Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 7 février 2018, M. et Mme B..., représentés par Me Fréry, avocate, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 5 décembre 2017 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du préfet du Rhône du 12 avril 2017 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Rhône, à titre principal, de leur délivrer un titre de séjour " mention vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et dans l'attente de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil d'une somme de 1 200 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;
- les refus de titre de séjour sont entachés d'un vice de forme dès lors que le préfet ne vise pas les articles sur lesquels il se fonde ; ils sont insuffisamment motivés et le préfet n'a pas procédé à un examen effectif de leur situation personnelle ; ils méconnaissent les articles L. 313-10 et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; ils méconnaissent le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ils sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur leur situation personnelle ; ils méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions portant obligation de quitter le territoire français sont illégales du fait de l'illégalité des refus de titre de séjour ; elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur leur situation personnelle ; elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions fixant le pays de renvoi ne sont pas suffisamment motivées ; le préfet n'a pas procédé à un examen particulier des risques encourus ; elles méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elles méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2018, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérants une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. et Mme B... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D..., première conseillère,
- les observations de Me C..., substituant Me Fréry, avocate de M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... sont ressortissants du Kosovo. M. B... est entré irrégulièrement en France le 21 juin 2009. L'asile lui a été refusé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 30 novembre 2009 et par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 7 avril 2011. Il a fait l'objet d'une première mesure d'éloignement le 4 mai 2012, qui a été exécutée, mais il est revenu irrégulièrement en France en juillet 2012. Il a présenté une nouvelle demande d'asile qui a été rejetée par l'OFPRA le 6 mai 2013 et par la CNDA le 21 avril 2015. Mme B..., son épouse, est entrée irrégulièrement en France le 15 février 2011. L'asile lui a été refusé par l'OFPRA le 6 mai 2013 et par la CNDA le 29 mars 2012. Le couple a fait l'objet de refus de titre de séjour assortis de l'obligation de quitter le territoire par deux arrêtés du 21 avril 2015, dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Lyon par des jugements du 23 février 2016. Le 8 septembre 2016, ils ont de nouveau sollicité la délivrance de titres de séjour, sur le fondement de l'article L. 313-10, du 7° de l'article L. 313-11 et de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Rhône a rejeté leurs demandes, a assorti ces refus d'obligations de quitter le territoire français dans un délai de quatre-vingt dix jours et a fixé le pays de renvoi par deux arrêtés du 12 avril 2017. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 5 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.
Sur la légalité des refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, une omission dans les visas est sans incidence sur la légalité des décisions en litige. Par suite, M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que le préfet du Rhône aurait dû viser chacune des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il a fait application.
3. En deuxième lieu, les décisions en litige indiquent les circonstances de droit et de fait sur lesquelles elles se fondent. Elles sont, dès lors, suffisamment motivées.
4. En troisième lieu, il ressort des termes mêmes des décisions en litige que le préfet a procédé à un examen particulier de la situation des intéressés.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant, doit être une considération primordiale ".
7. M. et Mme B... invoquent la durée de leur présence en France, pays dans lequel sont nées leurs filles. Toutefois, la durée de leur séjour est liée à leur maintien en situation irrégulière sur le territoire français, malgré plusieurs décisions leur refusant un droit au séjour. Rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale que le couple forme avec ses trois filles se reconstitue au Kosovo, dont le couple est originaire, M. et Mme B... ayant vécu jusqu'à l'âge de, respectivement, vingt-six et vingt-cinq ans dans leur pays d'origine, où ils ne sont pas dépourvus d'attaches familiales. Il n'est pas établi, en outre, que leur fille aînée, scolarisée en maternelle à la date des décisions en litige, ne pourrait poursuivre sa scolarité au Kosovo. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés, de même que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dont seraient entachées ces décisions au regard des conséquences qu'elles seraient susceptibles de comporter pour la situation personnelle des intéressés.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention " salarié " (...) ".
9. Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une activité imposable l'étranger présente : (...) 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes de l'article R. 5221-11 du code du travail : " La demande d'autorisation de travail relevant des 4°, 8°, 9°, 13° et 14° de l'article R. 5221-3 est faite par l'employeur. / Elle peut également être présentée par une personne habilitée à cet effet par un mandat écrit de l'employeur ".
10. Enfin, aux termes de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues par les dispositions législatives du présent code, l'octroi de la carte de séjour temporaire et celui de la carte de séjour " compétences et talents " sont subordonnés à la production par l'étranger d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ".
11. Il ressort des pièces du dossier que, le 8 septembre 2016, M. B... a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, accompagnée d'une demande d'autorisation de travail. Toutefois, s'il n'est pas contesté que sa demande d'autorisation de travail était assortie d'une promesse d'embauche de la société RFK Concept, du 21 juillet 2016, celle-ci ne précisait pas le poste proposé et M. B... a fourni un formulaire CERFA de demande d'autorisation de travail pour un salarié étranger complété par son employeur, daté du 30 décembre 2014. Compte tenu du caractère incomplet de la promesse d'embauche et de l'ancienneté du formulaire CERFA fourni, le préfet de l'Isère n'était pas tenu de statuer lui-même sur cette demande ou de la transmettre pour instruction à la DIRECCTE. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit en lui opposant l'absence de contrat de travail visé. Il est en outre constant que M. B... ne disposait pas d'un visa de long séjour. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
12. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. (...) ".
13. Les seuls éléments qui ont été évoqués précédemment ne permettent pas de caractériser des considérations humanitaires au sens des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, justifiant une admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale, pas davantage que des motifs exceptionnels pour une régularisation en qualité de salarié, au sens du même article. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, dès lors, être écarté.
Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
14. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité des refus de titre de séjour opposés à M. et Mme B... doit être écarté.
15. La grossesse de Mme B... ne faisait pas obstacle en tant que telle à l'adoption d'une mesure d'éloignement, dès lors que le préfet a assorti cette décision d'un délai de départ volontaire de quatre-vingt dix jours afin de permettre à l'intéressée d'accoucher avant son départ. Les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation entachant ces décisions doivent ainsi être écartés, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés dans le cadre de l'examen de la légalité des refus de titre de séjour.
Sur la légalité des décisions fixant le pays de renvoi :
16. Les décisions fixant le pays de renvoi, qui indiquent la nationalité des requérants, sont suffisamment motivées, le préfet n'étant pas tenu de faire état des risques encourus.
17. Il ressort des termes mêmes de ces décisions que le préfet du Rhône a procédé à un examen particulier de la situation des requérants en cas de retour au Kosovo.
18. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " Ce dernier texte énonce que " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
19. Si les requérants font état d'un risque de persécution lié à une vendetta ayant entraîné la mort des cousins de M. B..., ils ne démontrent pas le caractère personnel et actuel desdites menaces, alors que les meurtres ont été perpétrés en 2007. D'ailleurs, les demandes d'asile de M. et Mme B... ont été rejetées tant par l'OFPRA que par la CNDA. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
20. Enfin, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les requérants n'établissent pas l'impossibilité pour eux de mener une vie familiale normale au Kosovo. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions à fin d'injonction et celles de leur conseil tendant au bénéfice des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence être rejetées.
22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du préfet du Rhône tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du préfet du Rhône tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B..., à Mme F... épouse B..., et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Rhône.
Délibéré après l'audience du 14 février 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
Mme A..., première conseillère,
Mme D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
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N° 18LY00472