Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 24 août 2020, M. et Mme C..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 12 février 2020 du préfet du Rhône ordonnant leur remise aux autorités croates en vue de l'examen de leur demande d'asile et les assignant à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône de leur délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les arrêtés attaqués procèdent d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, eu égard aux violences policières dont ils ont été victimes en Croatie et aux risques encourus en cas de renvoi en Afghanistan compte tenu de la situation prévalant dans ce pays.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2020, le préfet du Rhône conclut au non-lieu à statuer.
Il soutient que la France est devenue responsable de l'examen de la demande d'asile de M. et Mme C... du fait de l'expiration du délai de transfert vers la Croatie et que des attestations de demande d'asile en procédure accélérée leur ont été délivrées.
M. et Mme C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme F..., première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C..., ressortissants afghans, ont déclaré être entrés en France le 17 juillet 2019 accompagnés de leurs quatre enfants. Leur demande d'admission au séjour au titre de l'asile a été enregistrée le 28 août 2019. A l'issue de la procédure de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen de leurs demandes d'asile, et après l'acceptation explicite par la Croatie d'une demande de reprise en charge, le préfet du Rhône, par des arrêtés du 12 février 2020, a ordonné leur remise aux autorités croates et leur assignation à résidence dans l'attente de l'exécution des décisions de transfert. M. et Mme C... demandent à la cour d'annuler le jugement du 3 mars 2020 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon, après avoir joint leurs requêtes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés, les a rejetées.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait pas lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. En revanche, dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué ou dans le cas où ce dernier devient caduc, ces circonstances privent d'objet le recours formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation ou sa caducité soient devenues définitives.
3. En l'espèce, les arrêtés du 12 février 2020 du préfet du Rhône décidant le transfert de M. et Mme C... en Croatie en vue de l'examen de leurs demandes d'asile ont reçu un commencement d'exécution du fait de l'intervention, sur leur fondement, des arrêtés du même jour ordonnant leur assignation à résidence. Ces mesures d'exécution font obstacle à ce que la délivrance aux intéressés d'une attestation de demande d'asile en procédure accélérée le 18 septembre 2020, en raison de l'expiration du délai imparti à la France pour procéder à l'exécution du transfert, permette de regarder les requêtes de M. et Mme C... tendant à l'annulation de ces décisions et du jugement attaqué comme privées d'objet. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer soulevée par le préfet du Rhône à l'encontre des conclusions à fin d'annulation doit être écartée.
4. En revanche, les conclusions de M. et Mme C..., qui relèvent du plein contentieux, tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet, sous astreinte, de leur délivrer à chacun une attestation de demande d'asile sont désormais dépourvues d'objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes du 1 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". L'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit également que la procédure de détermination de l'Etat responsable d'une demande d'asile ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat.
6. Au soutien de leur unique moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qui aurait été commise par le préfet du Rhône en refusant de faire usage de ce pouvoir discrétionnaire, M. et Mme C... font d'abord état d'articles de presse ainsi que de communiqués ou rapports d'organisations non gouvernementales, notamment Amnesty International, dénonçant, d'une part, des traitements inhumains et dégradants exercés par les forces de police croates à l'endroit des migrants franchissant irrégulièrement la frontière en provenance de Bosnie-Herzégovine et, d'autre part, des refoulements de migrants à cette même frontière sans examen de leurs demandes d'asile éventuelles. Ces éléments se rapportant exclusivement à la situation des migrants tentant de passer clandestinement la frontière séparant la Croatie et la Bosnie-Herzégovine, pour graves qu'ils soient s'ils sont avérés, ne permettent pas de faire présumer que la demande d'asile d'un ressortissant étranger remis aux autorités croates par un autre Etat membre de l'Union européenne et dont la demande a déjà été régulièrement enregistrée en Croatie, comme c'est le cas en l'espèce, serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Si M. et Mme C... font également valoir, au soutien du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, qu'un renvoi en Croatie les exposerait, par ricochet, à des risques de traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour en Afghanistan, aucun élément ne permet de faire présumer que les autorités croates ne procèdent pas à un examen sérieux des demandes d'asile qu'elles enregistrent, ni qu'aucun recours juridictionnel effectif n'est possible en cas de rejet d'une demande de protection, a fortiori lorsque, comme en l'espèce, il n'a pas encore été statué sur la demande, considérée comme retirée par les autorités croates.
8. Il suit de là que le moyen tiré de ce qu'en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'Etat responsable de l'examen de leurs demandes d'asile, le préfet aurait entaché ses décisions d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 12 février 2020 portant remise aux autorités croates et assignation à résidence.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse au conseil de M. et Mme C... une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par M. et Mme C....
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme C... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C..., à Mme C... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme A..., présidente assesseure,
Mme F..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 janvier 2021.
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N° 20LY02464