Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 1er décembre 2017, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble du 27 octobre 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M. et Mme F... devant le tribunal administratif.
Il soutient que c'est à tort que le premier juge a annulé ces arrêtés du 11 septembre 2017 pour erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 29 mars 2018, M. et Mme F..., représentés par Me Schürmann, avocat, concluent :
- au rejet de la requête ;
- à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Isère de leur délivrer un titre de séjour dans le mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ou, à défaut, de réexaminer leur situation dans le délai d'un mois et de les munir d'une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail, sous astreinte de 150 euros par jour ;
- de mettre à la charge de l'État le paiement à leur conseil d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que le tribunal administratif n'a commis aucune erreur en statuant ainsi qu'il l'a fait.
M. et Mme F... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 17 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Clot, président ;
Considérant ce qui suit :
1. M. F..., ressortissant albanais né le 23 février 1969, déclare être arrivé en France le 17 octobre 2014. Après avoir sollicité à deux reprises un titre de séjour en qualité d'étranger malade sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a fait l'objet de deux mesures d'éloignement, les 12 janvier et 23 décembre 2015, qu'il n'a pas exécutées, malgré la confirmation de la première par la cour. Le 2 juin 2016, il a présenté une demande d'asile. Son épouse, compatriote née le 4 novembre 1974, déclare être entrée en France le 4 octobre 2016. Elle a déposé une demande d'asile le 20 octobre suivant. M. et Mme F... ont vu leurs demandes d'asile rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d'asile. Le 11 septembre 2017, le préfet de l'Isère leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé un pays de destination. Ledit préfet interjette appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions du 11 septembre 2017.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. F..., souffrant d'une maladie rénale chronique qui nécessite trois séances hebdomadaire d'hémodialyse depuis mars 2015, a fait l'objet de deux précédents avis du médecin de l'agence régionale de santé, en date du 28 novembre 2014 et du 9 juin 2015, indiquant que, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il existe un traitement approprié en Albanie, pays vers lequel il peut voyager sans risque. En outre, comme l'expose le préfet en appel, il ressort des pièces du dossier que le traitement médicamenteux de M. F... est accessible en Albanie, où les dialyses sont prises en charge gratuitement. Par suite, c'est à tort que, pour annuler les arrêtés en litige, le premier juge s'est fondé sur le motif tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet, le retour en Albanie des intéressés impliquant, pour M. F..., une interruption de son traitement mettant en jeu son pronostic vital.
3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens invoqués par M. et Mme F....
4. Les décisions faisant obligation à M. et Mme F... de quitter le territoire français, intervenues à la suite du refus définitif de leur accorder l'asile, sont fondées sur les dispositions du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux termes desquelles : " I. - L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".
5. En premier lieu, les décisions contestées ont été signées par Mme Violaine Demaret, secrétaire générale de la préfecture de l'Isère, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature consentie par arrêté du préfet de l'Isère du 29 août 2017, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du 30 août 2017. Ainsi, Mme D... était compétente pour signer ces décisions.
6. En deuxième lieu, les arrêtés du 11 septembre 2017, par lesquels le préfet de l'Isère a fait obligation de quitter le territoire français à M. et Mme F... sur le fondement du 6° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est motivé en droit par le visa de ces dispositions. Il est suffisamment motivé en fait par l'indication du refus définitif de leurs demandes d'asile par décisions de la Cour nationale du droit d'asile du 5 juillet 2017.
7. En troisième lieu, il ressort des mentions mêmes des arrêtés contestés que le préfet de l'Isère a effectivement procédé à un examen de la situation personnelle de M. et Mme F... avant de leur faire obligation de quitter le territoire français.
8. En quatrième lieu, en vertu du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un étranger dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui ne peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.
9. Il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des certificats médicaux établis par des néphrologues qui précisent que M. F... souffre d'une maladie rénale chronique, qu'il n'existe pas de traitement approprié à son état de santé dans son pays d'origine alors, au demeurant, que deux précédents avis du médecin de l'agence régionale de santé en date du 28 novembre 2014 et du 9 juin 2015 ont confirmé l'existence d'un traitement approprié à son état de santé en Albanie, pays vers lequel il peut voyager sans risque.
10. Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
11. M. et Mme F... font valoir qu'ils séjournent en France avec leurs enfants, dont deux sont scolarisés, depuis, respectivement, le 17 octobre 2014 et le 4 octobre 2016. Ils indiquent qu'ils sont parfaitement intégrés et qu'ils maîtrisent la langue française. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. F... s'est maintenu sur le territoire français sans respecter les obligations qui lui avaient été faites, par décisions du 12 janvier et du 23 décembre 2015, de quitter le territoire, méconnaissant ainsi deux précédentes mesures de police administrative prises à son encontre par une autorité publique. Son épouse ne dispose pas d'un droit au séjour en France et fait également l'objet d'une mesure d'éloignement. Rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France, et notamment en Albanie, pays dont tous les membres du foyer ont la nationalité, où M. et Mme F... ont vécu la majeure partie de leur existence et où, comme il a été déjà dit, M. F... pourrait bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée de séjour et des conditions d'entrée et de séjour de intéressés en France, et eu égard aux effets d'une mesure d'éloignement, les décisions contestées n'ont pas porté à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elles ont été prises. Dès lors, elles ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Pour les mêmes motifs, M. et Mme F... ne sauraient se prévaloir, contre les décisions leur faisant obligation de quitter le territoire français, d'un droit au séjour en France qu'ils tiendraient des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes desquelles : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ".
13. Il résulte de ce qui précède que le préfet de l'Isère est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 11 septembre 2017.
14. Le présent arrêt n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions de M. et Mme F... à fin d'injonction doivent être rejetées.
15. Les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, verse une somme au conseil de M. et Mme F..., au titre des frais exposés à l'occasion du litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le tribunal administratif de Grenoble du 27 octobre 2017 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de M. et Mme F... et de Me Schürmann sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... F..., Mme A... E... épouse F... et à Me C... Schürmann.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 5 avril 2018 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 avril 2018.
2
N° 17LY04068