Par une requête enregistrée le 30 mars 2015, le préfet de la Haute-Savoie demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2015 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.
Il soutient que M. A... ne saurait être admis au séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé, qui n'a pas fait preuve d'un fort investissement dans ses études, ne justifiant ni de la poursuite de sa formation en CAP " installateur sanitaire ", ni du suivi d'une nouvelle formation durant l'année scolaire 2014-2015, l'intéressé ne justifiant en outre d'aucune attache en France et n'apportant aucun élément probant concernant la rupture de ses liens avec ses parents et son frère en Albanie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2015, M.A..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions, et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable faute d'avoir été présentée dans le délai d'un mois prévu à l'article R. 776-9 du code de justice administrative ;
- il s'est investi avec sérieux dans sa formation au cours de l'année scolaire 2013-2014 comme en témoignent son passage en classe terminale de CAP et la fiche d'évaluation de stage datée du 7 mars 2014, seul le refus de titre de séjour qui lui a été opposé l'ayant empêché de conclure un contrat d'apprentissage ;
- le refus de titre de séjour qui lui a été opposé méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il serait exposé à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d'origine.
M. A...ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 juillet 2015 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Pourny, président-assesseur ;
1. Considérant que M.A..., ressortissant albanais né le 17 juin 1996, est entré en France en mars 2013 selon ses déclarations ; qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Savoie, le 19 mars 2013, et a sollicité la régularisation de sa situation sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le 22 avril 2014 ; que le préfet de la Haute-Savoie a pris à son encontre le 10 octobre 2014 un arrêté portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation d'un pays de destination ; que M. A... a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Grenoble ; que, par un jugement du 19 février 2015, ce tribunal a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle (article 1er), annulé cet arrêté du 10 octobre 2014 (article 2), enjoint au préfet de réexaminer la situation de M. A... (article 3), mis à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au profit de l'avocat de M. A... au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (article 4) et rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... (article 5) ; que le préfet de la Haute-Savoie conteste ce jugement en tant qu'il lui est défavorable ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A...à la requête du préfet de la Haute-Savoie :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative, applicable au contentieux des obligations de quitter le territoire français et des arrêtés de reconduite à la frontière : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée. (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié au préfet de la Haute-Savoie le 27 février 2015 ; que le délai de recours, lequel est un délai franc, expirait donc le lundi 30 mars 2015 ; que la requête présentée par le préfet de la Haute-Savoie a été enregistrée dans l'application Télérecours le 30 mars 2015 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient l'intimé, cette requête a été introduite dans le délai d'un mois prévu par les dispositions de l'article R. 776-9 du code de justice administrative ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par M. A..., tirée de la tardiveté de la requête, ne peut être accueillie ;
Sur les conclusions du préfet de la Haute-Savoie :
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A... a suivi au cours de l'année scolaire 2013-2014 une formation en vue de préparer un certificat d'aptitude professionnelle et qu'il a été admis à s'inscrire en classe terminale pour l'obtention de ce diplôme ; que, toutefois, l'intéressé ne s'est pas inscrit en classe terminale avant le mois de novembre 2014 et, n'ayant pu conclure un contrat d'apprentissage, il ne suivait plus aucune formation à la date de l'arrêté contesté ; que, dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a retenu que M. A... justifiait du caractère réel et sérieux de la formation suivie pour annuler l'arrêté du 10 octobre 2014 pris à son encontre ;
5. Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... ;
Sur la légalité de l'arrêté du 10 octobre 2014 :
6. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé " ;
7. Considérant que, lorsqu'il examine une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions dans le cadre de l'admission exceptionnelle au séjour, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans et qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle ; que, disposant d'un large pouvoir d'appréciation, il doit ensuite prendre en compte la situation de l'intéressé appréciée de façon globale au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française ; qu'il appartient seulement au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée ;
8. Considérant que si M. A...soutient qu'il a suivi avec sérieux une formation au cours de l'année scolaire 2013-2014, la moyenne de ses notes étant supérieure à la moyenne des notes des élèves de sa classe, et qu'il n'a pas été en mesure de trouver un employeur susceptible de l'embaucher dans le cadre d'un contrat d'apprentissage en raison du refus du préfet de lui délivrer un titre de séjour, il ressort des pièces du dossier que c'est l'état de santé de son employeur potentiel et non le préfet qui a fait obstacle à la conclusion du contrat d'apprentissage dont M. A... s'est prévalu à l'appui de sa demande de titre de séjour et que l'intéressé ne justifiait pas qu'il suivait une formation à la date de l'arrêté en litige ; que, par suite, M. A... n'entrant pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à la date de cet arrêté, le préfet de la Haute-Savoie a pu lui refuser la délivrance d'un titre de séjour sans méconnaître ces dispositions ni entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) " et qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;
10. Considérant que M. A...ne justifie pas d'attaches familiales ou personnelles stables en France, alors qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de seize ans : que, dès lors, eu égard au caractère encore récent de son entrée en France et au fait que l'intéressé n'y était plus scolarisé à la date de l'arrêté litigieux, le préfet de la Haute-Savoie n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris cet arrêté ; que, par suite, il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit, pour les mêmes motifs, être écarté ;
11. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ; (...) " et qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. " ; que ce dernier texte énonce que " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ;
12. Considérant que le préfet de la Haute-Savoie ayant refusé la délivrance d'un titre de séjour à M. A..., ce dernier entrait dans le champ d'application des dispositions du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, si l'intéressé soutient qu'il a quitté l'Albanie à la suite de violences dont il aurait été victime de la part de son père, il ne justifie pas des risques qu'il allègue en cas de retour dans ce pays ;
13. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le préfet de la Haute-Savoie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par les articles 2, 3 et 4 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du 10 octobre 2014 litigieux, lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... et a mis une somme de 800 euros à la charge de l'Etat au profit de Me C... ;
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées pour M.A... :
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées en appel pour M. A... et tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au préfet de la Haute-Savoie de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation doivent être rejetées ;
Sur les conclusions présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à M. A... ou à son conseil une somme au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 février 2015 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de M. A...et celles présentées au profit de son conseil au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A..., à Me C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Savoie et au procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2017 à laquelle siégeaient :
M. Clot, président de chambre,
M. Pourny, président-assesseur,
M. Savouré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 mars 2017.
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N° 15LY01098