Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 12 septembre 2018, le préfet de la Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 13 août 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que sans motif légitime, M. A... n'a pas déposé sa demande d'asile à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et qu'ainsi, à la date de ses décisions, il avait perdu son droit de se maintenir sur le territoire français.
Par un mémoire enregistré le 3 décembre 2018, M.A..., représenté par Me Messaoud, avocate, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que seul l'OFPRA pouvait prononcer la clôture du dossier de M. A..., qui n'a jamais renoncé à demander l'asile.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Clot, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité albanaise, né le 3 mai 1988, déclare être arrivé en France le 29 décembre 2017. Le 29 juin 2018, il a été muni par le préfet de l'Isère d'une attestation de demande d'asile selon la procédure accélérée, valable jusqu'au 28 juillet 2018. Le 9 août 2018, constatant que l'intéressé n'avait pas transmis son dossier à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le préfet de la Savoie lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Ce préfet interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions.
2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".
3. L'article L. 741-1 du même code dispose que : " (...) Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'État. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. (...) "
4. L'article L. 741-2 de ce code ajoute que : " Lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence de la France, l'étranger introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans un délai fixé par décret en Conseil d'État. L'autorité administrative compétente informe immédiatement l'office de l'enregistrement de la demande et de la remise de l'attestation de demande d'asile. / L'office ne peut être saisi d'une demande d'asile que si celle-ci a été préalablement enregistrée par l'autorité administrative compétente et si l'attestation de demande d'asile a été remise à l'intéressé. " L'article R. 723-1 dudit code prévoit que : " A compter de la remise de l'attestation de demande d'asile selon la procédure prévue à l'article R. 741-4, l'étranger dispose d'un délai de vingt et un jours pour introduire sa demande d'asile complète auprès de l'office. (...) ".
5. M. A..., dont la demande d'asile a été enregistrée le 29 juin 2018, n'a pas déposé sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dès lors, le 9 août 2018, il se trouvait dans le cas que prévoit le 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel le préfet peut faire obligation à un étranger de quitter le territoire français, sans que l'exercice de ce pouvoir soit subordonné à l'intervention d'une décision de l'Office, qui n'était saisi d'aucune demande. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision faisant obligation à M. A...de quitter le territoire français, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de l'absence de toute décision prise par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides sur sa demande d'asile.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
7. Par un arrêté du 4 juillet 2018, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture le 5 juillet 2018, M. Pierre Molager, secrétaire général de la préfecture de la Savoie, a reçu délégation du préfet à l'effet notamment de signer toute décision, à l'exception de certaines mesures restrictivement énumérées, dont ne font pas parties les décisions en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions doit être écarté.
8. Les décisions en litige, qui comportent l'énoncé des considérations de droit et des éléments de fait sur lesquels elles reposent, sont suffisamment motivées.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intervention de ces décisions n'ait pas été précédée de l'examen particulier de la situation de M. A....
Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :
10. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° Si l'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour (...). "
11. Le 9 août 2018, M. A... avait fait l'objet de deux convocations en justice pour des faits de détention de produits stupéfiants. Il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'avait pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. S'il allègue n'avoir bénéficié d'aucune assistance linguistique pour constituer son dossier de demande d'asile, il ne l'établit pas. Ainsi, il se trouvait dans le cas que prévoient les dispositions du 1° et du a) du 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans lequel le préfet peut décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français.
Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination :
12. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " et que ce dernier texte énonce que " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le retour de M. A... en Albanie, pays dont il possède la nationalité, l'expose au risque de subir des traitements incompatibles avec les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
14. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III (...) [est décidée] par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français.(...) ".
15. M. A... ne justifie pas de circonstances humanitaires qui feraient obstacle, en l'espèce, à une mesure d'interdiction de retour sur le territoire. En fixant à deux ans la durée de cette interdiction, le préfet n'a pas pris une mesure disproportionnée.
16. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions en litige.
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, quelque somme que ce soit au profit du conseil de M. A... au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lyon du 13 août 2018 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. A... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Copie en sera adressée au préfet de la Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Chambéry.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Souteyrand, président assesseur,
Mme Dèche , premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 mai 2019.
Le président rapporteur,
J.-P. ClotLe président assesseur,
E. Souteyrand
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière
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N° 18LY03499