Par une requête enregistrée le 26 janvier 2016, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 décembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B...devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- s'agissant du refus de titre de séjour : l'arrêté ne méconnaît ni le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; il ne s'est pas senti lié par son refus de séjour en assortissant celui-ci d'une obligation de quitter le territoire français ;il ne méconnaît pas l'intérêt supérieur des enfants de la requérante ;
- la décision fixant le pays de renvoi ne méconnaît pas l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 avril 2016, MmeB..., représentée par Me A..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de trente jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la même date et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de deux jours, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) à ce qu'il soit mis à la charge du préfet de l'Isère la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, faute d'avoir été déposée dans le délai d'appel ;
- les moyens invoqués par le préfet de l'Isère ne sont pas fondés ;
- le préfet de l'Isère a méconnu le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il a méconnu l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989, signée par la France le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Savouré, premier conseiller ;
1. Considérant que MmeB..., ressortissante du Kosovo, née le 5 septembre 1982, déclare être entrée en France le 13 décembre 2010 ; qu'elle a présenté une demande d'asile rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 23 juillet 2012 ; que, par arrêté du 6 avril 2015, le préfet de l'Isère a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a désigné le pays de renvoi ; que le préfet de l'Isère fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté ;
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative, applicable en matière d'obligation de quitter le territoire français : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée. " ; qu'aux termes de l'article R. 611-8-2 du même code : " Les avocats, les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les administrations de l'Etat, les personnes morales de droit public et les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public peuvent s'inscrire dans l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1, dans les conditions fixées par l'arrêté prévu à cet article. / Toute juridiction peut adresser par le moyen de cette application, à une partie ou à un mandataire ainsi inscrit, toutes les communications et notifications prévues par le présent livre pour tout dossier et l'inviter à produire ses mémoires et ses pièces par le même moyen. / Les parties ou leur mandataire sont réputés avoir reçu la communication ou la notification à la date de première consultation du document qui leur a été ainsi adressé, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de huit jours à compter de la date de mise à disposition du document dans l'application, à l'issue de ce délai. (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort de l'accusé de réception délivré par l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 du code de justice administrative que le jugement attaqué, qui a été notifié le 21 décembre 2015, a été consulté par le préfet de l'Isère le 28 décembre 2015 ; qu'ainsi, la requête, qui a été enregistrée le 26 janvier 2016, a été déposée par ce dernier avant l'expiration du délai d'un mois qui lui était imparti pour faire appel ; que, par suite, la fin de non-recevoir présentée par MmeB..., tirée de la tardiveté de la requête, doit être écartée ;
Sur la légalité de l'arrêté en litige :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) " ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
6. Considérant que, si Mme B...fait valoir qu'elle est mariée et mère de trois enfants mineurs nés en 2003, 2005 et 2014, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'elle n'était entrée en France que depuis quatre ans à la date de l'arrêté en litige ; que, si elle allègue craindre des représailles dans son pays d'origine, où elle affirme avoir subi des violences, elle ne l'établit pas par son seul récit, qui est d'ailleurs identique à celui qu'elle avait fait lors de sa demande d'asile qui a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ; que, si ses deux enfants les plus âgés sont scolarisés, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale puisse se reconstituer dans son pays d'origine, où résident les parents de la requérante, ses six frères et soeurs et où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-huit ans ; que, dès lors, quand bien même le couple est bien intégré en France, le refus de titre de séjour contesté ne porte pas à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par la décision et ne méconnaît pas, par suite, les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ainsi, c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble s'est fondé sur ce motif pour annuler l'arrêté litigieux ;
7. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B...;
8. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient MmeB..., il ressort des pièces du dossier que le signataire de l'arrêté en litige disposait d'une délégation de signature pour ce faire ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Isère se soit estimé en situation de compétence liée pour prendre une décision portant obligation de quitter le territoire français ;
10. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ; que les décisions en litige ne portent aucune atteinte à l'intérêt supérieur d'un enfant ; que, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 6, Mme B...n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance de ces stipulations ;
11. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. (...) " ; que, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point 6, Mme B...n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance de ces dispositions ;
12. Considérant, en cinquième lieu,, que, compte tenu de ce qui précède, Mme B...n'est pas fondée à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français ; qu'elle n'est pas davantage fondée à invoquer l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi ;
13. Considérant, en sixième et dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " ; que cet article 3 énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ;
14. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, Mme B...n'établit pas, par son seul récit, qu'elle risquerait d'être exposée à des traitements inhumains ou dégradants dans son pays d'origine ou que sa vie y serait menacée ; que, par suite, le moyen tiré, contre la décision fixant le pays de destination, de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté litigieux ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction et les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par Mme B... ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 17 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par Mme B...sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme C...B.... Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 23 mars 2017 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Pourny, président-assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2017.
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N° 16LY00323