Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 10 mai 2019, et une production de pièces, enregistrée les 28 mai et 31 octobre 2019, M. A..., représenté par Me B..., avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 avril 2019 ;
2°) d'annuler la décision du 22 août 2018 du préfet de la Haute-Savoie ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour après réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'administration, qui n'établit pas la fraude, était tenue par les actes d'état civil présentés pour justifier de sa minorité à son entrée en France ;
- il remplit les conditions posées par l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet de la Haute-Savoie qui n'a pas produit d'observations.
M A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 juillet 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Josserand-Jaillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Entré irrégulièrement sur le territoire français le 4 novembre 2016, et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance en tant que mineur isolé, M. C... A..., ressortissant guinéen, a sollicité à sa majorité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 22 août 2018, dont M. A... a sollicité l'annulation devant le tribunal administratif de Grenoble, le préfet de la Haute-Savoie a rejeté sa demande d'admission au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire, et a fixé son pays d'origine pour destination de cette mesure. M. A... relève appel du jugement du 11 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur la légalité de l'arrêté en litige pris dans son ensemble :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. (...) ".
3. Lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans le cadre de l'examen d'une demande l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle. Disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
4. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser à M. A... le titre de séjour sollicité sur le fondement de ces dispositions, le préfet de la Haute-Savoie s'est fondé principalement sur le caractère frauduleux de l'extrait d'acte de naissance et du jugement supplétif présentés par M. A... à l'appui de sa demande, pour en tirer que l'intéressé ne justifiait pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans.
5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ", lequel dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". En vertu de l'article 1er du décret du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d'un acte de l'état civil étranger : " Lorsque, en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger, l'autorité administrative saisie d'une demande d'établissement ou de délivrance d'un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l'article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l'autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet ".
6. L'article 47 du code civil précité pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. Il ne résulte en revanche pas de ces dispositions que l'administration française doit nécessairement et systématiquement solliciter les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état-civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
7. Il en découle que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
8. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
9. Pour rejeter la requête de M. A..., le tribunal administratif de Grenoble a relevé que le préfet, en se fondant notamment sur l'analyse des services de l'ambassade de France à Conakry, établissait le caractère apocryphe de l'extrait d'acte de naissance, le défaut d'authenticité du jugement supplétif du 23 juin 2017 et de l'extrait du registre de transcription du 28 juin 2017, et l'irrégularité de la carte consulaire pour en tirer que l'administration renversait la présomption d'authenticité des documents remis par l'intéressé aux fins de justifier de sa minorité au moment de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier, notamment de l'analyse très circonstanciée des documents, que le préfet de la Haute-Savoie n'aurait pas procédé à l'examen particulier de la situation de M. A....
10. M. A..., qui se borne à affirmer que les documents qu'il produit ne sont pas des faux, ne produit à l'instance d'appel aucun élément de nature à établir la date de naissance dont il se prévaut ou à infirmer sérieusement les conclusions de l'analyse documentaire. Dès lors, il ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, alors même que l'intéressé montrerait une forte motivation, se serait engagé depuis plus de six mois à la date de l'arrêté en litige dans une démarche d'apprentissage pour obtenir un certificat d'aptitude professionnelle en qualité de préparateur/monteur d'installations électriques et que les résultats qu'il a obtenus seraient satisfaisants, le préfet de la Haute-Savoie pouvait, en se fondant principalement sur ce motif, sans méconnaître les dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui refuser le titre de séjour dont il sollicitait l'attribution.
11. Enfin, M. A... reprend en appel les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Sa requête doit par suite être rejetée et, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie.
Délibéré après l'audience du 14 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Josserand-Jaillet, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Burnichon, premier conseiller.
Lu en audience publique le 5 décembre 2019.
Le président, rapporteur,
D. Josserand-JailletLe président assesseur,
Ph. Seillet
La greffière,
S. Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 19LY01780 2