses conclusions indemnitaires étaient recevables et c'est à tort que le tribunal a rejeté la demande dont il était saisi. Il s'ensuit que son jugement en date du 4 mai 2017 doit être annulé en tant qu'il rejette comme irrecevables les conclusions indemnitaires de M. A....
6. Il y a lieu pour la cour d'évoquer dans cette mesure et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Dijon.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. En premier lieu, aux termes du 1 de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ". Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. ". Aux termes de l'article 25 de cette même loi : " Les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats. ". Selon l'article R. 57-6-6 du code de procédure pénale : " La communication se fait verbalement ou par écrit. Aucune sanction ni mesure ne peut supprimer ou restreindre la libre communication de la personne détenue avec son conseil. ". Enfin, les dispositions de l'article 727-1 du code de procédure pénale prévoient que, par dérogation au droit commun, les conversations téléphoniques des détenus avec leurs avocats ne peuvent être écoutées, enregistrées ou interrompues par l'administration pénitentiaire.
8. Il résulte de ces stipulations et dispositions que les personnes détenues ont le droit de s'entretenir par téléphone avec leurs avocats, de façon confidentielle tant vis-à-vis de l'administration pénitentiaire que des autres personnes détenues. Toutefois, M. A... n'établit pas, par les pièces qu'il produit, et en particulier le courrier du 6 février 2015 de sa conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation selon lequel il y aurait eu une erreur dans l'enregistrement du numéro de téléphone de son avocat par le service des écoutes téléphoniques, que ses conversations téléphoniques avec son avocat auraient été effectivement écoutées ou enregistrées. Il ne peut par suite se prévaloir d'une faute commise par l'administration pénitentiaire de nature à engager sa responsabilité.
9. En second lieu, aux termes de l'article 13 de la loi du 24 novembre 2009 : " Les personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation sont chargés de préparer et d'exécuter les décisions de l'autorité judiciaire relatives à l'insertion et à la probation des personnes placées sous main de justice, prévenues ou condamnées. / A cette fin, ils mettent en oeuvre les politiques d'insertion et de prévention de la récidive, assurent le suivi ou le contrôle des personnes placées sous main de justice et préparent la sortie des personnes détenues (...) ". L'article D. 478 du code de procédure pénale dispose que : " Le service public pénitentiaire doit permettre à la personne détenue de préparer sa sortie dans les meilleures conditions, que ce soit en fin de peine ou dans le cadre d'une mesure d'aménagement de peine. / Le service pénitentiaire d'insertion et de probation, en liaison avec les services de l'Etat, des collectivités territoriales et de tous organismes publics ou privés, favorise l'accès de chaque personne sortant de détention aux droits sociaux et aux dispositifs d'insertion et de santé. Il s'assure que ces personnes bénéficient d'un hébergement dans les premiers temps de leur sortie de détention. ".
10. M. A... reproche à l'administration pénitentiaire de ne pas avoir entrepris les démarches utiles auprès de l'AFPA (Association pour la Formation Professionnelle des Adultes) de Limoges en vue de son inscription, à sa sortie, dans une formation en restauration de mobilier d'art. Toutefois, il ressort des termes mêmes du courrier du 19 mai 2015 de sa conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation, non sérieusement contestés, que des démarches téléphoniques ont été entreprises auprès de cet organisme de formation. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que M. A... a pu obtenir un rendez-vous le 31 mars 2015 avec le conseiller Pôle Emploi Justice et que le SPIP a également entrepris d'autres démarches en vue de lui trouver un hébergement. Ainsi, si M. A... a lui-même engagé des démarches en vue de préparer sa sortie, cette circonstance ne démontre en rien un manquement de l'administration pénitentiaire. Par suite, l'intéressé ne peut se prévaloir d'aucune faute de nature à engager la responsabilité de cette dernière.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par M. A... doivent être rejetées ainsi que par voie de conséquence ses conclusions présentées au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1502465 du tribunal administratif de Dijon du 4 mai 2017 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de M.A....
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Dijon tendant à la condamnation de l'Etat et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et à la garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 25 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président de chambre,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Lesieux, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 novembre 2018.
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N° 17LY02266