Par un jugement n° 1701888 du 6 juillet 2017, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision fixant le pays de destination (article 1er) et rejeté le surplus des conclusions de sa demande (article 2).
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 8 août 2017, le préfet du Rhône demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 6 juillet 2017 ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande de Mme D... épouse C...devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
Il soutient qu'il n'a commis aucune erreur de droit dès lors qu'il a examiné les conséquences d'un renvoi de l'intéressée dans son pays d'origine, en indiquant qu'elle n'établissait pas que sa vie ou sa liberté y étaient menacées ou qu'elle y serait exposée à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2017, Mme D... épouse C..., représentée par Me Fréry, avocate, conclut
- au rejet de la requête ;
- à l'annulation de l'article 2 du jugement attaqué et des décisions du préfet du Rhône du 26 octobre 2016 lui refusant un titre de séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet du Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou de réexaminer sa demande de titre de séjour, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
- à la mise à la charge de l'État du paiement à son conseil d'une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le refus de titre de séjour est entaché d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation ; il méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du7° de l'article L. 313-11 du même code ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; ce refus est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ; elle méconnaît les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant ;
- la décision fixant un délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ; elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Mme D... épouse C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 novembre 2017.
Par lettres du 30 janvier 2018, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que les conclusions d'appel incident de Mme D... épouse C... soulèvent un litige distinct de celui qui résulte de l'appel principal et ont été présentées après l'expiration du délai d'appel, d'où il suit qu'elles sont irrecevables.
Par un mémoire enregistré le 5 mars 2018, présenté pour Mme D... épouse C..., celle-ci conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.
Elle soutient en outre que ses conclusions d'appel incident sont recevables.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Clot, président,
- les conclusions de Mme Bourion, rapporteur public,
- les observations de MeB..., substituant Me Fréry, avocat de Mme D... épouse C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... épouseC..., de nationalité albanaise, née le 30 octobre 1979, déclare être arrivée en France le 27 septembre 2012. L'asile lui a été refusé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 18 septembre 2013 et par la Cour nationale du droit d'asile le 15 avril 2014. Le 20 décembre 2013, elle a fait l'objet d'un refus de titre de séjour, assorti de l'obligation de quitter le territoire français. Le 12 mai 2016, elle a sollicité un titre de séjour en invoquant sa vie privée et familiale en France. Le 26 octobre 2016 le préfet du Rhône lui a opposé un refus, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé un pays de destination. Le préfet du Rhône relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision fixant le pays de destination. Par la voie de l'appel incident, Mme D... épouse C...demande l'annulation du même jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur l'appel principal du préfet :
2. Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Ce dernier texte énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".
3. L'autorité administrative, qui n'est pas liée par l'appréciation portée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile sur les faits allégués par un étranger ayant demandé l'asile, reste tenue de vérifier que les mesures qu'elle prend ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, Mme D... épouse C...a produit un ensemble de pièces selon lesquelles sa famille serait l'objet d'une vendetta qui s'est poursuivie sans que les autorités du pays dont elle possède la nationalité ne puissent la protéger.
5. La décision en litige mentionne que Mme D... épouse C..." fait valoir l'existence d'éléments nouveaux attestant du danger qu'elle encourrait en cas de retour dans son pays d'origine mais qu'elle n'envisage pas de demander le réexamen de sa demande d'asile ". Elle ajoute toutefois que l'intéressée " n'établit pas que sa vie ou sa liberté est menacée ou qu'elle est exposée à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le cadre de l'exécution de la présente décision ". Il ne résulte pas de ces mentions que le préfet du Rhône aurait négligé de vérifier lui-même, comme il le devait, que sa décision fixant le pays à destination duquel l'intéressée doit être éloignée ne méconnaissait pas les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'il aurait ainsi entaché sa décision d'une erreur de droit. Dès lors, c'est à tort que, pour annuler la décision en litige, le tribunal administratif s'est fondé sur ce motif.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen invoqué par Mme D... épouse C... contre cette décision.
7. L'intéressée fait valoir que sa famille est victime d'une vendetta de la part d'une autre famille albanaise. Toutefois, la réalité des risques allégués en cas de retour de l'intéressée dans le pays dont elle possède la nationalité n'est pas établie. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
8. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision fixant le pays de destination.
Sur la recevabilité de l'appel incident de Mme D... épouse C... :
9. Le litige concernant la légalité le refus de titre de séjour et de la décision portant obligation de quitter le territoire français constitue un litige distinct de celui portant sur la légalité de la décision qui fixe le pays de destination.
10. Le jugement attaqué a été notifié à Mme D... épouse C... le 10 juillet 2017, ce qui a fait courir à son égard le délai d'appel d'un mois. S'il est vrai que Mme D... épouse C... a sollicité l'aide juridictionnelle, sa demande à cette fin, du 10 novembre 2017, postérieure à l'expiration du délai d'appel, n'a pu avoir pour effet de conserver ce délai.
11. Dès lors, ses conclusions d'appel incident dirigées contre le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'annulation du refus de titre de séjour et de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, présentées par un mémoire enregistré le 22 décembre 2017, soit après l'expiration du délai d'appel, ne sont pas recevables.
12. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de Mme D... épouse C...à fin d'injonction doivent être rejetées.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de Mme D... épouse C... au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lyon du 6 juillet 2017 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de Mme D... épouse C... devant le tribunal administratif de Lyon à fin d'annulation de la décision du préfet du Rhône du 26 octobre 2016 désignant un pays de destination, ensemble ses conclusions devant la cour, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... D... épouse C....
Il en sera adressé copie au préfet du Rhône et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président-assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 12 avril 2018.
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N° 17LY03076