Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 novembre 2018 et le 2 août 2019, M. et Mme K..., représenté par Me M..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 18 septembre 2018 ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 ;
3°) d'ordonner le remboursement, assorti des intérêts moratoires, des sommes en litige ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les redressements maintenus correspondent à des sommes non taxables, car il s'agit soit de prêts de sommes d'argent à l'origine des dépôts de plaintes des créanciers de M. K..., soit de mouvements entre les comptes professionnels et privés de M. K... et de son épouse, soit des revenus de locations de biens immobiliers leur appartenant ;
- s'agissant des sommes au titre desquelles M. K... a été condamné pour délit d'escroquerie au profit des parties civiles, l'autorité de la chose jugée au pénal qui s'attache à la constatation matérielle des faits, fait obstacle à ce que les sommes en cause soient qualifiées de revenus d'origine indéterminée, alors qu'il s'agit de sommes confiées en vue d'un placement financier, ayant la nature de prêts et ne pouvant être soumises à l'impôt sur le revenu ;
- s'agissant de la somme imposée à concurrence de 53 450 euros comme des revenus d'origine indéterminée, ils justifient que cette somme correspond à des mouvements internes de compte à compte par remise de chèques ou d'espèces ;
- s'agissant des autres sommes restant à justifier, ils apportent la preuve qu'elles proviennent du produit d'une brocante, de loyers, et du remboursement d'une dette par un tiers ;
- si la cour devait considérer les sommes ayant fait l'objet du jugement du tribunal correctionnel de Lyon comme le produit d'une activité illégale, conformément à la demande présentée à titre subsidiaire par l'administration, elle prononcerait alors la décharge des impositions en cause pour irrégularité de la procédure, dès lors qu'ils ont été privés d'une garantie, n'ayant pas été mis à même de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les requérants n'établissent pas la nature de prêts des opérations ayant donné lieu à imposition dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée au titre de chèques établis par des tiers, le jugement du tribunal correctionnel de Lyon ayant reconnu à ces derniers la qualité de victimes d'escroquerie ne permettant, par ailleurs, ni d'établir que les créances auxquelles se rapporte ce jugement concernent effectivement les sommes appréhendées en 2010 et 2011 par M. et Mme K... ni que ces sommes seraient non imposables ;
- la preuve de mouvements internes entre comptes et de l'origine des remises de fonds n'est pas non plus rapportée par les seules pièces produites, qui ne permettent pas d'établir de correspondances ;
- les autres sommes créditées ayant fait l'objet des impositions litigieuses n'ont donné lieu soit à aucune explication, soit à des explications n'établissant pas l'origine des fonds ;
- à titre subsidiaire, il entend, dans l'hypothèse où, en raison du jugement du tribunal correctionnel de Lyon, les sommes de 165 000 euros et 91 000 euros imposées au titre des années 2010 et 2011 devaient être regardées comme provenant de l'activité illicite de M. K..., solliciter une substitution de base légale, ces sommes pouvant alors être imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, sur le fondement du 1 de l'article 92 du code général des impôts, cette substitution ne privant les intéressés d'aucune garantie ; seule une décharge partielle de l'imposition, égale à la différence entre le montant de l'impôt résultant de la taxation d'office dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée et celui résultant d'une taxation dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, est ainsi susceptible d'être prononcée.
En application de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction est intervenue trois jours francs avant l'audience.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme J..., premier conseiller,
- les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
- et les observations de Me G..., représentant M. et Mme K... ;
Considérant ce qui suit :
1. À l'occasion de deux examens successifs de situation fiscale personnelle portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010 puis du 1er janvier au 31 décembre 2011, il a été constaté que des crédits importants avaient été enregistrés sur les différents comptes bancaires de M. et Mme K... au cours des années 2010 et 2011. A l'issue de ces examens, les sommes dont l'administration fiscale a estimé que l'origine demeurait inexpliquée, en dépit des demandes de justifications adressées aux contribuables, ont été imposées comme revenus d'origine indéterminée selon la procédure de taxation d'office, par des propositions de rectification des 28 mars et 17 juin 2013 notifiant aux intéressés un rehaussement d'impôt sur le revenu et de contributions sociales pour les années 2010 et 2011, assorti de majorations. Un dégrèvement partiel en droits et pénalités pour l'année 2011 est intervenu postérieurement à l'émission des avis supplémentaires d'imposition, à la suite des réclamations des intéressés. M. et Mme K... relèvent appel du jugement du 18 septembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales maintenues à leur charge au titre des années 2010 et 2011, ainsi que des pénalités correspondantes, pour un montant total de 134 047 euros en droits et de 62 297 euros en pénalités.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. En application des articles L. 193 et R. 193-1 du livre des procédures fiscales, il incombe à M. et Mme K..., qui ont fait l'objet d'une taxation d'office en vertu des dispositions des articles L. 16 et L. 69 du même livre, d'apporter la preuve du caractère exagéré de leur imposition. A ce titre, il leur est notamment loisible de démontrer que les sommes litigieuses, soit ne constituent pas des revenus imposables, soit se rattachent à une catégorie précise de revenus.
S'agissant des crédits bancaires par remises de chèques de tiers à hauteur de 165 000 euros en 2010 et 91 000 euros en 2011
En ce qui concerne le caractère imposable et le rattachement catégoriel :
3. Il est constant que M. et Mme K... ont encaissé des chèques provenant de tiers, pour un montant total de 165 000 euros en 2010 et de 91 000 euros en 2011, inclus dans la base d'imposition retenue par l'administration fiscale au titre des revenus d'origine indéterminée. Il résulte par ailleurs de l'instruction que les mêmes tiers se sont constitués parties civiles dans une procédure pénale ayant conduit le tribunal correctionnel de Lyon, par jugement du 2 décembre 2015, à déclarer M. K... coupable de récidive d'escroquerie et son épouse de recel d'escroquerie. Ce tribunal a notamment condamné M. K..., connu des plaignants en qualité de courtier en assurances, pour avoir, de courant mai 2008 au 10 juin 2013, trompé diverses personnes, notamment M. F... et Mme C..., M. D..., M. H... et Mme I..., émetteurs des chèques en cause dans la présente instance, en les démarchant en vue de se faire confier directement des fonds avec la promesse d'un rendement financier en contrepartie, puis en encaissant ces sommes sur des comptes personnels, en particulier sur un compte-titres détenu par lui-même et son épouse, à partir duquel une somme de 739 000 euros a été virée sur d'autres comptes personnels entre novembre 2008 et janvier 2011, pour une somme totale collectée de 1 276 000 euros, pour l'essentiel non restituée aux victimes.
4. En premier lieu, ni les déclarations établies unilatéralement par M. K... ni la reconnaissance de dette contresignée par Mme I..., laquelle ne peut porter, dans les termes dans lesquels elle est rédigée, que sur des sommes remises en 2008, et non en 2011, ne suffisent à établir la nature de prêts personnels des crédits bancaires litigieux, et donc leur caractère éventuellement non imposable, alors d'ailleurs qu'il résulte des termes du jugement correctionnel que l'ensemble des personnes ayant remis des fonds ont attesté que ces derniers avaient été confiés exclusivement aux fins de placement financier, à l'exclusion de tout prêt, certaines victimes ayant ajouté avoir été sollicitées en cours d'enquête par le prévenu afin qu'elles déclarent avoir remis les fonds à titre de prêt, afin de justifier frauduleusement de la licéité de l'origine des fonds à l'égard de l'administration fiscale notamment. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ce jugement ne les a pas condamnés, sur l'action civile, à rembourser des prêts, mais à indemniser le préjudice matériel résultant pour les parties civiles précitées des infractions reprochées.
5. En second lieu, dès lors toutefois que les sommes retenues par l'administration pour fonder les impositions litigieuses ont été remises aux époux K... au cours de la période de prévention visée par le jugement correctionnel dont se prévalent les requérants, que le mode opératoire qui ressort des chèques et relevés de compte versés aux débats dans la présente instance correspond à celui décrit dans le jugement du tribunal correctionnel, en particulier en ce qui concerne les versements effectués sur un compte-titres, et que les montants réclamés par les parties civiles étaient au moins égaux à ceux faisant l'objet des impositions litigieuses, il est suffisamment établi que les revenus en cause ne sont pas d'origine indéterminée mais proviennent de l'activité illicite de M. K....
En ce qui concerne la demande de substitution de base légale :
6. Lorsque le contribuable taxé d'office en application de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales établit, au soutien de conclusions visant à la décharge des impositions régulièrement établies sur ce fondement, que les sommes en litige se rattachaient à une catégorie déterminée de revenus, il appartient néanmoins à l'administration, si elle l'estime utile, de demander au juge, dans le cadre de la procédure de taxation d'office, une imposition des sommes en litige selon les règles applicables à la catégorie d'imposition concernée. La procédure d'imposition d'office suivie sur le fondement de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales demeurant régulière, il n'y a pas lieu de subordonner cette demande au respect de la procédure contradictoire. En l'espèce, en cause d'appel, le ministre demande, à titre subsidiaire, que les sommes en cause soient imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au lieu de la catégorie des revenus d'origine indéterminée dans laquelle elles ont été initialement imposées.
7. En vertu du 1 de l'article 92 du code général des impôts, sont considérés comme provenant de l'exercice d'une activité non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus.
8. Les crédits bancaires litigieux provenant en l'espèce de l'activité illicite de M. K..., ils ne peuvent se rattacher à aucune autre catégorie d'imposition, et sont dès lors imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux sur le fondement du 1 de l'article 92 du code général des impôts. La régularité de la procédure de taxation d'office n'étant pas discutée, la substitution de base légale demandée ne prive les requérants d'aucune garantie, ces derniers ne pouvant en particulier utilement se prévaloir de l'absence de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dès lors que les revenus en cause ne se rattachent pas aux bénéfices non commerciaux déclarés par M. K... au titre de son activité de courtier en assurances. La demande de substitution de base légale doit, par suite, être accueillie.
9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme K... sont seulement fondés à demander la réduction de l'imposition d'office régulièrement établie au titre du revenu global, à raison de la différence entre les bases imposées d'office et les bases résultant de l'application des règles d'assiette propres aux bénéfices non commerciaux auxquels se rattachent les sommes en cause de 165 000 euros en 2010 et de 91 000 euros en 2011. En revanche, en l'absence de litige né et actuel entre le comptable et les requérants au sujet des impositions dont le présent arrêt prononce la décharge et des intérêts moratoires correspondants, les conclusions tendant au remboursement des sommes qui auraient été versées, assorties d'intérêts moratoires, ne peuvent qu'être rejetées.
S'agissant des crédits bancaires d'un montant de 53 450 euros par remises d'espèces et remises de chèques résultant de mouvements entre les comptes personnels de M. et Mme K...
10. En premier lieu, les retraits d'espèces effectués par les requérants sur un de leurs comptes en avril 2011, pour un montant total de 15 000 euros, ne sauraient suffire à établir l'origine des dépôts d'espèces intervenus sur d'autres comptes entre juin et septembre 2011, en l'absence de toute corrélation entre les dates et les montants de ces mouvements.
11. En second lieu, la production de relevés de compte de l'année 2011 sur lesquels figurent des débits par chèques ne peut suffire à elle seule à justifier de l'origine des crédits bancaires par remises de chèques figurant sur d'autres comptes, et inclus dans les bases d'imposition par l'administration.
12. Il suit de là que M. et Mme K... ne sont pas fondés à contester la qualification de revenus d'origine indéterminée pour les crédits bancaires d'un montant de 53 450 euros imposés au titre de l'année 2011.
S'agissant des autres crédits bancaires constatés en 2011 pour un montant de 10 200 euros
13. En premier lieu, M. et Mme K... ne justifient toujours pas en cause d'appel de l'origine de deux remises de chèques d'un montant respectif de 2 600 et 900 euros.
14. En deuxième lieu, ils n'apportent pas la preuve, qui leur incombe, de la provenance d'une somme de 1 700 euros par leurs seules allégations relatives à la tenue d'une brocante et les mentions portées sur un bordereau de remises d'espèces.
15. En troisième lieu, M. et Mme K... ne produisent ni contrat de bail, ni quittance de loyer, ni aucun autre élément susceptible de démontrer que certains des crédits bancaires litigieux correspondraient à des loyers versés soit pour une pièce de leur logement, soit pour un autre appartement dont ils sont propriétaires.
16. En dernier lieu, si M. et Mme K... soutiennent qu'une somme de 3 500 euros retenue par l'administration correspondrait au remboursement, intervenu en décembre 2011, d'une somme prêtée par eux à un tiers, l'attestation de ce tiers mentionne une date de remboursement en décembre 2012 et la copie du chèque versée au débat est également datée de décembre 2012, postérieurement aux années en litige. La production d'un bordereau de remise de chèques daté de décembre 2011 est insuffisante, à elle seule, faute de preuve qu'il corresponde effectivement au crédit litigieux, à établir le lien entre le remboursement allégué et la somme retenue par l'administration comme d'origine indéterminée.
17. Il suit de là que M. et Mme K... ne sont pas fondés à contester la qualification de revenus d'origine indéterminée pour les crédits bancaires d'un montant de 10 200 euros imposés au titre de l'année 2011.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme K... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de leurs demandes tendant à la décharge des impositions supplémentaires et pénalités maintenues à leur charge au titre des années 2010 et 2011, ainsi qu'au remboursement avec intérêts du surplus des sommes en litige.
Sur les frais liés au litige :
19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme K... de la somme qu'ils demandent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La base d'impôt sur le revenu, fixée à M. et Mme K... au titre de l'année 2010, est réduite à concurrence de la différence entre les bases imposées d'office et les bases résultant de l'application des règles d'assiette propres aux bénéfices non commerciaux auxquels se rattache la somme de 165 000 euros.
Article 2 : La base d'impôt sur le revenu, fixée à M. et Mme K... au titre de l'année 2011, est réduite à concurrence de la différence entre les bases imposées d'office et les bases résultant de l'application des règles d'assiette propres aux bénéfices non commerciaux auxquels se rattache la somme de 91 000 euros.
Article 3 : M. et Mme K... sont déchargés de la différence entre les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011 et celles qui résultent des articles 1 et 2, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon n° 1703126 du 18 septembre 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... et Mme L... K... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme B..., présidente assesseure,
Mme J..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2020.
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N° 18LY04087