Par un arrêt n° 15LY02246 du 21 février 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a partiellement réformé ce jugement et condamné la commune d'Huez-en-Oisans à verser à M. et Mme D... -F..., outre l'indemnité de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral, une indemnité de 180 000 euros au titre de leur perte de revenus locatifs.
Par une décision n° 410021 du 4 mai 2018, enregistrée à la cour le 14 mai 2018 sous le n° 18LY01697, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice indemnisable au titre de la perte de loyers et a renvoyé l'affaire, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés le 6 juillet 2015, le 31 mars 2016, les 11, 18 et 23 janvier 2017, le 15 juin 2018 et le 20 septembre 2018, M. et Mme D... -F..., représentés par la Selarl CDMF-Avocats Affaires publiques, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 7 mai 2015 en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande d'indemnisation au titre du manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire en condamnant la commune d'Huez-en-Oisans à leur verser une somme de 260 950 euros en réparation du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2011 et de leur capitalisation à compter du 22 décembre 2012 ;
2°) de mettre à la charge de la commune d'Huez-en-Oisans une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :
- l'illégalité des refus de permis de construire qui leur ont été opposés est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ;
- ils justifient de circonstances particulières permettant de considérer que le manque à gagner lié à la perte de loyers présentait un lien direct et certain avec les illégalités fautives de la commune. Ce préjudice s'établit, par comparaison aux loyers perçus dans leur autre chalet, pour une période de quatre ans et sept mois, à 260 950 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés le 25 mars 2016, les 9 et 20 janvier 2017 et le 5 juillet 2018, la commune d'Huez-en-Oisans, représentée par la Selarl BG Avocats, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et demande qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge des requérants en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
- le caractère direct et certain du préjudice constitué par les pertes de loyer alléguées n'est pas établi ;
- le montant de l'indemnité demandée n'est pas justifié.
Par une ordonnance du 15 octobre 2018, la clôture d'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de MmeG..., première conseillère,
- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. et Mme D... -F... et de Me C..., représentant la commune d'Huez-en-Oisans ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 novembre 2018, présentée par M. et Mme D... -F....
Considérant ce qui suit :
1. Par un premier jugement du 21 décembre 2006, le tribunal administratif de Grenoble a annulé pour excès de pouvoir la décision du 22 juillet 2004 par laquelle le maire d'Huez-en-Oisans a refusé de délivrer le permis de construire un chalet, dit " Chalet la Brêche ", demandé par M. B... D...-F.... Puis, par un second jugement du 24 janvier 2008, le tribunal administratif de Grenoble a annulé pour excès de pouvoir le nouveau refus de permis de construire faisant suite à l'injonction de réexamen ordonnée par le jugement du 21 décembre 2006. M. et Mme D...-F..., qui ont finalement obtenu un permis de construire le 16 février 2009, ont demandé à la commune d'Huez-en-Oisans le versement d'une somme de 445 216 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité des deux refus de permis de construire initialement opposés à leur demande. Par un jugement n° 1204638 du 7 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune d'Huez-en-Oisans à verser à M. et Mme D... -F... une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de ces illégalités fautives. Par un arrêt du 21 février 2017, la cour administrative d'appel de Lyon a partiellement réformé ce jugement et condamné la commune d'Huez-en-Oisans à verser à M. et Mme D... -F..., outre l'indemnité de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral, une indemnité de 180 000 euros au titre de leur perte de revenus locatifs. Par une décision du 4 mai 2018, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt en tant qu'il statue sur le préjudice indemnisable au titre de la perte de loyers et a renvoyé l'affaire, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Lyon.
2. Pour apprécier si la responsabilité de la puissance publique peut être engagée, il appartient au juge de déterminer si le préjudice invoqué est en lien direct et certain avec une faute de l'administration. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs locataires ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.
3. M. et Mme D... F...sollicitent l'indemnisation du manque à gagner correspondant aux pertes de loyers qu'ils estiment avoir subi entre la date à laquelle leur projet de construction aurait été achevé si le maire n'avait pas illégalement refusé de leur délivrer un permis de construire le 22 juillet 2004 et la date à laquelle ils ont achevé et pu louer la construction finalement autorisée le 16 février 2009.
4. Le courrier adressé à la direction départementale de l'équipement le 19 février 2003 et les mentions du dossier de demande de permis de construire déposé en mai 2004 démontrent que les requérants avaient alors l'intention de louer le chalet, dit " Chalet la Brêche ", qu'ils projetaient d'édifier. Pour justifier du caractère direct et certain de leur préjudice, M. et Mme D... -F... se prévalent d'un document qui constitue, selon eux, une promesse de bail commercial à compter du 15 décembre 2003 conclue avec la société Skibound France. Toutefois, ce document est un simple projet de contrat de bail, non daté, non signé et incomplet, qui s'il se rapporte au " Chalet la Brêche ", concerne un projet différent de celui dont le permis a été refusé puisqu'il fait état d'un chalet de dix-huit chambres alors que le permis refusé portait sur un chalet de sept chambres. Ce document ne permet pas même d'attester que M. et Mme D... -F... avaient engagé des discussions avec cette société sur la location du chalet qu'ils envisageaient de construire. La circonstance que cette société louait déjà à M. et Mme D... -F... un autre chalet de rapport, dénommé " Le Viking ", édifié sur le même terrain ne permet pas non plus de le démontrer. Si trois mois seulement après avoir obtenu le permis de construire le " Chalet la Brêche ", les requérants ont reçu une proposition de contrat de bail commercial de la société TUI UK Limited et qu'ils ont finalement conclu en mai 2010 un bail commercial avec la société Esprit Holidays Limited, toutefois le chalet autorisé le 16 février 2009 n'est pas identique au chalet dont le permis de construire avait été refusé auparavant, une chambre ayant été ajoutée et la SHON augmentée de façon importante. Ainsi ces éléments ne permettent pas de préjuger la chance qu'auraient eue M. et Mme D... F...de louer, au moment de son achèvement, le bien initialement envisagé. S'ils se prévalent enfin d'une attestation signée en 2015 par M. A..., représentant la société Esprit Holidays Limited, selon laquelle cette société " aurait été preneur pour un contrat de location (...) dès le début de l'année 2003", cette attestation, rédigée plus de dix ans après les faits pour les besoins de l'instance en cours, ne présente pas une valeur probante suffisante dès lors qu'il ne ressort d'aucune autre pièce du dossier que la Société Esprit Holidays Limited était déjà en pourparlers ou en relation commerciale avec M. et Mme D... -F... lorsque les permis de construire ont été refusés. Dans ces conditions, M. et Mme D... -F... ne justifient pas suffisamment de circonstances particulières, telles que des engagements souscrits par de futurs locataires ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de regarder le préjudice résultant des pertes de revenus locatifs comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain.
5. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... -F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande de réparation du préjudice indemnisable au titre de la perte de loyers.
6. Il a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. et Mme D... -F... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune d'Huez-en-Oisans et non compris dans les dépens.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune d'Huez-en-Oisans qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. et Mme D... -F... la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... -F... est rejetée.
Article 2 : M. et Mme D... -F... verseront à la commune d'Huez-en-Oisans une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... D... -F... et à la commune d'Huez-en-Oisans.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Fischer-Hirtz, présidente de chambre,
M. Souteyrand, président-assesseur,
MmeG..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.
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N° 18LY01697