Par une requête enregistrée le 21 décembre 2018, M. C..., représenté par Me B..., avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 10 septembre 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 5 mars 2018 par laquelle le préfet de la Côte-d'Or a refusé d'enregistrer sa demande d'asile ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, d'enregistrer sa demande d'asile ou, à défaut, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle sous réserve pour ce dernier de renoncer à percevoir la part contributive de l'État à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, inapplicable à une demande d'asile ;
- le tribunal administratif a omis de répondre au moyen tiré de ce que la décision a été prise par une autorité incompétente et de ce qu'il n'a pas bénéficié des garanties prévues par les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposait l'enregistrement de sa demande d'asile ;
- il n'a pas bénéficié des garanties que prévoient les articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la décision de transfert a été exécutée en février 2018 et il n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 29 paragraphe 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- la responsabilité des autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile a pris fin en application de l'article 13 de ce règlement ;
- il n'a commis aucune fraude concernant son identité.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 novembre 2019, le préfet de la Côte-d'Or conclut au non-lieu à statuer sur la requête de M. C....
Il soutient que, postérieurement à la décision de refus d'enregistrement de sa demande d'asile, M. C... s'est vu délivrer une attestation de demandeur d'asile, régulièrement renouvelée dans l'attente de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 21 novembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Burnichon, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant malien né le 1er janvier 1995, déclare être entré en France le 10 novembre 2016. Il s'est présenté à la préfecture du Territoire de Belfort en vue de demander l'asile le 26 avril 2017. Le préfet du Territoire de Belfort a ordonné son transfert aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Le 5 mars 2018, il s'est présenté à la préfecture de la Côte-d'Or pour demander l'asile et s'est vu opposer oralement un refus d'enregistrer sa demande d'asile. Il relève appel du jugement du 10 septembre 2018, par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce refus.
Sur l'exception de non- lieu à statuer opposée par le préfet de la Côte-d'Or :
2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le pourvoi formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu délivrer une attestation de demandeur d'asile valable du 11 octobre 2019 au 10 avril 2020. Si la délivrance d'une telle attestation emporte abrogation du refus d'enregistrement en litige, celui-ci a été exécuté en ce qu'il a fait obstacle à tout dépôt de demande d'asile tant qu'il était en vigueur, son abrogation ne présentant d'ailleurs pas de caractère définitif. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée par le préfet de la Côte-d'Or doit être écartée.
Sur la régularité du jugement :
4. Le tribunal administratif de Dijon a rejeté comme irrecevable la demande présentée par M. C... au motif que l'identité réelle de l'intéressé n'est pas établie et que le préfet de la Côte-d'Or n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant le dossier incomplet. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment des assertions non contestées du requérant et du tiers qui l'accompagnait lors du dépôt de sa demande d'asile, que la décision orale de refus d'enregistrement de la demande d'asile en litige a été prise au motif que M. C... a fait l'objet d'une procédure de transfert au titre du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 par la préfecture du territoire de Belfort à destination de l'Italie et qu'il a été déclaré en fuite. En retenant l'irrecevabilité de la requête de M. C... alors qu'un tel motif de refus d'enregistrement relève des conditions d'examen de la demande et non de sa recevabilité, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite, ledit jugement doit être annulé.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. C....
6. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter (...) à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient (...) ". Aux termes de l'article R. 311-2 du même code : " La demande est présentée par l'intéressé dans les deux mois de son entrée en France. S'il y séjournait déjà, il présente sa demande : (...) Soit dans le courant des deux derniers mois précédant l'expiration de la carte de séjour dont il est titulaire (...) ". Aux termes de l'article R. 311-2-1 du même code : " La délivrance ou le renouvellement du titre de séjour à un étranger est subordonné(e) à la collecte, lors de la présentation de sa demande, des informations le concernant qui doivent être mentionnées sur le titre de séjour selon le modèle prévu à l'article R. 311-13-1, ainsi qu'au relevé d'images numérisées de sa photographie et, sauf impossibilité physique, des empreintes digitales de ses dix doigts aux fins d'enregistrement dans le traitement automatisé mentionné à l'article R. 611-1 ". Aux termes de l'article R. 311-2-1 dudit code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes de l'article R. 311-4 de ce code : " Il est remis à tout étranger admis à souscrire une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour un récépissé qui autorise la présence de l'intéressé sur le territoire pour la durée qu'il précise. Ce récépissé est revêtu de la signature de l'agent compétent ainsi que du timbre du service chargé (...) de l'instruction de la demande (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est présenté spontanément à la préfecture de la Côte-d'Or, le 5 mars 2018, afin d'y déposer une demande d'asile. Cette demande n'a pas été enregistrée par l'agent qui a reçu l'intéressé. Le préfet de la Côte-d'Or en première instance, a fait valoir qu'il était fondé à refuser d'enregistrer la demande motif pris d'une fraude à l'identité, M. C... étant fiché comme ressortissant malien en procédure Dublin à destination de l'Italie, en fuite. Toutefois, en admettant même que l'intéressé soit en situation de fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, cette circonstance n'était pas de nature à justifier le refus par un agent de guichet, dont il n'est pas justifié qu'il ait été régulièrement habilité à examiner le droit au séjour de l'intéressé, d'enregistrer et d'instruire cette demande, alors qu'une telle appréciation ne porte pas sur le caractère complet du dossier en vue de son enregistrement pour instruction mais porte sur l'examen de la situation du demandeur, examen pour lequel l'autorité administrative ne se trouve pas en situation de compétence liée. Enfin, il ne ressort pas des pièces et n'est d'ailleurs pas allégué que ladite demande ait pu être regardée comme abusive ou dilatoire. Dans ces conditions, le refus verbal du 5 mars 2018 d'enregistrer et d'instruire la demande d'asile présentée par M. C... est entaché d'illégalité.
8. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à demander l'annulation la décision verbale de refus d'enregistrement de sa demande d'asile opposée par le préfet de la Côte-d'Or le 5 mars 2018.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Il résulte de l'instruction et ainsi qu'il a été dit au point 3, que M. C... détient une attestation de demandeur d'asile valable du 11 octobre 2019 au 10 avril 2020. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. C... doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
10. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et de 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me B..., avocate de M. C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le paiement à cette avocate d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1801645 du 10 septembre 2018 du tribunal administratif de Dijon est annulé.
Article 2 : La décision opposée verbalement, le 5 mars 2018, par laquelle les services du préfet de la Côte-d'Or ont refusé d'enregistrer la demande d'asile de M. C... est annulée.
Article 3 : L'État versera à Me B..., avocate de M. C..., la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Côte d'Or.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 décembre 2019.
Le rapporteur,
C. BurnichonLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 18LY04622