Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 17 mai 2018, M. A..., représenté par Me Audard, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 16 avril 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté susmentionné ;
3°) de mettre à la charge de l'État le paiement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'erreur de droit et d'un défaut de base légale dès lors qu'il ne relève pas du critère de responsabilité de prise en charge mais de reprise en charge ;
- il n'est pas établi que l'entretien a été mené par une personne qualifiée conformément aux dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- il est susceptible d'être expulsé vers l'Afghanistan ; dès lors, la décision de transfert méconnaît les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013.
Par un mémoire enregistré le 5 février 2019, le préfet de la Nièvre conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la décision litigieuse est suffisamment motivée ;
- il a bénéficié d'un entretien individuel qui a été régulièrement mené ;
- les dispositions des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 n'ont pas été méconnues.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 juin 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Dèche, premier conseiller, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan, né le 1er janvier 1984, est entré en France une première fois, le 7 octobre 2017, selon ses déclarations. Le 31 octobre 2017, il a demandé son admission au séjour en qualité de demandeur d'asile auprès des services de la préfecture de police de Paris. Le 15 novembre 2017, les autorités allemandes ont été saisies d'une demande de reprise en charge qui a été expressément acceptée le 20 novembre 2017. Par arrêté du 22 février 2018, le préfet de la Nièvre a décidé la remise de l'intéressé aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 22 février 2018.
2. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. / Cette décision est notifiée à l'intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. Lorsque l'intéressé n'est pas assisté d'un conseil, les principaux éléments de la décision lui sont communiqués dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend. "
3. En application de ces dispositions, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre État membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.
4. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre État membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
5. S'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre État membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet État, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'État en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
6. La décision du 22 février 2018 en litige vise notamment les articles L. 742-1 et L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, notamment son article 18, paragraphe 1, a). Elle indique qu'il résulte du fichier Eurodac que M. A... a effectué un séjour en Allemagne et que ses empreintes ont été relevées le 29 juin 2016 par les autorités de ce pays. Elle ajoute que les autorités allemandes, saisies le 15 novembre 2017, ont accepté le 20 novembre 2017 leur responsabilité. Ces énonciations qui ne révèlent pas que M. A... avait antérieurement présenté une demande d'asile en Allemagne, et ne font donc pas état des éléments et indices permettant de déterminer la responsabilité des autorités allemandes, requises aux fins de reprise en charge de l'intéressé, ne l'ont pas mis à même de comprendre les motifs de la décision pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Dès lors, la décision litigieuse est insuffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande.
8. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Audard, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le paiement à cet avocat d'une somme de 1 000 euros au titre des frais liés au litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du président du tribunal administratif de Dijon du 16 avril 2018 et l'arrêté du préfet de la Nièvre du 22 février 2018 sont annulés.
Article 2 : L'État versera à Me Audard la somme de 1 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cet avocat renonce à la contribution de l'État à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mohammad C... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Nièvre et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nevers.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2019 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
Mme Dèche, premier conseiller,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 avril 2019.
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N° 18LY01797