Par un jugement n° 1801541 du 16 mars 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 21 mai 2018, présentée pour M. A..., il est demandé à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1801541 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 16 mars 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision susmentionnée ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil, sous réserve qu'il renonce à l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté méconnaît l'article 5 du règlement n° 604/2013 en l'absence de la tenue d'un entretien individualisé mené par une personne qualifiée ainsi qu'en l'absence de remise d'une copie du résumé de ce dernier à l'intéressé ;
- il méconnaît l'article 4 du règlement n° 604/2013 en l'absence de remise de brochures d'information et d'interprétariat réalisés dans les conditions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que le préfet de l'Isère n'a pas démontré avoir régulièrement saisi les autorités italiennes en vue de sa réadmission et a méconnu l'article 23 du règlement n° 604/2013 ; faute de preuve de l'envoi d'une demande de reprise en charge avant l'expiration du délai de deux mois et de trois mois aux autorités italiennes la France était redevenue compétente ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé en ce qui concerne le critère de détermination de l'État responsable de sa demande d'asile ;
- il méconnaît les dispositions des articles 16 et 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ainsi que celle de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'Italie n'est pas en mesure d'assurer un traitement régulier de sa demande d'asile ;
- la notification de la décision en litige est irrégulière, en méconnaissance de l'article 26 du règlement n° 604/2013.
En application de l'article R. 611-8 du code de justice administrative l'affaire a été dispensée d'instruction.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 avril 2018, du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Lyon (section administrative d'appel).
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
M. A... ayant été régulièrement averti du jour de l'audience ;
Le rapport de M. Seillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, né le 30 mars 1995, entré en Europe par l'Italie et qui déclare être arrivé en France le 22 septembre 2017, a présenté une demande d'asile à la préfecture de l'Isère le 31 octobre 2017. Ayant relevé ses empreintes digitales, le préfet de l'Isère a constaté en consultant le fichier Eurodac que l'intéressé avait auparavant sollicité l'asile auprès des autorités italiennes. Celles-ci, saisies sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013, ont tacitement accepté la reprise en charge de l'intéressé. A la suite de cette procédure, le préfet de l'Isère a décidé son transfert aux autorités italiennes par arrêté du 1er février 2018. M. A... interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre, le 31 octobre 2017, soit le jour même de sa demande d'asile, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à 1'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents étaient rédigés en langue française, que l'intéressé a déclaré comprendre. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'à défaut d'une remise de ces brochures en langue lingala et d'une traduction des informations par un interprète, l'article 4 du règlement a été méconnu doit être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque: a) le demandeur a pris la fuite; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui a déclaré comprendre, notamment, le français, a eu, le 31 octobre 2017, un entretien individuel avec un agent de la préfecture, comme le prévoit l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013. Dès lors, le moyen tiré de l'absence d'un interprète régulièrement désigné ne peut qu'être écarté. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent ayant conduit cet entretien n'était pas une personne qualifiée, au sens du paragraphe 5 dudit article 5. M. A... a signé le résumé qui a été fait de cet entretien, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne lui a pas été remis. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'impose pas que le compte rendu de l'entretien mentionne l'identité de l'agent l'ayant effectué.
6. En troisième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge, doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
7. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
8. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
9. L'arrêté du 1er février 2018 par lequel le préfet de l'Isère a décidé le transfert de M. A... aux autorités italiennes, regardées comme responsables de l'examen de sa demande d'asile, vise le règlement (UE) n° 604-2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers, les textes sur lesquels il se fonde et notamment l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il indique que la confrontation des empreintes de l'intéressé avec les bases de données européennes a permis de constater qu'il avait précédemment déposé une demande d'asile en Italie et que les autorités italiennes ont été saisies, le 26 décembre 2017, sur le fondement du paragraphe 1-b de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, d'une demande de reprise en charge, et qu'elles ont donné leur accord implicite le 9 janvier 2018 en application des articles 22-7 et 25-2 dudit règlement. Ces énonciations mettent ainsi l'intéressé à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Dès lors, la décision litigieuse est suffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. (...). "
11. La situation de M. A..., qui a déposé une demande d'asile en Italie, relève des articles 18 paragraphe 1 b) et 23 du règlement (UE) n° 604/2013. Le préfet de l'Isère, qui a eu connaissance du résultat positif Eurodac le 31 octobre 2017, ainsi que cela résulte des mentions de la fiche décadactylaire Eurodac produite, produit la copie d'un courrier électronique du 26 décembre 2017 constituant la " réponse automatique accusant réception " de la demande de transfert de M. A... formulée au moyen de l'application " DubliNet " dans le cadre du règlement Dublin III. Ce document comporte la même référence FRDUB29930071127-380 que celle figurant sur le document émis par les services de la préfecture de l'Isère et destiné aux autorités italiennes, constatant " l'accord implicite et confirmation de reconnaissance de responsabilité " à la reprise en charge de M. A.... Ainsi, la réalité d'une demande de reprise en charge adressée à ces autorités dans le délai de deux mois fixé par l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 est établie. En conséquence, contrairement à ce que soutient le requérant, la responsabilité de l'examen de sa demande d'asile n'incombait pas à la France.
12. En cinquième lieu, en application de l'article 25 paragraphe 2 du règlement (UE) n° 604/2013, l'absence de réponse des autorités italiennes dans un délai de deux semaines vaut acceptation de la demande de reprise en charge. Le caractère tacite de cette acceptation ne porte atteinte, par lui-même, ni au droit de voir la demande d'asile examinée, ni au droit à un recours effectif contre une éventuelle décision de rejet.
13. En sixième lieu, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité.
14. En septième et dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable ".
15. Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".
16. M. A... fait état de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve l'Italie, confrontée à un afflux sans précédent de réfugiés. Il n'établit pas, toutefois, que ces circonstances l'exposeraient à un risque sérieux que sa demande d'asile ne soit pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Il ne démontre pas davantage qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en Italie, alors que ce pays est un État membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, doit être écarté le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne dérogeant pas aux critères de détermination de l'État responsable de l'examen de sa demande d'asile, comme le permettent les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 et celles de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Doit être également écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prohibant les traitements inhumains ou dégradants.
17. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles de son conseil tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 14 février 2019 à laquelle siégeaient :
M. Seillet, président,
M. Souteyrand, président assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 7 mars 2019.
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N° 18LY01842